Zemmour candidat ou tout com’
Pas encore candidat, Éric Zemmour parvient à occuper l’espace médiatique depuis des mois. À la manœuvre derrière lui, une petite équipe de militants rompus aux recettes du marketing et de la communication digitale.
Saturer l’espace et nourrir – quoi qu’il arrive – la machine médiatique. Sans parti, sans mandat et sans même être candidat…, Éric Zemmour réussit l’exploit d’occuper depuis des mois une grande partie de la presse française, suspendue à son éventuelle candidature à l’élection présidentielle.
Depuis Marion Maréchal, on n’avait pas vu pareille bulle médiatique autour d’un non-candidat. Le parallèle ne doit rien au hasard puisque derrière la désormais imminente candidature Zemmour s’affaire l’entourage de l’ancienne députée FN du Vaucluse, nourri à la communication politique.
Un petit noyau de militants déterminés qui, plus encore qu’une bataille culturelle – dont se réclament régulièrement ces apprentis gramscistes –, mènent une intense guerre de com’.
Derrière le journaliste du Figaro s’est ainsi constitué il y a plus d’un an un aréopage de jeunes militants rompus au marketing et à la communication digitale, qui ont su entretenir un bruit de fond continu autour du quasi-candidat.
Les médias proches de Marion Maréchal se sont mis très tôt au service de cette campagne qui ne dit pas son nom.
En dehors de sa tribune d’une heure quotidienne sur CNews, de ses éditos dans Le Figaro, Zemmour a ainsi pu bénéficier du bruyant soutien depuis près de huit mois de l’hebdomadaire Valeurs actuelles. Le journal, dirigé par Geoffroy Le Jeune, proche ami de Marion Maréchal, a fait plus que sa part dans le storytelling autour de Zemmour, entretenant un insoutenable suspense sur sa volonté, ou non, de se lancer dans l’arène politique.
« Présidentielle 2022 : un fantasme nommé Zemmour », « Zemmour président », « Zemmour homme de l’année », « La tentation Zemmour »… : le journal a multiplié en un an les unes et les articles énamourés sur le candidat.

Au mois de février, l’hebdomadaire envoyait à ses abonnés une newsletter où la candidature de Zemmour était même transformée en produit d’appel. « Éric Zemmour se lancera-t-il en politique ? […] Proche de certaines opinions du polémiste, Valeurs actuelles suit de très près ce dossier. Pour être informé en temps réel de l’évolution de cette affaire, testez notre abonnement numérique », écrivait le journal à ses abonnés.
Bien avant que L’Incorrect, dirigé par Jacques de Guillebon, coprésident du « conseil scientifique » de l’Issep, l’école de Marion Maréchal, ne fasse sa une sur « Z le feuilleton de l’été », « VA » mettait en scène – dès février – des sondages exclusifs sur « le potentiel électoral » d’Éric Zemmour… Ou comment installer l’idée, chez les confrères, qu’il faudrait bien compter avec l’auteur du Suicide français…
Lancée en février par Erik Tegnér et François de Voyer, deux organisateurs de la « Convention de la droite » où Zemmour, après Marion Maréchal, avait tenu un discours qui lui a valu une de ses condamnations pour incitation à la haine raciale, la chaîne YouTube « Livre noir » a offert une nouvelle caisse de résonance à la campagne de Zemmour.
Ces anciens membres du FN se connaissent bien : Erik Tegnér a été étudiant de l’Issep, école dont François de Voyer, un des plus proches amis de Marion Maréchal, est également le cofondateur… En rupture avec le RN de Marine Le Pen, ces deux-là ont mis tous leurs réseaux au service d’une candidature Zemmour.
« Nous sommes complètement a-partisans », assure Erik Tegnér, dont la chaîne colle pourtant strictement à l’agenda politique du polémiste.
Confidentielle jusqu’au printemps, la chaîne s’est fait connaître du grand public par l’entretien de quasi-candidature que lui a accordé Éric Zemmour le 6 juin dernier. La vidéo intitulée « Les secrets d’une ambition », un entretien fleuve du polémiste, a cumulé 890 000 vues.
La séquence où, toujours sibyllin, Zemmour, citant le maurrassien Bainville, se demande à voix haute s’il ne doit pas « passer à l’action, parce que la prévision, la prédiction, même la prophétie ne suffisent pas », a été reprise dans tous les journaux télévisés. Une consécration pour la petite chaîne de la droite de la droite.
« Il y a un vrai entrain. Sur les réseaux sociaux, sur YouTube, Twitter, Instagram… On voit où est l’audience ! », s’enthousiasme le trentenaire, longtemps partisan de l’union des droites au sein de LR, dont il a été finalement exclu.
Petit à petit, les médias ont suivi et ont commencé à gloser à leur tour sur l’éventuel « désir d’y aller » de l’essayiste, guettant les signes et les sous-entendus contenus dans chacune de ses nombreuses interventions. « L’hypothèse Éric Zemmour se renforce », « présidentielles 2022 : Éric Zemmour confirme son envie »… a-t-on pu lire récemment dans Le Point, pour ne citer que cet hebdomadaire, qui a également ouvert ses colonnes à une tribune d’une centaine de jeunes « de droite » réclamant que leur grand homme se déclare.
« C’est une candidature qui plaît aux journalistes, ils me le disent souvent, parce que tout le monde s’ennuie dans cette campagne sinon », affirme Erik Tegnér.
En dehors des médias traditionnels, l’équipe de Zemmour a parallèlement investi très tôt les réseaux sociaux pour mettre en scène une demande venue du plus profond des entrailles du pays.
Réplique numérique d’une vieille technique de l’extrême droite consistant à multiplier les collectifs et autres cercles pour paraître plus nombreuse, les membres étant en réalité presque toujours les mêmes d’un cercle à l’autre, on a pu voir fleurir différents groupes : « Les jeunes avec Zemmour », « Les femmes avec Zemmour », « Les agriculteurs avec Zemmour » et autres « Génération Z ».
À la manœuvre, Samuel Lafont, longtemps spécialiste de la communication digitale chez Les Républicains et désormais totalement dévoué à la pré-campagne d’Éric Zemmour.

Fondateur du site « de mobilisation » Damoclès, qui « agit au quotidien pour rendre son honneur à la France et leur fierté aux Français », le jeune homme possède un joli trésor de guerre issu de son engagement dans la Manif pour tous. Année après année, en lançant des pétitions en ligne sur ses sujets fétiches (l’immigration, l’islam), il a collecté près de 800 000 adresses mails de sympathisants d’une droite dure.
Sa communication en ligne doit beaucoup – excès et dérapages compris – aux recettes éprouvées par l’ex-conseiller de Trump Steve Bannon : jouer l’omniprésence, faire monter la moindre polémique en ligne et, à l’occasion, propager quelques infox, comme l’avait rapporté Libération.
Fin observateur des militants en ligne de Zemmour, l’animateur du compte Twitter @_Osint_, qui tient à garder son anonymat, détaille les techniques de ces soldats numériques. « Les soutiens de Zemmour n’hésitent pas à recourir à l’astroturfing [l’ensemble des techniques permettant de simuler un mouvement de foule sur un réseau social – ndlr]. » « La même personne crée plusieurs comptes Twitter avec des noms différents. On relève des comptes de soutien à Zemmour qui publient le même message à la même heure », décrit-il.
Les équipes de Zemmour renvoient, en effet, les militants en ligne vers des liens permettant d’accéder à des bases de vidéos et autres mèmes sur Zemmour, à partager sans modération sur les réseaux sociaux.
« Leur but, c’est d’inonder les réseaux sociaux par l’intermédiaire de comptes d’amplification, des comptes ayant un très grand nombre d’abonnés », assure-t-il .
Le graal : imposer un mot-dièse relatif à Zemmour en « tendance Twitter ». Les propos toujours très polémiques de Zemmour déclenchant de très nombreuses réactions, la chose se produit très souvent.
Le critère pour recruter des militants en ligne est assez limpide sur les qualités recherchées puisque les équipes de Zemmour demandent aux prétendants s’ils ont « un sens politique et/ou un sens commercial »… Il s’agit après tout de vendre Zemmour comme on vendrait un paquet de pâtes.

La communication de ces commandos en ligne est parfois assez artisanale, avec des images récupérées sur des banques d’images. Sont ainsi récemment apparues sur les réseaux sociaux des images montrant une famille s’égayant dans un champ ou une petite fille tenant à la main des ballons colorés bardés de slogans comme « la paix avec Zemmour » ou « Donnons un avenir à nos enfants »…, laissant parfois l’impression d’une campagne publicitaire qui aurait pu tout aussi bien être celle d’une compagnie d’assurance ou d’une soupe.
Les affiches placardées dans différentes villes au lendemain des élections régionales ont d’abord et surtout été visibles sur les réseaux sociaux.
« C’est vraiment de la vieille com’ politique, raille Arnaud Stephan, longtemps proche de Marion Maréchal et spécialiste de la communication politique. Les jeunes avec Zemmour, les grands avec Zemmour, les petits avec Zemmour. Tout cela est vu et revu », insiste celui pour qui n’est pas Steve Bannon qui veut.
À force de vouloir faire feu de tout bois – fait divers impliquant un migrant et c’est un déluge de messages, vidéos qui se déverse sur les réseaux –, les équipes de Zemmour sont déjà allées un peu trop loin. Le groupe Génération Z a ainsi publié sur son compte Twitter, le 20 juillet dernier, des photos de victimes du Bataclan, encadrées en bleu-blanc-rouge et barrées du slogan « nos vies comptent » sans l’autorisation des familles. « J’ai juste envie de hurler » devant « cette ignoble campagne pro-Zemmour utilisant les photos de nos enfants décédés », s’était indigné sur Twitter Georges Salines, père d’une jeune femme tuée au Bataclan. Une association de familles de victimes des attentats du 13 novembre 2015 a d’ailleurs déposé plainte, dénonçant « le détournement à des fins personnelles, politiques et électoralistes » d’images de victimes décédées.
Très réactives, les équipes de Zemmour savent pourtant très bien répliquer en ligne à tout « bad buzz » autour de leur candidat.
Fin avril, après les révélations de Mediapart sur les accusations d’agressions sexuelles à l’encontre du journaliste du Figaro, les soutiens du journaliste ont mis en avant les quelques figures féminines pro-Zemmour.
Pour tenter de déminer l’effet désastreux des témoignages recueillis par Mediapart, l’influenceuse Thoniafr réalise sur TikTok une courte vidéo censée décrédibiliser la parole de Gaëlle Lenfant, coupable d’avoir attendu bien trop longtemps pour porter ses accusations… Une vidéo immédiatement relayée par le compte Les femmes avec Zemmour, aux contours pour le moins flous.
Pas en reste, la chaîne de Valeurs actuelles a aussi choisi de mettre en lumière l’instagrammeuse Juliette Briens, présentée comme une jeune humoriste de droite active militant pour Zemmour. Elle y explique le fonctionnement du « Neurchi de Zemmour », une communauté en ligne formée autour de la personnalité de la vedette de CNews.
« Il a des punchlines incroyables !, s’extasie-t-elle avant de décrire le but de ce groupe. D’abord on se marre, après on voit si on peut faire passer un message en même temps. […] On le rend sympathique. Je connais énormément de gens sur le Neurchi de Zemmour qui ne sont pas pour lui mais, que voulez-vous, c’est trop drôle ! Donc, forcément, au bout d’un moment, ça le dédiabolise. Pas comme l’autre manière de dédiaboliser en changeant son discours. Nous, on le dédiabolise en faisant rire autour de lui. »
Finalement bannie de TikTok, l’infuenceuse d’extrême droite Estelle Redpill, elle aussi dithyrambique sur Éric Zemmour, a été récemment invitée sur la chaîne YouTube de l’Institut des libertés, fondé par Charles Gaves, un des mécènes officiels de la pré-campagne d’Éric Zemmour, aux côtés de Juliette Briens, pour dire à nouveau tout le bien qu’elle pense du futur candidat.
Comme si le journal n’avait pas, en premier lieu, lancé sa campagne, Valeurs actuelles interrogeait récemment Zemmour sur cette vague irrépressible de soutiens de jeunes militants appelant à sa candidature. « Je regarde cela, je les trouve enthousiasmants et leur enthousiasme me fait réfléchir », avait répondu le journaliste, feignant la surprise devant le caractère si spontané de mobilisations pourtant orchestrées, de bout en bout, par son entourage.
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