La « une » anti-Mélenchon de « Challenges » crée des remous au sein de la rédaction
Les journalistes du magazine s’émeuvent d’une couverture qui serait, selon eux, un calque de celle consacrée à Marine Le Pen entre les deux tours de la présidentielle. Ils dénoncent un « passage en force ».
« Danger ! Déficit : + 203 milliards. Europe déstabilisée. Croissance menacée. Communautarisme ». Derrière cet avertissement apocalyptique apparaît une photo de Jean-Luc Mélenchon sur fond rouge. C’est ainsi que se présente la dernière « une » du magazine Challenges, parue le jeudi 9 juin. A la veille des législatives, alors que le député de La France insoumise rêve d’entrer à Matignon, cette couverture, « fidèle décalque de celle consacrée à Marine Le Pen entre les deux tours de la présidentielle », a ému la société des journalistes (SDJ), qui a dénoncé un « passage en force ». Le dernier numéro de l’hebdomadaire économique est le miroir inversé de celui du 13 avril, quand la fondatrice du Rassemblement national était représentée sur fond noir avec ce titre : « Danger ! »
« Sur Le Pen, on n’avait pas d’état d’âme, car le sentiment républicain jouait. Mais avec Mélenchon, on avance d’un cran dans l’engagement politique, alors que notre charte dit que l’on est un journal non partisan », dénonce une représentante de la SDJ. La rédactrice en chef, Ghislaine Ottenheimer, avait proposé de titrer : « L’illusionniste ». « Je trouvais qu’il y avait une dimension morale qui n’était pas de la même nature entre les deux candidats », justifie-t-elle.
Mais ce pas de côté, qui aurait évité le dos à dos – lequel « reprend les arguments de la majorité présidentielle », selon la SDJ –, a été refusé par la direction. « C’était moins fort du point de vue du marketing éditorial », assume Vincent Beaufils, le directeur de la publication. En interne, certains supposent que la direction a voulu frapper fort après le numéro sur Marine Le Pen, qui a attiré des dizaines de lettres de lecteurs mécontents.
« Voix hésitantes »
Admirateur d’Emmanuel Macron, le directeur de la publication, Claude Perdriel – à l’origine de la « une » avec Vincent Beaufils et le directeur de la rédaction, Pierre-Henri de Menthon –, se défend d’engager politiquement le journal, et affirme avoir été « d’une parfaite exactitude journalistique ». « Les deux “unes” n’ont aucun rapport. Marine Le Pen est un danger pour la République. Mélenchon un désastre sur le plan des dettes, même si son communautarisme est également un risque pour la République », poursuit-il. Vincent Beaufils corrobore : « Sur les déficits, l’Europe et la stabilité économique, je revendique que la menace est la même. »
Spécificité du journal, le principal actionnaire de Challenges a la haute main sur la couverture, une prérogative pourtant éditoriale. « Ça n’est écrit nulle part dans la charte, mais c’est une habitude de toujours », constate un journaliste. La « une » ne fait pas l’objet d’un débat interne, mais est discutée à sept. « Nous avons été informés des voix hésitantes, mais nous avons décidé à l’unanimité de maintenir la couverture », affirme Claude Perdriel, qui recevra la SDJ mardi 14 juin.