SOS Chrétiens d’Orient visée par une enquête pour complicité de crimes de guerre
Le parquet national antiterroriste a ouvert une enquête préliminaire visant l’association SOS Chrétiens d’Orient. Les gendarmes s’intéressent notamment à ses liens avec des milices syriennes accusées de crimes de guerre.
Ariane Lavrilleux et Élie Guckert, 17 février 2022, Médiapart
« Délirantes » : c’est ainsi que SOS Chrétiens d’Orient qualifiait les accusations de complicité de crimes de guerre à son encontre, en 2020, lors de la publication de notre enquête sur cette association. C’est pourtant cette publication, exposant le soutien de SOS Chrétiens d’Orient au régime de Bachar al-Assad et à ses milices, qui a poussé le parquet national antiterroriste à ouvrir une enquête préliminaire pour complicité de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, a appris Mediapart.
Dans notre dossier, nous révélions en effet que certains des partenaires syriens de l’association, à la tête de milices pro-Assad, étaient accusés par des ONG syriennes d’avoir pillé des villages, bombardé des civils et entraîné des enfants au combat. Ils « se contentent de se défendre eux et leurs familles contre l’État islamique et Al-Qaïda », avait répondu à Mediapart le service communication de l’association.
L’enquête a été confiée à l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine (OCLCH) (voir Boîte noire). Ce service interministériel rattaché à la gendarmerie nationale a été créé en 2013. Il est chargé, entre autres, d’enquêter sur les criminels de guerre présumés présents sur le territoire national. Après avoir poursuivi un vendeur d’armes chimiques franco-syrien ou encore un complice des génocidaires du Rwanda, les gendarmes se penchent donc pour la première fois sur les activités d’une association française, laquelle, comme ses membres et dirigeants, est présumée innocente.
Au centre de l’enquête figurent deux chefs de milices chrétiennes, partisanes de Bachar al-Assad, Simon al-Wakil et Nabel al-Abdullah. Les deux hommes tiennent respectivement les villes de Sqelbiye et Mhardeh, dans le gouvernorat de Hama, au nord-ouest de la Syrie. Ils appartiennent aux Forces de défense nationale (NDF), une branche de l’armée syrienne, responsable de crimes de guerre selon Human Rights Watch. En 2012, al-Wakil et ses hommes auraient participé, entre autres, au massacre d’al-Koubeir, à quelques kilomètres de Mhardeh, où 78 villageois, dont des enfants, ont été assassinés en quelques heures selon l’ONG Pro-Justice.
Depuis 2016, SOS Chrétiens d’Orient a collecté plusieurs milliers d’euros de dons pour mener des opérations « humanitaires » avec le concours des miliciens de NDF, qui en sont parfois eux-mêmes directement bénéficiaires, le tout dans une grande opacité financière.
Contactée à nouveau suite à l’ouverture de l’enquête de l’OCLCH, la communication de SOS Chrétiens d’Orient nous a fait savoir qu’elle « ne souhaite plus répondre » à Mediapart.
Dans la galaxie Zemmour
L’association entretient toujours des liens étroits avec ces miliciens, en particulier à Mhardeh. À l’automne 2021, le directeur général de SOS Chrétiens d’Orient, Benjamin Blanchard s’affichait à nouveau aux côtés du commandant Simon al-Wakil et l’association se vantait de reconstruire la maison d’un ex-combattant qui était « sous les ordres du célèbre “Monsieur Simon” face aux groupes armés terroristes ».
Benjamin Blanchard, animateur de Radio Courtoisie
Le 27 octobre 2021, à Moscou, Benjamin Blanchard a de nouveau rencontré Nabel al-Abdullah, à qui il avait remis un trophée « SOS Chrétiens d’Orient » deux ans plus tôt. Tous les deux étaient invités à la 7e conférence internationale de l’Union du monde chrétien, assis côte à côte.
Photo: Le directeur général de SOS Chrétiens d’Orient (avec la veste grise), et le commandant syrien Nabel Al-Abdullah à sa gauche lors de la 7é conférence internationale de l’Union du monde chrétien, à Moscou en octobre 2021. © Capture d’écran (les photos de l’article original n’ont pu être reproduites, celles figurant dans cette reproduction ont été trouvées ailleurs sur le net)
En France, SOS Chrétiens d’Orient s’ancre à l’extrême droite depuis sa création en 2013 par des militants de la Manif pour tous, bien qu’elle se présente officiellement comme « apolitique ». Son président, Charles de Meyer, est l’actuel assistant parlementaire de Thierry Mariani, eurodéputé du Rassemblement national. Le directeur, Benjamin Blanchard, a aussi été assistant parlementaire du Front national et est toujours animateur vedette de Radio Courtoisie, classée à l’extrême droite.
Au conseil d’administration de l’association, on trouve la chroniqueuse Charlotte d’Ornellas qui officie à Valeurs actuelles et sur les plateaux de la chaîne CNews – qui employait Zemmour jusqu’en septembre 2021. En 2016, elle était venue en personne prendre la pose avec les miliciens de Mhardeh, en compagnie de Benjamin Blanchard et de l’ex-chef de mission en Syrie, Alexandre Goodarzy, comme l’avait raconté L’Express.
L’association a poursuivi son engagement politique comme partenaire de la Convention de la droite organisée en 2019 par Marion Maréchal-Le Pen. Éric Zemmour, pas encore officiellement candidat, y avait livré un discours incendiaire contre l’islam, qui lui a valu d’être condamné à 10 000 euros d’amende en première instance pour « injure » et « provocation à la haine » avant d’être relaxé en appel.
Deux mois avant ses diatribes islamophobes, Éric Zemmour avait aidé à récolter 20 000 euros lors d’une vente aux enchères de SOS Chrétiens d’Orient « au profit de la ville de Mhardeh en Syrie » – sans que l’identité exacte des bénéficiaires ne soit communiquée – organisée à Cogolin par le maire Marc-Étienne Lansade. Cet ancien élu du Rassemblement national a depuis rejoint le premier cercle des zemmouriens – il était « invité VIP » au meeting à Villepinte.
D’anciens bénévoles ont aussi rejoint Génération Z, les petites mains qui organisent la campagne d’Éric Zemmour. Géraud Bouffard, secrétaire général de SOS Chrétiens d’Orient pendant six mois à Damas, avait suivi le candidat en campagne à Marseille, en compagnie de Jérémie Piano, également passé par SOS Chrétiens d’Orient et ex-porte-parole du groupe dissous Génération identitaire, tout comme la nouvelle recrue Damien Rieu, qui avait participé à l’organisation de la toute première opération de l’association en Syrie, en 2013.
Marie Falicon, ancienne cheffe d’équipe au Liban en 2020, est aujourd’hui membre du groupe « les femmes avec Zemmour ». Sa sœur, Hermine Falicon, ancienne bénévole passée en Irak et en Jordanie figure également parmi les invité·es VIP du meeting de Villepinte. Chargée de communication pendant six mois pour l’association, Laurie de Reynal s’occupe désormais de celle de Livre noir, le média qui assure la promotion d’Éric Zemmmour.
Laurie de Reynal (sur son site linderlink)
Côté sécurité, Éric Zemmour peut là encore compter sur un ex-membre de l’association, Ladislas Boyer de Fonscolombe, ancien militaire passé dans les rangs de SOS Chrétiens d’Orient en Irak en 2015.
À l’occasion de son premier voyage de campagne en décembre dernier en Arménie, Éric Zemmour a d’ailleurs rencontré et félicité les bénévoles de SOS Chrétiens d’Orient pour « leur engagement ». Ce soutien mutuel ne se limite pas à des échanges de compliments. Le candidat à la présidence de la république reprend aussi des revendications historiques de l’association comme la réouverture d’une ambassade française à Damas. Sollicitée par Mediapart, la porte-parole d’Éric Zemmour n’a pas souhaité commenter.
Radiée par le ministère des armées
L’association ne s’est pas contentée de bâtir des ponts entre l’extrême droite et le régime de Bachar al-Assad. SOS Chrétiens d’Orient a aussi organisé des visites à Damas pour Valérie Boyer, sénatrice Les Républicains des Bouches-du-Rhône et actuelle soutien de la candidate à la présidence Valérie Pécresse, Jean Lassalle, député des Pyrénées-Atlantiques et ex-membre du Modem, Jean-Frédéric Poisson, ancien candidat à la primaire de la droite ou encore Thierry Mariani.
En retour, l’association a pu compter sur la générosité de parlementaires qui lui ont versé en tout 16 000 euros en 2016. Alain Marsaud, député Les Républicains, avait versé 5000 euros, tout comme deux recrues du camp Zemmour, les député·es Christine Boutin et Jean-Frédéric Poisson (voir leurs réponses dans notre précédente enquête).
Jérémie Piano et Géraud Bouffard avec des membres de « Génération Z » aux côtés d’Éric Zemmour à Marseille le 17 novembre 2021. © Compte twitter d’Eric Zemmour
Côté sécurité, Éric Zemmour peut là encore compter sur un ex-membre de l’association, Ladislas Boyer de Fonscolombe, ancien militaire passé dans les rangs de SOS Chrétiens d’Orient en Irak en 2015.
À l’occasion de son premier voyage de campagne en décembre dernier en Arménie, Éric Zemmour a d’ailleurs rencontré et félicité les bénévoles de SOS Chrétiens d’Orient pour « leur engagement ». Ce soutien mutuel ne se limite pas à des échanges de compliments. Le candidat à la présidence de la république reprend aussi des revendications historiques de l’association comme la réouverture d’une ambassade française à Damas. Sollicitée par Mediapart, la porte-parole d’Éric Zemmour n’a pas souhaité commenter.
La même année, selon le rapport d’activité de l’association que s’était procuré Mediapart, l’armée française avait acheminé gratuitement plusieurs tonnes de matériel médical pour le compte de l’association, entre Toulon et Beyrouth, avec la Syrie pour destination finale. Interrogé à plusieurs reprises par Mediapart, le ministère des armées n’avait pas donné suite.
Aujourd’hui l’association ne semble plus être en odeur de sainteté auprès du gouvernement. Le 31 janvier dernier le ministère des armées a annoncé la radiation de l’association des partenaires de la Défense nationale. Ce label prestigieux avait été décerné dans des conditions controversées, en 2017, par simple décret du ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, comme l’avait rapporté Libération.
Suite à l’enquête de Mediapart sur les liens entre l’ONG et le régime de Bachar al-Assad, la garde nationale aurait décidé de radier l’association de ses fichiers « dès le 15 octobre 2020 » précise la Délégation à l’information et à la communication de la Défense (Dicod) qui n’a cependant mis à jour son site qu’après la publication du décret de radiation, alors que l’association était toujours affichée dans la liste 2021 des partenaires (consultable ici).
Ariane Lavrilleux et Élie Guckert