Face à l’extrême droite, la parade introuvable de la gauche
Depuis quarante ans, les partis cherchent la bonne méthode pour lutter contre l’extrême droite, en vain. Après le temps de l’union et du barrage républicain est venu celui du doute et des fractures idéologiques.
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par Charlotte Belaïch, Libé
Quarante ans plus tard, la gauche semble avoir rendu les armes. «En dehors des pieux appels au barrage, il n’y a plus de structures organisées pour lutter», regrette Joséphine Delpeyrat, porte-parole de Génération·s et cofondatrice de l’Observatoire national de l’extrême droite, qui tente de «remettre de l’huile dans le moteur». «Il y a aussi une lassitude de la population, poursuit-elle. En 2002, tout le monde était dans la rue. Cette révolte populaire n’existe plus*»
«Prise de conscience du danger»
Trois présidentielles plus tard, beaucoup de politiques se sont fait à l’idée qu’une autre Le Pen serait forcément au second tour. «Ils concentrent donc les attaques contre le favori de l’autre camp», analyse Jean Garrigues. D’autant plus que le scénario du duel avec le FN a quelque chose de confortable : grâce au plafond de verre qui surplomberait Marine Le Pen, ce serait la victoire presque assurée. Une théorie de plus en plus contestée, notamment par l’étude de la Fondation Jean-Jaurès. «La victoire la plus probable, c’est celle de l’extrême droite, affirme David Cormand. Il y a une prise de conscience du danger, mais c’est comme avec le changement climatique, au moment où on va vraiment y croire, il sera trop tard*.»
En réalité, selon certains, même quand elle brandissait des affiches contre le racisme, la gauche jouait déjà avec le feu. «La faute originelle, c’est 1986», tranche Cormand. Soit l’instauration de la proportionnelle par Mitterrand, qui a permis au FN de faire élire 35 députés. «En pensant affaiblir les autres droites, la gauche a réveillé l’extrême droite», juge l’ancien secrétaire national des Verts.
Maintenant que le Front national a grimpé, le combat est plus compliqué à mener et ses représentants, invités sur tous les plateaux, difficiles à contrer. «On a du mal à les considérer comme des adversaires politiques comme les autres, admet Gabrielle Siry, porte-parole du PS. On n’est pas sur de l’argumentation rationnelle, ils sont dans l’invective permanente et cette forme de rhétorique est très adaptée au système médiatique,* donc c’est dur de faire face.»
Autre difficulté : «Les idées du Rassemblement national se sont tellement diffusées que le combat est devenu plus global*, affirme le député La France insoumise Eric Coquerel. Les droites libérales et extrêmes se nourrissent. C’est même allé jusqu’à une partie de la gauche.» Comme souvent lorsque la gauche qui considère être restée à quai parle de la dérive de sa moitié, Coquerel pointe du doigt Manuel Valls. Cormand, lui, remonte plus loin. En 1984, lorsque Laurent Fabius, Premier ministre socialiste, affirme que «le FN pose les bonnes questions mais n’apporte pas les bonnes réponses». «C’est révélateur, estime l’eurodéputé. La gauche commence à intérioriser l’idée selon laquelle il faudrait accepter une partie du récit de l’extrême droite pour s’adresser aux classes populaires et va donc aller sur son terrain idéologique. A partir de là, petit à petit, c’est la dérive des continents.»
«On voit bien que ça ne marche pas»
Ne formant plus bloc, les gauches entrent aujourd’hui en collision au moindre débat sur la laïcité ou l’universalisme. Les sujets mis en avant par l’extrême droite sont ainsi devenus un facteur de division plus que de mobilisation. «Pour mener un combat contre un parti idéologique comme le FN, il faut donner une apparence d’unité, s’agace Gérard Le Gall, ancien responsable des études d’opinion au PS. Dans les années 90, on faisait des réunions qui réunissaient tout le monde, de la LCR [Ligue communiste révolutionnaire, ndlr] au PS, avec tous les groupuscules anti-FN.» Mais Le Gall n’enjolive pas : «On voyait bien que ce n’était pas efficace. Depuis trente ans, on ne sait toujours pas par quel angle contrer le FN : l’économie, le racisme, son histoire ?»
«Les concerts où on dit “FN salauds”, le bien, le mal, le propre… on voit bien que ça ne marche pas», affirme le sénateur PS du Val-d’Oise Rachid Temal. «On dit que Marine Le Pen a tort sans proposer autre chose, les gens en ont marre*», admet Joséphine Delpeyrat.
Mais pour convaincre les électeurs RN, encore faut-il savoir leur parler. «La gauche a mis beaucoup de temps à admettre qu’une partie de son électorat virait vers le FN alors que c’était visible dans les études d’opinion dès les années 90», raconte Le Gall. Et rares sont ceux qui, une fois la fuite constatée, ont voulu récupérer ces électeurs égarés. C’est la théorie d’une note polémique de Terra Nova, qui, en 2011, prenait acte du divorce de la gauche et de la classe ouvrière et proposait de miser sur un «nouvel électorat» composé de «diplômés», de «jeunes» ou encore de «minorités».
Depuis que Jean-Luc Mélenchon a quitté les socialistes, il tente de son côté de récupérer cet électorat. Et d’éviter que des abstentionnistes finissent par voter FN lorsqu’ils reprendront le chemin des urnes. En 2012, il en avait fait un axe central de sa campagne présidentielle, multipliant les débats avec Marine Le Pen avant de choisir de l’affronter aux législatives dans le Pas-de-Calais. Même chose en 2017 avec le «populisme de gauche». Depuis la polémique sur les réunions non mixtes de l’Unef fin mars, le chef des insoumis répète que si l’addition de logos partisans n’est pas une formule magique, il faut faire front commun contre l’extrême droite pour gagner du terrain dans la bataille culturelle. Début avril, à l’Assemblée, il s’est levé avec des élus insoumis et communistes quand Le Pen a pris la parole. Mais à côté du combat fratricide qui occupait la gauche sur ces réunions non mixtes, la séquence est passée inaperçue.
* Termes mis en gras par mes soins