Lyon, laboratoire d’une recomposition à droite toute
20 JUIN 2018 PAR LUCIE DELAPORTE, Médiapart
Laurent Wauquiez et Marion Maréchal ont choisi la capitale des Gaules pour partir à la conquête d’une droite conservatrice, catholique et travaillée par les questions identitaires, qui ne se reconnaît pas dans Emmanuel Macron. Une lutte pour le leadership à la droite de la droite.
Lyon (Rhône), envoyée spéciale.
– Dans la salle du foyer des sœurs de Marie Auxiliatrice, dans le très chic 6e arrondissement de Lyon, une petite cinquantaine de personnes écoutent sagement le discours de Laurent Wauquiez. Ce lundi soir, pris dans la tornade médiatique après l’éviction de sa numéro 2, Virginie Calmels, le président de LR est venu assister à l’une des premières réunions publiques de Sens commun depuis l’arrivée de la nouvelle présidente, Laurence Trochu. Devant les sympathisants de ce mouvement issu de la Manif pour tous, Laurent Wauquiez déroule le discours attendu sur « les valeurs », « l’identité de la France » et la « culture chrétienne ».
Le mouvement avait cessé d’être en odeur de sainteté après les déclarations de son ancien président expliquant qu’il pourrait participer à une plateforme commune avec Marion Maréchal. Six mois après son arrivée à la tête de LR, Wauquiez a décidé de renouer avec le mouvement dans la ville dont il compte faire le laboratoire d’une droite identitaire et ultraconservatrice.
Dépassant largement les questions familiales et bioéthiques chères à cet auditoire, il décline une fois de plus les arguments anti-immigration de son tract « Pour que la France reste la France ».
Vendredi 22 juin, c’est la petite-fille de Jean-Marie Le Pen qui attirera les projecteurs à Lyon, en lançant son école des cadres de « toutes les droites » dans le quartier de la Confluence, à quelques pâtés de maison du conseil régional que Wauquiez préside depuis 2015. Pas question pour lui de céder à Marion Maréchal le terrain de la droite conservatrice, catholique et qui ne se reconnaît pas dans la présidence d’Emmanuel Macron.
« Derrière les paroles câlinantes aux Bernardins », rappelle ce soir-là Laurent Wauquiez, en référence à l’adresse aux catholiques du chef de l’État, où il les avait invités à s’engager dans la cité, « Macron c’est le droit à l’enfant, la PMA pour les couples de femmes et bientôt la GPA », tance-t-il en citant tour à tour Charles Péguy, Emmanuel Mounier et Simone Weil, cochant ainsi toutes les cases du bingo des références catholiques.
Fustigeant tous deux le « parisianisme » des « élites mondialisées », dont Macron serait l’incarnation parfaite, Marion Maréchal comme Laurent Wauquiez ont manifestement choisi de faire de la capitale des Gaules le point d’ancrage de leur conquête politique à droite toute.
Un paradoxe, dans cette ville dirigée par Gérard Collomb pendant seize ans et qui semble aujourd’hui la meilleure vitrine du macronisme, au point qu’En Marche! avait d’ailleurs choisi d’y lancer les bases de son mouvement. « Lyon est une ville centriste, parce que la modération a toujours été inscrite dans ses gènes », prévient ainsi le maire UDI du 2earrondissement, Denis Broliquier, qui reçoit dans son vaste bureau au cœur du quartier bourgeois d’Ainay.
L’arrivée très médiatisée de Marion Maréchal à Lyon, tout comme la poussée des identitaires dans le Vieux Lyon, ne reflètent pas selon lui la réalité d’une ville qui honnirait les extrêmes. « Quand on présente Lyon comme la nouvelle capitale de l’extrême droite, les Lyonnais que nous sommes tombent de l’arbre. Cela ne correspond pas du tout à la réalité du tissu intellectuel, social lyonnais », s’agace-t-il en rappelant que le Front national plafonne à 10 % dans la ville.
Dans cet arrondissement central, fief de la bourgeoisie lyonnaise traditionnellement à droite, Macron a fait un raz-de-marée. La ligne extrêmement droitière de Laurent Wauquiez ne fait pas vraiment recette auprès de ses administrés, explique-t-il. « Son positionnement n’est pas tellement fait pour les urbains de Lyon. » Celui qui a travaillé aux côtés de Charles Millon rappelle ce qu’a coûté à l’ancien président de Région son alliance avec l’extrême droite. « Il l’a payé très cher. On le ressort dès qu’on a envie de casser quelqu’un », précise-t-il.
Le pari de Laurent Wauquiez comme de Marion Maréchal est de recomposer à droite en s’adressant à une frange de l’électorat qui n’a cessé de se radicaliser ces dernières années. Ils n’ont pas oublié que la ville avait été en 2013 le fer de lance de la Manif pour tous et que ces réseaux catholiques conservateurs n’ont jamais aimé le « libéral-libertaire » Emmanuel Macron. Dans l’entre-deux-tours, le mouvement n’avait d’ailleurs pas appelé à trancher entre les deux finalistes du second tour.
Laurent Wauquiez et Anne Lorne à la réunion publique de Sens commun. © LD
« Lyon est une ville de résistance », explique la conseillère régionale LR Anne Lorne, figure de la Manif pour tous à Lyon, qui assiste ce lundi soir au premier rang à la réunion de Sens commun, un mouvement dont elle a été la déléguée nationale. « Laurent Wauquiez sait qu’il trouvera ici le terreau et la fidélité dont il a besoin », affirme celle pour qui « la tectonique des plaques à droite va se poursuivre ».
« Il y a une droite bourgeoise réactionnaire qui s’est radicalisée à Lyon avec le cardinal Barbarin. C’est une droite qui s’accommode très bien de l’extrême droite », assure de son côté Marion Athiel, présidente du planning familial et membre du comité de vigilance contre l’extrême droite.
L’archevêque de Lyon, accusé d’avoir longtemps fermé les yeux sur les affaires de pédophilie (lire ici nos enquêtes), n’est pas exactement connu pour sa modération. Au moment du débat sur le mariage pour tous, il avait ainsi déclaré que cette loi conduirait à une « rupture de civilisation » : « Après, ils vont vouloir faire des couples à trois ou à quatre. Après, un jour peut-être, l’interdiction de l’inceste tombera », expliquait-il sur la chaîne lyonnaise TLM.
Lorsqu’on demande à Patrick Louis, qui codirige le comité scientifique de l’école que Marion Maréchal s’apprête à ouvrir, pourquoi l’ancienne député FN a choisi Lyon pour s’implanter, la réponse de l’ancien député européen du MPF ne tarde pas : « Lyon, c’est la capitale des Gaules », explique, enthousiaste, le père d’Anne Lorne. « Il faut quand même se souvenir que le christianisme a irrigué l’Europe en partant de Lyon et que notre archevêque, le cardinal Barbarin, est d’ailleurs le primat des Gaules », rappelle ce prof d’économie à Lyon III.
« on est décontenancés de voir tant de jeunes se tourner vers le traditionalisme et l’extrémisme »
Depuis son arrivée dans l’agglomération lyonnaise, Laurent Wauquiez n’a cessé de donner des gages à cet électorat très conservateur : suppression des subventions aux associations LGBT, soutien massif aux lycées privés, catholiques pour leur écrasante majorité, refus de financer le projet de centre culturel musulman à Lyon, porté par le recteur de la Grande Mosquée de Lyon.
L’an dernier, à quelques semaines du premier tour de la présidentielle, celui qui a installé une crèche à Noël dans le hall du conseil régional s’était affiché aux côtés du cardinal Barbarin pour annoncer, casque de chantier sur la tête, que sa Région allait casser sa tirelire pour réaménager les abords de la basilique de Fourvière.
Depuis son arrivée à la tête de la Région, les subventions importantes mobilisées pour rénover le patrimoine, à commencer par les églises de la région, ont sans doute mis du baume au cœur de beaucoup de catholiques.
Le cardinal Philippe Barbarin. © Reuters
L’opération menée en Irak la semaine dernière, pour le montrer au chevet des chrétiens d’Orient, au-delà de la manœuvre politique visant à lui offrir une stature internationale, constitue un nouveau clin d’œil à cette mouvance. C’était aussi une nouvelle amabilité à l’archevêque Barbarin, très engagé sur la question. Depuis 2014, l’église de Lyon est d’ailleurs jumelée avec celle de Mossoul. Aux côtés de Laurent Wauquiez dans son périple irakien, le vice-président à la Région Auvergne-Rhône-Alpes Philippe Meunier, également présent au rendez-vous de Sens commun, fait aussi partie de ces figures choisies par Wauquiez pour lancer des signaux à la droite de la droite. Cet ancien député du Rhône a fait partie de l’aventure de La Droite populaire, le mouvement lancé par Thierry Mariani, aujourd’hui chantre d’une union de LR et du RN (ex-FN). Un an après les « apéros saucisson pinard » du Bloc identitaire, Philippe Meunier lançait en 2011 « l’apéro saucisson vin rouge » pour fêter le premier anniversaire de leur collectif, suscitant le malaise de sa famille politique. Il y a quelques jours, il s’inquiétait sur son compte Twitter de ces migrants en route pour la France : « Faut-il accepter cette colonisation ? La réponse est non. »
Coté jeunes, Wauquiez peut compter sur l’UNI, le très à droite syndicat étudiant qui, après le combat contre le blocage des facs, affirme vouloir lutter contre « l’islamisation » comme l’écrit son responsable Thibaud Hubert sur son compte Twitter(voir boîte noire). Celui-ci applaudit des deux mains le slogan « Pour que la France reste la France ». Selon lui, la ligne choisie par Wauquiez aurait permis à l’organisation de toucher de nouveaux étudiants, au-delà du centre-ville bourgeois. « Depuis l’arrivée de Laurent Wauquiez, on voit venir à l’UNI des étudiants qu’on n’avait pas avant, par exemple du Beaujolais ou des communes périphériques », avance le jeune étudiant en droit à Lyon III.
Dans sa lutte pour conquérir un espace à droite de Macron, Wauquiez compte bien s’implanter dans les communes de la périphérie lyonnaise, où le FN n’a cessé de gagner du terrain ces dernières années. Dans le dispositif, Alexandre Vincendet, le jeune maire de Rillieux-la-Pape – une ville de la banlieue nord de Lyon où se côtoient zones pavillonnaires et cités délabrées –, fait figure d’aiguillon. L’édile a ainsi fait voter, le 24 mai dernier, la suppression de différentes aides municipales aux familles de délinquants. Au jeune maire de Pierre-Bénite, autre ville de la banlieue lyonnaise raflée à la gauche, Laurent Wauquiez a fait cadeau – à destination de l’école du réseau Espérances banlieues, proche des catholiques traditionalistes – de la coquette subvention de 250 000 euros. Candidat aux législatives, le maire avait appelé les électeurs à se mobiliser pour « dire non au chaos migratoire ».
En posant ses valises à Lyon, Marion Maréchal, ancienne députée FN du Vaucluse, est clairement venue disputer à Wauquiez ce terrain. Dans son entourage, on se dit en effet convaincu qu’une partie de cette frange conservatrice a perdu confiance dans une droite qui l’aurait trop souvent trahie.
La poussée des identitaires – dont Marion Maréchal a toujours été proche –, avec la récente ouverture du Bastion social dans le Vieux Lyon, constitue un terrain évidemment favorable, mais la petite-fille de Jean-Marie Le Pen est surtout venue à Lyon à l’assaut d’une droite catholique radicalisée.
Le prêtre Michel Durand, connu à Lyon pour son engament dans l’accueil des migrants, observe depuis plusieurs années cette radicalisation des fidèles. « On est décontenancés par ce qui se passe et même un peu en souffrance de voir tant de jeunes se tourner vers le traditionalisme et l’extrémisme », raconte ce prêtre. « Si vous faites une manif contre le mariage pour tous, il y a foule. Pour les migrants, il n’y a pas grand monde », regrette-t-il.
« La drogue identitaire est celle qui est la plus prisée en ce moment sur le marché »
Dans la ville, certaines églises sont connues pour leur proximité avec la droite de la droite, voire avec l’extrême droite radicale. C’est le cas de l’église Saint-Georges, dans le Vieux Lyon, où la messe se fait en latin, les prêtres tournant le dos aux fidèles. « Il y a eu un mariage récemment dans l’église et les mariés sont venus faire la fête chez les identitaires à côté de ma boutique », raconte Philippe Carry, l’horloger de Saint-Paul, qui lutte contre l’implantation de ces groupuscules violents depuis près de huit ans et dont l’atelier a été vandalisé il y a quelques mois. Il sort avec consternation le sticker du Bastion social montrant la Vierge avec une kalachnikov.
Laurent Wauquiez, perçu comme un politique de l’ère Sarkozy, ne fait pas forcément recette chez ces jeunes catholiques avides de renouveau. Au café Simone, un lieu associatif fondé par les Alternatives catholiques, le jeune philosophe Camille Rhonat, très engagé au moment de la Manif pour tous, observe l’offensive du président de Région avec une certaine distance : « Wauquiez fait tout pour draguer la jeunesse catho, mais ça ne marche pas forcément. » Il se souvient que lors du pèlerinage du Puy, le 24 mars dernier, où étaient présents près de 800 jeunes, le président de LR avait demandé à faire un petit discours. « Il leur a fait la totale, les “valeurs”, “l’enracinement”, mais personne ne l’écoutait : le bide total. Ce sont des jeunes engagés dans la foi, qui n’aiment pas trop ces tentatives de récupération. »
Quartier de la Confluence, où va s’implanter l’école de Marion Maréchal. © LD
Il ne peut que constater autour de lui la popularité, par contraste, de Marion Maréchal. « Elle est très appréciée. Elle a du talent et c’est vrai qu’il y a, quand on pense à quelqu’un comme Wauquiez, un épuisement du mâle blanc quinquagénaire », ose-t-il. Dans son entourage, plusieurs universitaires ont été approchés pour donner des cours dans son école par l’équipe de Marion Maréchal, notamment les conseillers régionaux Antoine Melliès et Thibaut Monnier.
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La jeune retraitée de la vie politique a notamment démarché dans ce qu’il reste des réseaux de Charles Millon. L’ancien président de Région, qui avait fait alliance avec le FN en 1998, a longtemps rêvé d’une école de formation à la droite de la droite. « L’Issep n’arrive pas ici par hasard. C’est un projet qui est en attente depuis longtemps. Elle peut s’appuyer sur l’expérience de différents cercles de réflexion sur la formation des cadres », confirme un universitaire catholique contacté par l’entourage de Marion Maréchal, que Mediapart a rencontré mais qui souhaite rester anonyme.
Figure intellectuelle de la droite catholique et ami de Charles Millon, Jean-Noël Dumont a récemment rencontré Marion Maréchal. La démarche de l’ancienne députée, qui sollicitait ses conseils, lui paraissait intéressante. Celui qui a fondé en 1999 le Collège supérieur de Lyon, « un lieu de pensée libre, parallèle à l’université » ayant formé une partie de l’élite catholique lyonnaise, admet qu’il manque à Lyon « un bon institut de sciences politiques qui ne soit pas dans le moule idéologique dominant de la gauche pisse-tiède ». Il estime que son école devrait prendre pour modèle l’école d’Uriage, une école fondée sous le régime de Vichy avec l’objectif de former les cadres de la révolution nationale et dont une partie des cadres rejoindront finalement la Résistance. « Ils ont voulu créer une école politique sur des bases nouvelles. Pour elle, ce sera compliqué, car il y a un risque que le projet reste sur des bases partisanes, mais je souhaite qu’elle réussisse. Si elle parvient à créer une école de l’union des droites, Alléluia ! », lance-t-il avec malice.
Lyon pourrait-elle devenir la capitale de l’union des droites ? L’eurodéputée Mireille d’Ornano, qui représente en Rhône-Alpes Les Patriotes, le mouvement de Florian Philippot, n’y croit pas. « Tous mes amis LR me disent qu’ils ne s’allieront jamais avec le RN et c’est pareil de l’autre côté », souligne-t-elle. Les quelques tentatives de rapprochement, comme ce rassemblement du 26 mai dernier à l’initiative du délégué départemental du Parti chrétien-démocrate Olivier Pirra, censé faire dialoguer toutes les droites, n’a réuni qu’une poignée de personnes dans une brasserie lyonnaise. « L’union des droites, pour l’instant, se fait dans une cabine téléphonique », raille d’ailleurs un conseiller régional.
Entre Laurent Wauquiez et Marion Maréchal, malgré les rapprochements idéologiques, c’est donc une lutte pour le leadership à la droite de Macron qui semble déjà s’esquisser à Lyon. Pas sûr que le président de LR en sorte gagnant.
« La drogue identitaire est celle qui est la plus prisée en ce moment sur le marché et sur ce terrain, Wauquiez n’est clairement pas le meilleur produit », tacle Camille Rhonat.