Autriche: coopération avec l’extrême droite?…

 

«En Autriche, une coopération avec l’extrême droite n’a jamais été taboue»

Par Peter Esser
Heinz-Christian Strache, le leader du FPÖ, ici lors d'un meeting à Vienne, le 13 octobre.
Heinz-Christian Strache, le leader du FPÖ, ici lors d’un meeting à Vienne, le 13 octobre. Photo : Joe Klamar. AFP

 

Un parti populiste, islamophobe et eurosceptique a de très bonnes chances de participer au prochain gouvernement autrichien. Comment on en est arrivé là ?

Interview avec Laurenz Ennser-Jedenastik, politologue à l’université de Vienne.

Les populistes de droite du FPÖ sont crédités de plus d’un quart des votes dans les derniers sondages, ce qui rend fort probable leur participation au gouvernement à l’issue des élections de ce dimanche. Malgré des révélations sur le passé néonazi du chef du parti Heinz-Christian Strache, nonobstant des propos violemment anti-musulmans et eurosceptiques, le FPÖ est fermement ancré dans le paysage politique de l’Etat alpin. Interview avec Laurenz Ennser-Jedenastik, politologue à l’université de Vienne.

Comment est-on arrivé à cette banalisation du parti d’extrême droite en Autriche ?

Une banalisation n’a même pas été nécessaire. Depuis au moins 35 ans, le FPÖ joue un rôle incontournable dans la politique autrichienne. Les nationalistes n’ont jamais été marginalisés ou diabolisés, comme cela a été le cas dans bien d’autres pays européens, notamment en Allemagne. Une coopération avec l’extrême droite n’a jamais été taboue, ni pour les chrétiens-démocrates de l’ÖVP ni même pour les sociaux-démocrates du SPÖ. La première fois que le FPÖ a participé à la formation d’un gouvernement remonte à 1970, quand le SPÖ a formé un gouvernement minoritaire avec le soutien des nationalistes [dont le chef était à l’époque un ex-officier de la Waffen-SS, ndlr]. Puis, il y a eu une coalition SPÖ-FPÖ entre 1983 et 1986 et une coalition ÖVP-FPÖ de 2000 à 2006. On peut dire que la montée des populistes de droite dans les pays européens et leur entrée dans l’exécutif, par exemple en Finlande, confronte l’Europe avec une réalité qui existe en Autriche depuis longtemps.

La situation actuelle n’a rien de nouveau alors ?

Il n’est pas nouveau qu’une alliance avec l’extrême droite soit la seule alternative à une «grande coalition» du SPÖ et ÖVP. Une majorité à gauche du centre n’a jamais existé. Ce qui est remarquable toutefois, c’est la disposition actuelle du FPÖ. Si sa dernière participation au gouvernement a été traumatique à cause de nombreux conflits au sein du parti, il s’en est bien remis. Aujourd’hui, le FPÖ est très stable au niveau du personnel, très homogène d’un point de vue idéologique et organisé de façon plus professionnelle que jamais. Cette fois, la participation au gouvernement pourrait ne pas se terminer en catastrophe pour eux.

Le passé néonazi du chef du FPÖ, Heinz-Christian Strache, dérange-t-il les électeurs ?

Apparemment, cela ne pose pas trop de problèmes. De toute façon, c’est un secret de polichinelle. De temps en temps, les médias sortent quelques nouveaux détails de plus, mais en réalité, tout le monde sait que Monsieur Strache a côtoyé des milieux néonazis dans sa jeunesse. Ce n’est pas si scandaleux que ça. Il ne faut se faire aucune illusion : en Autriche, l’analyse critique du passé nazi du pays ne s’est pas faite de façon aussi conséquente qu’en Allemagne.

L’Autriche risque-t-elle de se retrouver politiquement plus proche de la Pologne et de la Hongrie que de l’Allemagne ou de la France après les élections de dimanche ?

Selon certains sondages, un grand nombre d’Autrichiens se prononcent en faveur d’un homme fort au pouvoir. Ce qui peut être inquiétant. Mais finalement, ce n’est pas l’opinion publique qui provoquerait l’érosion de la démocratie. Pour cela, il faudrait affaiblir les institutions et leur capacité à défendre les valeurs de la liberté. En Pologne et en Hongrie, les populistes ont pu s’attaquer à la justice et aux médias pour influencer la société civile. En Autriche, les barrières institutionnelles sont plus hautes, par exemple les majorités parlementaires nécessaires pour des réformes constitutionnelles. J’observe pourtant des dérives préoccupantes, telle la proposition du FPÖ de sortir de la convention européenne des droits de l’homme.

Peter Esser