Afghanistan : après les critiques de l’opposition, l’exécutif assume une posture ferme sur l’immigration clandestine
Alors que plusieurs maires écologistes se disent prêts à répondre « au devoir d’humanité de la France » en accueillant des Afghans, l’entourage du chef de l’Etat assume le « discours de vérité » tenu lundi.
La première salve fut lancée lundi 16 août peu avant 21 heures. Quelques minutes à peine après l’allocution d’Emmanuel Macron, qui s’exprimait du fort de Brégançon (Var) sur la situation en Afghanistan, où les talibans ont repris le pouvoir, le lanceur d’alerte américain Edward Snowden, exilé en Russie, réagissait sur Twitter. « Wow, it’s real » (« Oh, c’est vrai »), écrivait-il en reprenant l’un des messages évoqués par le président de la République : « Nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants. » De quoi, selon M. Snowden, renommer le président de la République « Emmanuel Le Pen ».
Une référence au discours de l’extrême droite française et de sa représentante, Marine Le Pen, mais aussi d’une partie de la droite, davantage préoccupée par une possible crise migratoire à venir que par le drame humanitaire qui se joue dans ce pays d’Asie centrale. Le chef de l’Etat, conscient du trouble suscité par son propos alors que fusent les images d’Afghans s’accrochant aux ailes des avions pour fuir Kaboul, est revenu sur sa propre allocution, lundi soir, sur Twitter, en rappelant que la France « fait et continuera de faire son devoir pour protéger celles et ceux qui sont les plus menacés », mais cela ne pesait toujours guère, mardi, pour les représentants de la gauche offusqués par le ton présidentiel.
« La réponse d’Emmanuel Macron face au drame afghan est une honte pour la France », s’indignait Eric Piolle, maire de Grenoble et candidat à la primaire d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) pour la présidentielle dans une vidéo publiée sur Twitter. Semblant défier l’Etat, l’édile, ainsi que ses homologues écologistes, à Lyon, Strasbourg, Besançon ou Tours, se disent aujourd’hui prêts à répondre « au devoir d’humanité de la France » pour accueillir les Afghanes et Afghans qui chercheront refuge en France. « Le devoir d’humanité [en] Afghanistan version Macron (le rempart !). Sordide », insistait Clémentine Autain, députée de la 11e circonscription de la Seine-Saint-Denis pour La France insoumise (LFI), tandis qu’une autre « insoumise », la députée européenne Manon Aubry, lâchait : « Pardon ? Les seuls à protéger, dans cette situation, ce sont bien les Afghans qui fuient la guerre, la répression et l’horreur. Même en termes d’humanité la plus élémentaire, Emmanuel Macron faillit à sa tâche ! »
Sur la même ligne que Merkel
A l’Elysée cette polémique est jugée « injuste », alors que la France tente « H-24 » de faire sortir les Afghans menacés, explique-t-on. Quarante-cinq personnes exfiltrées de Kaboul sont d’ailleurs arrivées mardi en fin d’après-midi à l’aéroport parisien de Roissy-Charles-de-Gaulle. Sur Twitter, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a également fustigé mardi une « polémique indécente », assurant que « depuis 2018, les Afghans sont les premiers bénéficiaires du droit d’asile en France ».
Il reste que l’entourage du chef de l’Etat assume le « discours de vérité » tenu au sujet de l’immigration clandestine. « On ne va pas se mettre la tête dans le sable », explique une conseillère du président, prédisant qu’à la phase actuelle d’« urgence absolue » succédera une deuxième phase, qui pourrait se traduire par un flux d’immigration important vers l’Europe. « On va le gérer tout seul ? Non, la France prendra sa part », insiste cette même source, ajoutant : « Comment fait-on pour lutter contre les trafics, car ils existent. Pourquoi ne pas dire la vérité ? En quoi cela sert le droit d’asile ? Il faut anticiper et se préparer. Plus vous anticipez et plus vous avez les moyens d’organiser le droit d’asile. »
Une posture en ligne avec celle de la chancelière allemande, Angela Merkel, qui s’est dite soucieuse, lundi, de « ne pas répéter l’erreur que nous avons faite dans le passé en ne donnant pas assez de moyens au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et en laissant les gens quitter la Jordanie et le Liban à destination de l’Europe ». Une référence à la désastreuse crise migratoire de 2015.
Au sein du parti présidentiel, La République en marche (LRM), certains cadres, à l’image d’Hugues Renson, vice-président de l’Assemblée nationale, ont pris leurs distances avec le discours du chef de l’Etat. « 16 août 2021. Des femmes et des hommes ont tenté de fuir leur pays en s’agrippant à des avions qui décollaient… La première des protections, c’est celle que nous leur devons », semble ainsi rectifier le député.
Mais pour la plupart des macronistes, le ton du chef de l’Etat ne choque guère. « Ce procès est absurde », juge notamment Gilles Le Gendre, député (LRM) de la 2e circonscription de Paris, estimant que les premières victimes des réseaux clandestins d’immigration, « ce sont les migrants eux-mêmes ». « Ceux qui s’offusquent sont soit en vacances, soit en campagne. Ce qui se passe est une affaire mondiale », ajoute Sacha Houlié, élu (LRM) de la Vienne.
A en croire la politiste Chloé Morin, l’attitude du président n’a, de fait, rien de surprenant : « Emmanuel Macron cherche à se placer dans le centre de gravité de l’opinion qui s’est déplacé à droite. » L’approche de l’élection présidentielle obligerait le chef de l’Etat, selon la spécialiste de l’opinion à la Fondation Jean Jaurès, à assumer cette ligne dure sur l’immigration, jusqu’ici déléguée au ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, pour anticiper les attaques de la droite et de l’extrême droite. « S’il rate la marche, il jouera sur la défensive », affirme-t-elle.