Etats-Unis : l’extrême droite à visage découvert

Partisans de la suprématie blanche, nostalgiques du Sud confédéré et néonazis ont défilé dans les rues de Charlottesville, en Virginie, vendredi et samedi. Les participants de cette démonstration de force ne craignent plus de s’afficher.
Quarante ans après que la Cour suprême a autorisé, sous couvert de la liberté de rassemblement, le parti nazi américain à défiler dans la petite ville de Skokie (Illinois), le pire de l’extrême droite américaine a remis ça. Et ce, à moins de 200 km de Washington, la capitale fédérale, dans la petite ville de Charlottesville (Virginie), où ont défilé, dans un rassemblement d’une ampleur inédite depuis au moins une décennie, diverses phalanges extrémistes, protégées par des milices surarmées et entourées par des centaines de contre-manifestants antiracistes, dont les sections locales du mouvement Black Lives Matter. Le bilan, tant humain que symbolique, est lourd : une voiture a foncé dans la foule, tuant une femme et faisant une vingtaine de blessés parmi les opposants, dont cinq dans un état critique, et le président américain a peiné à choisir un camp, condamnant dans un premier temps les violences «des diverses parties»(lire ci-contre). Il y a deux semaines, la chaîne HBO annonçait sa prochaine série transgressive, mitonnée par David Benioff and D.B. Weiss, le duo derrière Game of Thrones. Le titre ? Confederate. Le concept : à quoi l’Amérique moderne ressemblerait-elle si le Sud esclavagiste avait gagné la guerre de Sécession ? Polémique instantanée. Pourquoi donner chair aux fantasmes des suprémacistes, revigorés par l’élection de Donald Trump, demandaient plusieurs figures de l’intelligentsia noire, dont l’écrivain Ta-Nehisi Coates. Dans une tribune très relayée en ligne, l’auteur du best-seller Une colère noire mettait la chaîne câblée en garde : dans l’Amérique trumpiste, la «cause perdue», comme l’appellent les nostalgiques de la Confédération, ne l’est pas pour tout le monde. Les événements du week-end lui ont donné raison. Baptisé «Unite The Right», le rassemblement avait pour but de faire fusionner la myriade de factions composant le «nationalisme blanc» autour d’un même symbole : le général Lee. Depuis le meurtre de neuf paroissiens noirs dans leur église de Charleston par Dylann Roof, un suprémaciste de 21 ans obnubilé par la quincaillerie confédérée, de nombreuses bourgades sudistes ont décidé de se défaire des symboles du vieux Sud dans l’espace public. C’est ainsi qu’en février, le conseil municipal de Charlottesville a voté le démontage et la vente de la statue équestre du général, ainsi que le changement de nom du square du centre-ville où celle-ci trônait, le Lee Park, rebaptisé Emancipation Park.
Clique néonazie
Depuis cette décision, l’alt-right, excroissance juvénile et décomplexée du suprémacisme blanc qui a construit sa notoriété en faisant campagne sur les réseaux sociaux pour Donald Trump durant l’élection de 2016, a décidé d’en faire son combat. En mai, Richard B. Spencer, inventeur autoproclamé de l’alt-right, a mené une première parade nocturne, torches en main, au pied du monument. Le 8 juillet, cinquante membres du Ku Klux Klan faisaient de même, repoussés par la police et un millier de contre-manifestants. Pas de quoi décourager les suprémacistes, décidés à revenir en force et en armes, comme ils l’ont montré ce week-end. Le tout, légalement, du moins jusqu’aux premiers affrontements. Dans son texte, Coates rappelle que s’il est interdit de faire un salut nazi ou de brandir un drapeau frappé du swastika en Allemagne, le drapeau des confédérés est, lui, intégré à celui du Mississippi. «Ces symboles pointent vers quelque chose que les créateurs de Confederate ne comprennent pas : la guerre est terminée pour eux, mais pas pour nous.» Citant Faulkner en 2008, Barack Obama, alors candidat à la présidentielle, ne disait pas autre chose : «Le passé n’est pas mort. Il n’est même pas passé.» Pour les centaines d’extrémistes réunis à Charlottesville, il est même le futur promis par le «Make America Great Again» de Trump.
Ce qui frappe dans le Who’s Who du racisme présent ce week-end, c’est autant sa radicalité – amalgamant tous les courants idéologiques et esthétiques de la suprématie raciale, des confédérés aux nazis en passant par les fascistes italiens de l’entre-deux-guerres – que sa jeunesse. Si les vieux routiers du suprémacisme, comme le KKK et autres «ligues du Sud» néo-confédérées, étaient bien représentées, la marche est l’aboutissement des efforts propagandistes de groupes bien plus récents. L’organisateur de l’événement, le blogueur Jason Kessler, a 34 ans, membre du groupe pro-Trump des «Proud Boys», créé en 2016 par le fondateur disgracié du magazine Vice, Gavin McInnes (qui a refusé de participer à la marche). Les deux têtes de gondole de l’alt-right présentes à Charlottesville, Richard B. Spencer et Mike Peinovich, dit «Enoch» (en référence à la figure britannique xénophobe Enoch Powell), flirtent avec la quarantaine. Nathan Benjamin Damigo, fondateur du groupe nationaliste Identity Evropa, modelé sur les identitaires européens, est un ancien marine de 31 ans, radicalisé en prison. Enfin, l’homme arrêté pour avoir foncé en voiture dans la foule antiraciste est un Blanc de 20 ans du nom de James Alex Fields Jr. Selon le Southern Poverty Law Center, un groupe de surveillance des mouvements extrémistes, il avait été photographié plus tôt lors du défilé avec à la main un bouclier du groupuscule Vanguard America. Une clique ouvertement néonazie, émanation du forum IronMarch, lancé en 2011. Cette plateforme, qui se targue d’être «le Facebook des fachos» et édite un fanzine intitulé Noose («nœud coulant», allusion à la corde utilisée pour les lynchages), entend forger «le fascisme du XXIe siècle». Le site ne recule devant rien, comme l’indique son slogan en page d’accueil : «Gazons les youpins, la guerre raciale maintenant, les bottes du 1488 sur le terrain !» Avant de préciser : «Pour nous rejoindre, il suffit de cliquer sur le swastika.»
«Génocide blanc»
Une rhétorique typique du double langage de l’alt-right, qui prétend utiliser les pires symboles fascistes pour choquer et tester les limites de la liberté d’expression, mais cache de plus en plus mal la sincérité de ses convictions. Depuis plusieurs mois, des experts pointent la «nazification» de l’alt-right. Fini de se cacher derrière son écran d’ordinateur avec la grenouille Pepe, mascotte ambiguë de l’alt-right, place aux défilés à visage découvert et au triptyque croix gammées, croix de fer, croix du Sud. Dans les rues de Charlottesville, pas de capuches pointues mais le slogan aryen «Sang et Sol» et des «Heil» nazis, au milieu des «Vous ne nous remplacerez pas», en référence au fantasme du «génocide blanc», calqué sur la théorie du «grand remplacement» du Français Renaud Camus. Une approche presque à rebours de celle de David Duke qui, après avoir dirigé le KKK dans les années 70, s’est voulu le parangon d’un suprémacisme toujours aussi radical mais plus présentable, se cachant (mal) derrière des arguments racialistes pseudo-scientifiques et un costard-cravate d’élu en Louisiane. Ce dernier a tracé, en marge du défilé, le plus vibrant parallèle entre les événements de Charlottesville et la présidence Trump : «Ce qui se passe ici est un tournant pour ce pays. Nous sommes déterminés à reprendre notre pays. Nous allons remplir les promesses de Donald Trump. C’est ce que nous croyons et c’est pour cela que nous avons voté pour lui.» Si Trump a beau se cacher derrière le lourd passif racial américain, c’est bien lui qui a demandé aux services de renseignement, deux semaines après sa prise de fonctions, de se concentrer sur les groupes islamiques. Même si depuis le 11 septembre 2001, sur 85 attaques terroristes recensées dans le pays, 62 sont le fait de suprémacistes blancs.
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