Vox change la donne en Espagne

Monde

En un scrutin, Vox a changé la donne politique en Espagne

Daryl Ramadier *

Soutenu par Marine Le Pen, le parti espagnol Vox a réalisé le 2 décembre le meilleur score électoral de son histoire en Andalousie, où il a décroché douze sièges au Parlement régional.

Vox le leasder Franscico Serrano

Le leader de Vox pour la région d’Andalousie, Francisco Serrano, en conférence de presse à Séville, le 3 décembre 2018 | Jorge Guerrero / AFP

Temps de lecture: 7 min

L’Espagne n’est donc plus une exception européenne, un pays où l’extrême droite n’a aucune représentation parlementaire. Ce dimanche 2 décembre, les élections au Parlement d’Andalousie ont consacré l’entrée fracassante de Vox, crédité de 10,97% des suffrages et de douze sièges. Une première pour cette petite formation, qui n’avait rassemblé que 0,46% des votes en mars 2015, et un résultat inédit pour un parti d’extrême droite en Espagne depuis la fin du franquisme.

«Pour la première fois, nous parlons plus de l’Andalousie que de la Catalogne», notait la semaine dernière le journaliste Iñigo Alfonso au micro de Radio Nacional.

Le scrutin andalou avait valeur de test après une année agitée, qui a vu le 1er juin la chute du gouvernement de Mariano Rajoy, chef du Parti populaire (PP), remplacé par le socialiste Pedro Sánchez (PSOE). Il constituait une sorte de prise de température avant le cycle électoral de mai 2019, où se tiendront simultanément des élections municipales, autonomiques et européennes.

Coup de pouce de la droite

Le succès de Vox doit beaucoup, d’abord, à la loupe qui a été placée sur lui ces dernières semaines. Sa (sur)médiatisation a débuté le 7 octobre, lors d’un meeting organisé près de Madrid, qui a réuni 10.000 personnes –une affluence record pour un parti d’extrême droite depuis la mort du dictateur Franco. «Alerta ultra», titrait alors le quotidien El Periódico de Catalunya, avisant d’une possible «transformation du paysage politique».

Pour Vox, tout s’est ensuite rapidement enchaîné. Aux interviews dans les médias mainstream se sont succédés les sondages favorables. «L’extrême droite va-t-elle entrer au parlement andalou?», se demandait-on.

L’émergence de Vox est devenue un sujet de campagne. À droite, Ciudadanos et surtout le Parti populaire ont commencé à craindre une fuite de leur électorat le plus conservateur, comme celui le plus déçu. Pour freiner l’exode, les deux formations ont durci leurs lignes et leurs discours.

Le risque était qu’à l’inverse, cette mécanique ne renforce la légitimité de Vox –comme en France, lorsque la droitisation de l’UMP a contribué à «normaliser» les thèses du Front national.

«Le problème est que quand on opte pour un discours radical, on trouve toujours quelqu’un de plus radicals’inquiétait le journal catalan Ara début novembreLe plus gros danger de la stratégie de la tension du PP et de Ciudadanos, qui a pour objectif de faire chuter Sánchez, est qu’elle donne des ailes à l’extrême droite.»

Maîtrise de l’agenda

La campagne andalouse s’en est trouvée chamboulée. Les thèmes de prédilection de Vox sont passés au premier plan, et les positions se sont droitisées. En témoignent les sorties de différents leaders politiques au sujet, notamment, de l’immigration.

Vox estime que les personnes immigrées «mettent en danger notre patrimoine historique, culturel et religieux». Même tonalité au Parti populaire, lorsque Pablo Casado lance, lors d’un meeting à Grenade le 24 novembre, qu’«ici, il n’y a pas d’ablation du clitoris; ici, on ne tue pas les moutons à la maison; ici, il n’y a pas de problème de sécurité publique […]. Ou les immigrés respectent les traditions occidentales, ou ils se sont trompés de pays» –un discours qui rappelle, là encore, le jeu dangereux du sarkozysme à l’égard du FN.

Mais la campagne s’est surtout distinguée par la pauvreté de sujets essentiellement andalous. Les débats locaux ont été supplantés par des questions nationales, comme celle de la situation en Catalogne, évoquée dans les meetings de tous les partis de droite. Du pain béni pour Vox, connu pour son opposition aux indépendantistes catalans et son exaltation du nationalisme espagnol.

Depuis 2017, des groupuscules d’extrême droite gagnent en visibilité en se joignant aux manifestations anticatalanistes, aux côtés de partis plus traditionnels. Tous n’hésitent plus à employer le même vocabulaire –«un coup d’État en cours»à Barcelone, initié par des indépendantistes «putschistes».

Au fil des semaines, un front de droite s’est constitué, avec pour seul dénominateur commun d’être contre: contre les socialistes et leurs soutiens de Podemos, contre les indépendantistes de Catalogne, contre les nationalistes basques –en somme, contre celles et ceux qu’il désigne comme «les ennemis de l’Espagne».

Daryl Ramadier est ne journaliste français, correspondant en Espagne pour divers médias (Slate, Politis…).