Europe, les extrêmes droites et les droites dures
Contagion et Compatibilité ?
Bien qu’elle les dénonce comme un mal à combattre, l’UE s’accommode très bien des extrêmes droites et des droites dures, qu’elles atteignent le pouvoir (Autriche, Italie, Hongrie, Finlande….), ou qu’elles aient un poids parlementaire suffisant pour peser sur la gouvernance d’un pays (lire article Protéiformes, les extrêmes droites progressent partout en Europe, Médiapart, 3 sept 2018), pourvu que les piliers du néo-libéralisme sur lequel elle s’est construite ne soient pas remis en cause. Qu’un pays ne respecte pas les règles de Maastricht, et la fameuse des 3% de déficit public (incluant collectivités locales et comptes de la sécurité sociale) par rapport au PIB, et l’armada de l’union se met branle, la Grèce en fait l’amère expérience, l’Espagne et le Portugal – seuls pays où l’extrême doit est absente, ou tout au moins, très insignifiante – ont souffert des prescriptions bruxelloises, et en souffre encore (érosion des droits des salarié-es, diminution drastique du niveau des retraites, remise en cause de systèmes de protection, etc…). Sur le champ économique, il n’a pas de clivage majeur entre l’UE et les extrêmes droites ou droites dures (voir article ci-dessous Contre l’Europe des barbelés et l’Europe du capital, La Révolution Permanente, ou encore l’article Libéralisme et populisme, faux clivage, le Monde Diplomatique, septembre 2018).
L’Europe n’avait-elle pas pris des sanctions – certes très symboliques (suspension de toutes relations bilatérales)- contre l’Autriche en 2000 alors que le parti d’extrême-droite de Joerg Haider, le Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ) ou parti de la liberté, venait de faire son entrée au gouvernement ? Aujourd’hui, alors que son gouvernement est constitué d’une coalition entre un parti conservateur réactionnaire et ce parti d’extrême-droite, le FPÖ, qui a obtenu pas moins de six porte-feuilles ministérielles, et pas des moindres (l’intérieur, la défense et les affaires étrangères), l’Autriche est venu en juillet dernier assumer la présidence de l’Europe dans un silence assourdissant de l’UE, et de sa principale institution, la commission européenne. Et on ne peut pas dire que les chefs d’État de l’UE ou leur porte-parole aient vampirisé les médias pour dénoncer cette nouveauté, c’est toute de même la première fois qu’un gouvernement franchement xénophobe, qui fleure bon le fascisme, prend la tête de cette Europe de la paix. Il est vrai que tout cet été, c’est la gestion des flux migratoires qui a occupé nos gouvernements : chacun dénonçant l’autre, se renvoyant la balle, Macron tirant à boulets rouges sur Salvini, etc…
Quand le président italien Sergio Mattarella a bloqué la formation d’un gouvernement de coalition Ligue-5 étoiles, l’UE s’est largement rangé derrière lui, les médias parlaient déjà de la possibilité d’organiser de nouvelles élections. Mais ce n’était pas la présence de l’extrême droite et du tonitruant Salvini comme vice-président et ministre de l’intérieur, qui a mobilisé l’UE et ses porte-voix, non c’est la proposition de nommer Paolo Savona au ministère de l’économie. Il présentait l’énorme défaut d’être un eurosceptique convaincu et d’avoir affirmé vouloir renégocier un certain nombre de traités économiques, piliers de l’Europe néolibérale. Un ministre euro compatible a été nommé depuis, et Salvini peut clamer son discours raciste. Et durant l’été, le ministre bavarois de l’intérieur peut recevoir en grande pompe son collègue autrichien, Herbert Kickl, ancienne plume de Joerg Haider. Le 12 juillet dernier, lors d’une réunion où étaient conviés ses homologues européens, celui-ci a proposé de supprimer le droit d’asile. Tout va bien…
Tant qu’on peut faire du business… et si on peut en faire davantage…. Privatisons, privatisons. Les pays d’Europe avaient en commun, certes à des degrés divers, d’avoir des services publics développés (énergie, transport, communication, éducation, santé…). Services publics,biens communs, qu’on aurait pu mettre en commun. On aurait pu penser à leur donner une dimension européenne, tout en respectant des spécificités, ç’aurait été tiré un trait d’union entre tous les citoyens et citoyennes de la communauté européenne, au lieu de ça, on a privatisé. Le profit avant tout. Demain les hôpitaux seront si délabrés par manque de financement qu’il paraîtra tout naturel de les privatiser. Dans l’éducation, c’est largement entamé en Suède, au Royaume Uni, et le privé ne s’est jamais si bien porté en France. Le profit d’abord, et tant pis si les extrêmes droites progressent sur le terreau de la misère (tant matérielle que sociale), sur la peur du déclassement et sur l’atomisation d’une société où règne l’argent Roi. Que l’AfD et Pégida aient une telle audience dans le land de Saxe et cette ville, Chemnitz, maintenant devenu célèbre, est tout sauf lié au hasard, pas plus qu’il n’est lié à un déterminisme culturel Pour des raisons de maîtrise budgétaire, une réforme des administrations et services publics a été mis en place en 2015 en Allemagne, elle a eu pour résultat d’éloigner encore davantage les citoyens et citoyennes de ces services, bien des structures ayant fermé la clé principales de répartition des fonctionnaires et de leurs administration étant la population, les lands de l’ex-RDA qui ont vu leur territoire se vider de générations entières ont été les premières victimes de cette réforme. (voir aussi article Chemnitz, ville symbole, Libération, 3sept).
AC
PS : les manifestations de Chemnitz où s’affrontent les troupes de l’AfD et Pégida et les manifestants anti-fascistes, depuis une quinzaine de jours maintenant, semblent enfin avoir éveillé les médias français sur le problème des extrêmes droites en Europe. Ainsi, ce fut le thème des matins de France Culture mardi 4 septembre avec pour invité Yascha Mounk,Professeur de théorie politique à Harvard. Toute cette semaine, toujours sur France Culture,le thème de l’émission Matière à penser (22h15) est l’Europe vue de France, la question des extrêmes droites n’a pu être évité, elle était même au cœur des discussions de ce soir qui avaient pour invités Nicole Gnesotto,présidente du conseil d’administration de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, et Pascal Lamy que l’on ne présente plus. Il fut cocasse d’entendre ce dernier dénoncer les excès de la mondialisation et la faiblesse des réglementations. Et il fut surtout regrettable que ces deux intervenants n’aient perçu qu’entre le libéralisme proposé par Emmanuel Macron et la xénophobie des partis d’extrêmes droites, il y ait une troisième voie qui reste certes encore à étayer et à réfléchir mais que des partis comme Dis Linke, Podémos, ou la France Insoumise portent le germe. Coté presse, alors que la semaine passée, je ne trouvai qu’un court article sur Courrier Internationale sur les manifestions de Chemnitz, il y a cette semaine pléthore d’articles sur la question. Arte propose aussi la rediffusion d’un très bon documentaire sur les groupes identitaires en Europe. Vous trouverez le lien pour le visionner après la revue de presse.
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CONTRE L’EUROPE DES BARBELÉS ET L’EUROPE DU CAPITAL
Entre Orban, Salvini et Macron, faut-il vraiment choisir ?
C’était bel et bien la lie de l’extrême droite européenne qui était réunie, mardi soir, à Milan. Avec un léger détail : Matteo Salvini, de la Ligue, et Viktor Orban, de Fidesz, sont au pouvoir, en Italie et en Hongrie. Une situation qui aurait semblé improbable il y a une dizaine d’années encore. Ils ont donc vomi devant les journalistes réunis pour l’occasion une longue litanie xénophobe et raciste, prenant à partie Emmanuel Macron, qualifié de « chef des partis promigrants ». Depuis Copenhague, où il est en déplacement, Macron leur a répondu, en substance, que l’alternative, c’était entre eux, les « nationalistes », et son camp à lui, celui des « progressistes ». Vraiment ?
Jean-Patrick Clech , mercredi 29 août, La Révolution Permanente
Crédits illustration : Regards.fr
Tout un programme : c’est à la Préfecture, le siège des flics, à Milan, que Salvini, ministre de l’Intérieur et homme-fort du gouvernement italien, a décidé de recevoir le Premier-ministre hongrois, Orban, pour ce qui ressemble fort au lancement de la campagne pour les élections européennes de mai 2019. Peu importe que les deux homes ne soient pas raccord sur tout ou que l’Italie ne fasse pas partie du groupe Visegard (des pays est-européens les plus réfractaires aux directives de Bruxelles en matière migratoire) : ils sont d’accord sur l’essentiel, à savoir tirer à boulet rouge sur les migrants, les réfugiés, les étrangers, considérés comme la plaie des nations et des peuples. L’objectif des deux hommes est de hérisser des murs de barbelés aux frontières terrestres ou de fermer les ports aux migrants.
Peu importe, par ailleurs, si le « problème des réfugiés » est absolument inexistant en Hongrie et que la question soit purement instrumentalisée par Orban sur fond de racisme et d’islamophobie à finalités électorales. Peu importe également, pour les deux hommes, que ces mêmes migrants ou étrangers soient absolument essentiels pour le patronat du Piémont, de Lombardie et de Vénétie, les fiefs de Salvini, où ils constituent une partie fondamentale de la main d’œuvre industrielle et la majeure partie des travailleurs agricoles saisonniers dans le Sud du pays. L’idée des deux nazillons, c’est avant tout de trouver des boucs-émissaires responsables du fait qu’il n’y aurait, selon Orban plus de « droit au travail, à la santé et à la sécurité » pour les « vrais » Européens. Mais également de trouver des « complices » de ces migrants, qui seraient la Fondation Soros et le gouvernement Macron. Comme d’habitude, chez Orban, xénophobie et antisémitisme, critique du mondialisme et du « cosmopolitisme » sont toujours mêlés, comme dans les années Trente. Salvini, qui pour l’occasion, s’était épinglé le vieux badge de la Ligue du Nord à la boutonnière de sa veste, opinait du chef.
Par médias interposés, Macron leur a répondu, mercredi, en se posant comme chef-de-file des « progressistes » contre les « nationalistes » et comme principal rempart contre les populistes de droite. Il serait assez cocasse, si tout cela n’était tragique, de constater comment c’est sur la peau des migrants et, plus largement, des travailleurs « étrangers », que règlent leurs compte, à grand coup de démagogie, les partisans de l’Europe forteresse à la Macron et les partisans de l’Europe des barbelés à la Salvini-Orban, entre les partisans de l’Europe du grand capital coordonnée par Bruxelles prônée par l’ancien banquier et l’Europe des capitalistes nationaux défendue, plus ou moins ouvertement, par Salvini, Paolo Savona, le ministre des Affaires européennes italien, et par Orban.
Le chantage de Macron, qui consiste à dire qu’il y aurait d’un côté la « démocratie » et les valeurs universelles et, de l’autre, la xénophobie et les nationalismes, reprend le chantage « républicain » du second tour des présidentielles du printemps 2017 qui l’a opposé à Marine Le Pen. Sur la question des migrants, comme pour les européennes, il n’y a pas à choisir entre Macron, Salvini, Orban ou leur amie française, Marine Le Pen. Il faut défendre, à l’inverse, une alternative des travailleurs et de la jeunesse et réellement internationaliste, qui défende la seule solution qui soit face à l’austérité bruxelloise et au repli national (qu’il soit très marqué à droite ou soi-disant de gauche), à savoir une alternative anticapitaliste et révolutionnaire pour une Europe des travailleurs et des peuples, les Etats-Unis socialistes d’Europe.
Dans la rue, à Milan, ce sont 15.000 personnes, des jeunes, des travailleurs et des militants qui ont dit leur opposition à la peste brune, ce mercredi. Contre le venin raciste et le rouleau-compresseur libéral-macronien, qui lui ouvre la voie, c’est dans la perspective d’une mobilisation d’ensemble qu’il faut travailler, pour les européennes, et au-delà.