Municipales: le faux revers du Rassemblement national
Si le parti de Marine Le Pen a perdu près de la moitié de ses conseillers municipaux, par rapport à 2014, il a néanmoins réussi à s’ancrer dans la durée dans un certain nombre de villes. Surtout, son faible ancrage local ne préjuge en rien des chances du parti de remporter l’élection présidentielle.
Six mois avant le premier tour des élections municipales, le porte-parole du Rassemblement national (RN) Sébastien Chenu présentait à la presse la stratégie de son parti pour se constituer, enfin, le réseau d’élus qui lui a toujours manqué. Le RN, expliquait-il, avait choisi de présenter moins de listes mais des listes plus solides – pour éviter les déconvenues de 2014, où plus d’un quart des conseillers municipaux avaient choisi de démissionner en cours de mandat. Le parti de Marine Le Pen n’avait donc, cette fois, présenté que 388 listes contre 575 en 2014.
« Au-delà de conserver et d’emporter de nouvelles mairies, nous ambitionnons d’installer des milliers de conseillers municipaux d’opposition partout en France afin de peser dans la vie locale de nos concitoyens », affirmait ainsi le député du Nord qui s’est lui-même présenté sans succès à la mairie de Denain (Nord).
Au lieu des « milliers » d’élus escomptés, le RN n’a fait élire dimanche dernier que 871 conseillers municipaux, soit pratiquement moitié moins qu’en 2014 où le parti avait obtenu 1 498 élus.
Pour Marine Le Pen qui voulait faire de ces élections un tremplin pour 2022, l’échec paraît sévère. « En 2014, le FN avait franchi un palier en gagnant une dizaine de villes. Cette fois, en présentant moins de listes, le parti a voulu éviter les erreurs du précédent scrutin, avec des candidats loufoques ou tenant des propos racistes sur les réseaux sociaux. Tout cela avait fait apparaître le parti à la fois comme extrémiste mais aussi comme très amateur », rappelle Sylvain Crépon, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Tours.
Pour ce scrutin, le RN a tenté de présenter des listes d’ouverture en invitant notamment des membres de LR à les rejoindre mais sans grand succès. « Leur stratégie de faire des alliances avec la soi-disant “société civile” est restée très limitée et en terme d’élus, on constate effectivement que le RN n’arrive pas à franchir le cap de l’implantation locale », souligne-t-il.
Marine Le Pen à la convention du RN pour les municipales en janvier dernier. © Capture d’écran
Derrière le choix de présenter moins de listes pour privilégier la « qualité » sur la « quantité », se cache aussi le fait que le RN a toujours le plus grand mal à trouver, sur le terrain, des candidats qui tiennent la route. « Cela correspond à un problème structurel au RN, qui est le décalage entre la demande électorale et l’offre politique, qui souffre d’un déficit de cadres jugés compétents. De ce point de vue, la stratégie du RN consistant à se concentrer sur ses zones de force a sans doute sa pertinence », précise le jeune chercheur Félicien Faury, doctorant en sciences politiques à l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (université Paris-Dauphine) et qui va prochainement soutenir sa thèse sur le cas d’une commune conquise par le RN en 2014.
Pour autant faut-il vraiment ne voir dans ce scrutin qu’un revers pour le parti de Marine Le Pen, arrivé en tête lors des élections européennes ? « Je suis assez sceptique face aux analyses qui qualifient ces élections d’échec. C’est en réalité un échec très relatif, surtout si on s’intéresse aux villes remportées en 2014. Malgré le contexte sanitaire et l’abstention, dans ces communes, les victoires des maires RN sont nettes. Dans les endroits où le RN est aux responsabilités, il augmente ses scores. Pour moi, c’est l’une des grandes leçons politiques de ce scrutin. »
Si le 28 mai, le RN n’a conquis, hormis la ville symbolique de Perpignan, que de petites communes – Moissac dans le Tarn-et-Garonne et Bruay-la-Buissière dans le Nord – cette médiocre performance ne doit pas faire oublier que le parti a réussi à conserver la plupart des villes conquises en 2014, souvent dès le premier tour comme à Hénin-Beaumont (74,2 %), Hayange (63 % des voix), Beaucaire (59 % des voix), Béziers (68,7 % des voix), Villers-Cotterêts (53 % des voix), Fréjus (50,6 % des voix)…
« Il y a six ans, rappelle-t-il, ces communes avaient été remportées à l’occasion de triangulaires ou de quadrangulaires, presque par accident. En 2020, les victoires sont très nettes, et la plupart des maires sont reconduits dès le premier tour. Dans certaines communes, ce sont quasiment des plébiscites. Le vote RN est souvent présenté comme “anti-système”, “dégagiste”. Mais en l’occurrence, dans toutes les communes obtenues en 2014, les électeurs ont presque partout reconduit les maires RN. C’est inédit pour le parti », tient à souligner Félicien Faury, auteur d’un récent article d’analyse de la gestion RN dans la revue Mouvements.
De ce point de vue, ces élections municipales marquent quand même un nouveau palier pour le parti. « La gestion des villes remportées dans les années 1990 par le FN, Toulon, Marignane et Vitrolles notamment, avait été un désastre politique et symbolique pour le FN, avec des affaires de clientélisme, de xénophobie… Là, on est dans une situation radicalement différente, et le RN peut communiquer sur le fait que les électeurs, en quelque sorte, en redemandent », affirme-t-il.
La feuille de route des élus RN en 2014 était d’ailleurs claire : pas de vagues, pas de scandales, mais une gestion « de bon père de famille », désidéologisée, qui évite autant que possible les « dérapages ». Pour Félicien Faury, les maires RN ont mené dans ces villes une politique de droite dure : placer la sécurité comme priorité, empêcher toute hausse de la fiscalité locale, et faire quelques « coups » symboliques à destination de leur électorat, comme l’organisation de la « fête du cochon » à Hayange par exemple. « C’est une politique de droite dure qui se fait sans éclat », résume-t-il.
« Au RN, la conquête de mairies n’est pas une fin en soi, c’est aussi un moyen de respectabilisation, à visée nationale. Louis Aliot le dit dans son discours dès les résultats connus à Perpignan, sa victoire a valeur de symbole pour la France entière. »
Même si le RN n’a que peu de « villes-vitrines » à mettre en avant, le fait que ses élus aient quasi tous été reconduits dans leur mairie à l’issue de leur mandat donne du crédit au récit d’un parti qui aurait mûri et serait désormais capable de gérer un exécutif. Début janvier, à la convention nationale du RN, Marine Le Pen avait d’ailleurs dévoilé le slogan du parti pour ces municipales « La gestion RN, ça marche ! »
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Ne voir dans ce scrutin municipal qu’une nouvelle preuve de la faiblesse structurelle du RN, qui l’empêcherait durablement d’accéder au pouvoir, est donc sans doute de courte vue. Une attitude qui témoigne peut-être plus d’un empressement à vouloir enterrer un parti qui, en réalité, s’est profondément ancré dans le paysage politique français au point que tout le monde semble tenir pour acquise sa présence au second tour de l’élection présidentielle en 2022…
« J’ai l’impression que beaucoup de commentateurs s’attendaient à ce que le parti fasse de meilleurs résultats à ces élections, et par conséquent les médias ont eu tendance à accentuer la déception, un peu comme en 2017 où tout le monde s’était fait à l’idée que Marine Le Pen serait au second tour et que la presse a glosé, là encore, sur son échec », précise-t-il.
Sans doute moins en rupture avec son père de ce point de vue, Marine Le Pen n’a qu’une obsession et qu’une échéance : l’élection présidentielle, pour laquelle elle s’est déjà officiellement portée candidate. Or il n’est sans doute plus aussi nécessaire d’avoir une implantation locale pour parvenir à la fonction suprême.
« On a vu avec Emmanuel Macron que cela n’était plus un passage obligé. C’est encore une hypothèse et cela mériterait des enquêtes plus approfondies, mais on constate des phénomènes de désintermédiation électorale, qui font que le champ politique semble fonctionner de moins en moins à travers ce type d’implantations locales », avance Félicien Faury.
Constater la difficulté du RN à s’ancrer localement ne préjuge pas de sa capacité à réaliser de très bons résultats aux scrutins nationaux, et particulièrement à l’élection présidentielle.
« On peut tout à fait se retrouver en 2022 avec à nouveau un second tour Emmanuel Macron/Marine Le Pen, c’est-à-dire deux structures politiques qui n’ont pas d’ancrage local », prévient Sylvain Crépon. « Néanmoins, en imaginant que Marine Le Pen puisse remporter la présidentielle, ce sera quand même compliqué pour elle de gagner ensuite les législatives. Trouver cinq cents candidats qui tiennent la route reste très difficile pour un parti qui n’a pas d’ancrage territorial. En ce sens, le manque d’élus locaux représente quand même un plafond de verre pour le RN », ajoute-t-il.
À moins, comme certains l’espèrent toujours au RN, que la droite ne cède aux sirènes de l’union des droites, et que le parti parvienne à rallier un certain nombre de cadres de LR, comme Macron l’a fait en 2017.