Vox fait son entrée au parlement espagnol

Vox, l’extrême droite espagnole, fait son entrée au parlement

Pour la première fois depuis la mort de Franco, un parti d’extrême droite fait son entrée au Parlement espagnol à l’issue des élections législatives, avec 24 députés élus.

Par Sarah Halifa-Legrand, L’Obs

Publié le 28 avril 2019 à 09h08

Et voilà, c’est au tour de l’Espagne. Un parti d’extrême droite entre au parlement à l’issue des élections législatives de ce dimanche 28 avril, marquées par une importante participation. Dans la soirée, des centaines de sympathisants du parti d’extrême droite espagnol Vox ont salué dimanche la « révolution des gens normaux » provoquée par l’entrée du parti au Parlement espagnol, malgré un résultat qu’ils jugent décevant.

Sur la place Margaret Thatcher dans le centre de Madrid, des « Viva España » ont fusé à l’annonce de l’entrée, avec 10% des voix et 24 élus sur 350, du parti fondé en 2013 à la chambre des députés.

C’est une première depuis la mort du dictateur Francisco Franco en 1975. Comment ça, l’Espagne n’était donc pas immunisée ?, se demande-t-on. On avait eu la même réaction au moment de l’entrée en parlement du parti d’extrême droite allemand Alternative für Deutschland (AfD) en 2017. L’Allemagne n’était donc pas devenue à jamais imperméable aux fachos ?

Contre la « droite lâche »

En réalité, l’extrême droite espagnole n’a jamais cessé d’exister. Mais elle avait été absorbée par le Parti populaire (PP), tout comme les partisans de la ligne dure avaient été maintenus dans le giron de la CDU et surtout de la CSU en Allemagne. La nouveauté, c’est donc que l’extrême droite espagnole a décidé de faire désormais bande à part. Ses électeurs comme ses cadres sont des déçus du parti conservateur, jugé trop mou sur toute une panoplie de sujets, cette « petite droite lâche » comme le président de Vox, Santiago Abascal, surnomme le Parti populaire dont il est lui-même issu. Voilà pour la première particularité de cette extrême droite espagnole qui semblait surgie de nulle part.

Mais d’où vient sa soudaine popularité ? Faut-il y voir comme en Allemagne une réaction aux arrivées de migrants qui ont désormais fait de l’Espagne leur premier pays d’entrée en Europe depuis que l’Italie de Matteo Salvini a fermé ses portes ? Entre le 1er janvier et le 14 avril, 7 588 migrants sont entrés en Espagne selon Madrid, soit 41 % de plus qu’en 2018.

Anti-migrants, certes, mais aussi anti-islamistes, anti-avortement, anti-mariage homo, anti féministes, anti-cosmopolites, bref, xénophobe, ultraconservateur et nationaliste, Vox ressemble sur de nombreux aspects à ses homologues européens d’extrême droite. Mais il a une spécificité propre au contexte espagnol : il est avant tout anti-séparatistes.

Contre les séparatistes

Vox doit sa forte progression à la crise catalane. Nostalgique de la conception franquiste de l’Espagne une et indivisible, l’« España UnaGrandey Libre », il prône une recentralisation totale du pays, et donc la fin de l’autonomie des régions espagnoles, qui sont « le cancer du pays », dit Santiago Abascal, et l’interdiction des partis indépendantistes catalans, basques, et autres, « qui veulent casser ce que nous avons de plus précieux : la patrie ». Il entend ainsi en finir avec le modèle qui a fait le succès de la transition démocratique espagnole, un système territorial fortement décentralisé qui a instauré dix-sept gouvernements et Parlements régionaux bénéficiant de degrés plus ou moins avancés d’autonomie.

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Santiago Abascal , leader de Vox durant la campagne des législatives

Alors, depuis la tentative ratée de sécession menée en Catalogne en octobre 2017, il se sent pousser des ailes. Il est porté par la colère et l’incompréhension du reste de l’Espagne face à la fièvre indépendantiste qui a gagné une partie des Catalans. Avec la crise catalane, il est passé de 3 000 à 18 000 membres, note Astrid Barrio, professeure de sciences politiques à l’Université de Valence. Il en compterait aujourd’hui 40 000.

C’est d’ailleurs Vox qui représente l’accusation populaire au procès qui se joue en ce moment à Madrid contre plusieurs leaders du séparatisme catalan, accusés d’avoir organisé le référendum d’autodétermination du 1er octobre 2017, car c’est lui qui a déposé les premières plaintes contre eux. Ce qui lui a offert une tribune de choix à l’approche des élections.

Une alliance avec la droite ?

Son anti-catalanisme est l’une des clés de son succès enregistré déjà en décembre dernier lors des élections régionales en Andalousie. Vox avait empoché 11% des voix. Il était alors devenu le premier parti d’extrême droite à entrer dans un parlement régional depuis la mort de Franco. Le Parti populaire et Ciudadanos (centriste) ont alors fait alliance avec lui pour faire basculer à droite cette région, la plus peuplée d’Espagne, tenue par la gauche. Car ce qui rassemble ces trois partis, c’est justement la question catalane : tous partagent fondamentalement une ligne intransigeante vis-à-vis des séparatistes. Pas de cordon sanitaire autour de Vox, donc.

Cette fois, les conservateurs du Parti populaire (PP) ont en effet perdu la moitié de leurs sièges, et retombent à 66 députés, contre 137 en 2016. Les libéraux de Ciudadanos ont réussi une belle percée, passant de 32 à 57 députés.

Même en s’alliant à Vox, le PP et Ciudadanos ne pourront donc pas rééditer au niveau national le succès qu’ils ont obtenu en décembre aux élections régionales d’Andalousie, où ils ont chassé les socialistes de leur fief.

Mais, au-delà, c’est toute l’extrême-droite européenne qui va se réjouir du résultat de Vox. Eux se fichent bien des spécificités locales et du sort des Catalans. Ils ne voient là que de nouveaux alliés potentiels pour peser dans le prochain parlement européen. Car Vox est crédité de 10% des voix aux élections européennes.

Sarah Halifa-Legrand