Zemmour: normalisation du Régime de Vichy

« La tentative d’Eric Zemmour de normaliser Vichy vise à masquer son véritable projet : mettre à bas la République »

Même s’ils peuvent être discutés, n’oublions pas que l’Etat de droit et les institutions bâties après guerre constituent les fondements du contrôle de l’exercice des pouvoirs, du vivre-ensemble et de la paix sociale, rappelle Philippe Bernard, éditorialiste au « Monde ».

Publié le 6 novembre, Temps deLecture 4 min.

FRANCE-POLITICS-PROTEST

Une affiche montrant le polémiste d’extrême droite Eric Zemmour à Saint-Herblain (Loire-Atlantique), le 30 octobre 2021. SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP

Chronique. Collision de l’actualité : alors que le 11 novembre, Hubert Germain, le dernier des compagnons de la Libération, mort à 101 ans, va être inhumé au Mont-Valérien, lieu d’exécution des résistants et des otages par les nazis durant l’Occupation, la précampagne de l’élection présidentielle est secouée par un polémiste qui accuse les résistants d’avoir « poussé [la France] à la guerre civile » en tuant des collaborateurs, et affirme que « Pétain a sauvé les juifs français *». Répétées, de telles affirmations scandaleuses n’ont pas pour seule fonction d’assurer une présence permanente dans les médias et les réseaux sociaux. Elles flattent les milieux ultranationalistes et la France rance, émoustillés par le spectacle d’une personnalité revendiquant son identité juive, faisant cause commune avec les héritiers du théoricien de l’antisémitisme Charles Maurras.

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Mais, surtout, en s’attaquant de façon obsessionnelle à Vichy et à l’histoire de l’Occupation, sujets inattendus dans une course 2022 à l’Elysée, Eric Zemmour envoie un autre message : l’Etat français et l’effondrement de la République en 1940-1944 ne constituent pas une période honteuse de notre histoire. Sa tentative de normaliser Vichy vise en réalité à masquer et à banaliser son véritable projet : mettre à bas non seulement la Ve République, mais la République tout court. « Il souhaite lever le tabou de Vichy afin de rendre acceptable un projet de détricotage de l’Etat de droit et d’exclusion des minorités », résume l’historien Laurent Joly.

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L’idée même selon laquelle la Constitution, clé de voûte de l’ordre juridique républicain, ne résisterait pas à un choc mettant en cause la nation, n’est-elle pas tragiquement illustrée par le vote du Parlement qui, le 10 juillet 1940, par 569 voix contre 80, a confié à Pétain le pouvoir de donner au pays une nouvelle loi fondamentale, des « actes constitutionnels » abolissant la République, qui ouvriront la voie au « statut des juifs » d’octobre 1940, introduisant le concept de « race juive » qui n’avait aucun précédent dans le droit français ?

Jeter aux orties la Constitution

Aujourd’hui, M. Zemmour ne le cache pas : le plan de renvoi massif des immigrés, supposé « sauver la France » et qui est « très clair dans [sa] tête », n’est applicable « que si on se débarrasse des contraintes de la Cour européenne des droits de l’homme [CEDH], (…), du Conseil constitutionnel », disait-il sur le plateau d’« On est en direct », sur France 2, le 11 septembre. « Se débarrasser du Conseil constitutionnel » ? Cela revient à jeter aux orties la Constitution dont le Conseil est le gardien. « Se débarrasser » de la CEDH ? Cela conduit à abolir les droits fondamentaux intégrés dans le droit français. Pas seulement celui sur le « droit au respect de la vie familiale », particulièrement visé puisqu’il concerne, entre autres, le regroupement familial des étrangers. Mais aussi l’article qui garantit le droit à un « procès équitable », dont Eric Zemmour lui-même n’hésite pas à se prévaloir − comme d’ailleurs Nicolas Sarkozy − pour mettre en cause l’impartialité de ses juges après une condamnation pour « provocation à la haine religieuse ».

Quant au projet de Marine Le Pen d’inscrire la « priorité nationale » dans la Constitution, il suppose de renoncer à six articles de notre loi fondamentale, à commencer par le premier qui dispose que la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Sous des dehors plus présentables, la candidate du Rassemblement national (RN) abandonne en réalité l’essentiel du préambule de la Constitution de 1946 intégré à celle de 1958, qui garantit notamment le droit d’asile.

Un préambule qui s’ouvre par cette phrase emblématique : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. » Une superbe universalité, dont se réclament aujourd’hui ceux qui voient du « wokisme » et du dénigrement de la France derrière toutes les formes de dénonciation de l’empreinte post-coloniale dans les manifestations du racisme, mais que les mêmes appellent à abattre pour faire des immigrés les boucs émissaires de toutes les colères.

Amnésie voire cynisme

Que des leaders d’extrême droite militent, même de façon subliminale, pour se débarrasser de la République n’est guère étonnant. Mais que des responsables politiques se réclamant du gaullisme leur emboîtent le pas reflète au mieux une amnésie historique − le « plus jamais ça » de l’après-1945, passé par pertes et profits −, au pire un terrible cynisme. Le cas le plus spectaculaire est celui de Michel Barnier. Le candidat à l’investiture Les Républicains connaît mieux que quiconque le poids, dans le désastreux référendum britannique sur le Brexit, qu’a eu le slogan « take back control » justifiant la rupture avec l’Union européenne par la volonté de stopper l’immigration et nourrissant une flambée de nationalisme anglais. Tranquillement, il reprend à son compte la rhétorique qu’il a combattue à Bruxelles en promettant le retour à une « souveraineté juridique » afin de ne plus « être soumis », en matière d’immigration, aux arrêts de la CEDH.

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L’Etat de droit et les principes humanistes conquis et codifiés après la seconde guerre mondiale et les institutions bâties pour les faire respecter ne sont pas des monuments historiques intouchables(1). Ils doivent être discutés, réinterprétés, actualisés. Mais sans oublier qu’ils constituent les fondements d’un contrôle de l’exercice des pouvoirs, d’un vivre-ensemble et d’une paix sociale précisément façonnés pour substituer durablement, en Europe, le règne du droit et du dialogue à celui de la violence et de la force. Hubert Germain et les 1 037 autres compagnons de la Libération peuvent se retourner dans leur tombe. Les fantômes des démons qu’ils combattaient ressurgissent.