Union des droites et de l’ED en Suède et en Italie

Triomphante en Suède ou en Italie, l’union des droites est encore taboue

Le succès électoral du parti d’extrême droite Démocrates de Suède et celui à venir de Fratelli d’Italia sont salués au Rassemblement national comme à Reconquête. En Suède comme en Italie, l’extrême droite a trouvé un accord avec la droite conservatrice. En France, la digue persiste… pour l’instant.

Christophe Gueugneau, Médiapart

15 septembre 2022

Les résultats définitifs des élections législatives en Suède sont tombés jeudi 15 septembre : avec 20,5 % des suffrages exprimés dimanche dernier, les Démocrates de Suède (SD), mouvement d’extrême droite, confirment leur percée historique, déjà observée en 2018. Ils deviennent ainsi la deuxième force du pays, derrière le Parti social-démocrate (gauche modérée), qui obtient 30,3 % des voix, mais surtout, devant tous les autres partis de droite.

Arrivé en troisième position, le parti conservateur devra composer non seulement avec les chrétiens-démocrates et les libéraux, mais aussi avec les Démocrates de Suède, pour pouvoir gouverner. Les SD semblent prêts à renoncer à entrer au gouvernement en échange d’un « accord écrit » avec la droite sur le programme de la future coalition, selon les mots de son chef de file, Jimmie Akesson.

En France, cette percée des Démocrates de Suède a été saluée par nombre d’élu·es du Rassemblement national (RN), au premier rang desquel·les Marine Le Pen, qui leur a adressé ses « félicitations », estimant que « partout en Europe, les peuples aspirent à reprendre leur destin en main »« Prochaine étape, l’Italie dans 10 jours ? », s’est de son côté interrogée Julie Lechanteux, députée RN du Var.

Giorgia Meloni, de Fratelli d’Italia, Marine Le Pen, du Rassemblement national, et le chef des Démocrates de Suède, Jimmie Akesson. © Photos AFP

C’est un autre scrutin qui s’annonce tout aussi victorieux pour l’extrême droite. La coalition emmenée par Georgia Meloni, du parti Fratelli d’Italia, héritier du mouvement néofasciste MSI, allié à la Ligue de Matteo Salvini et à Forza Italia de Silvio Berlusconi, est quasi assurée de l’emporter dimanche 25 septembre. Fratelli d’Italia semble même en passe d’arriver en tête au sein de cette coalition de droite, tout comme les Démocrates de Suède.

Vus de France, ces résultats sont-ils à même de faire bouger les lignes à droite et à l’extrême droite ?

« Des leçons à tirer pour nous »

Dimanche dernier, lors de l’université d’été de Reconquête, Éric Zemmour a présenté l’alliance italienne comme un modèle à suivre. Compagnon de route de Reconquête et ancien cadre du RN, le Niçois Philippe Vardon abonde : « Même si le système italien est différent, c’est un exemple de rassemblement des droites », estime-t-il, soulignant que cette coalition va de Meloni aux Démocrates chrétiens, « en quelque sorte un équivalent du MoDem »« Il y a clairement des leçons à tirer pour nous », conclut-il.

Jeudi 15 septembre, dans un communiqué, Guillaume Peltier, vice-président du parti zemmouriste et ex-membre des Républicains (LR), s’est réjoui de voir « la droite civilisationnelle au pouvoir ». Un communiqué accompagné d’un visuel sur lequel on peut lire : « Aujourd’hui la Suède, demain l’Italie, après-demain la France. » C’est faire fi, cependant, d’une différence majeure : en Suède comme en Italie, l’extrême droite n’accède ou n’est en voie d’accéder au pouvoir qu’à la faveur d’une coalition avec la droite traditionnelle.

Certes, Reconquête entretient depuis plusieurs mois l’idée d’une alliance des droites. Au sortir de la présidentielle, il avait tendu la main à Marine Le Pen pour les élections législatives. Proposition refusée par le Rassemblement national. « On n’est pas du tout sur l’idée de l’union des droites. Nous, on est pour une grande union des patriotes », estimait alors le porte-parole du RN Sébastien Chenu. Marine Le Pen, de son côté, en appelait aux « patriotes de droite, de gauche ou d’ailleurs ».

En 2017, la candidate à l’élection présidentielle était plus directe encore : « L’union des droites est un fantasme réducteur, estimait-elle dans un entretien à Causeur. J’ai 48 ans et ça fait quarante ans que j’en entends parler. Le problème des gens qui défendent cette idée, c’est que la droite refuse de s’allier avec nous. »

Pour autant, du côté du Rassemblement national, les exemples européens ne laissent pas totalement indifférents. Candidat à la présidence du parti, Louis Aliot, maire RN de Perpignan, regrettait ainsi le 13 septembre sur RMC : « Il n’y a qu’en France où la droite s’est autocensurée de ne jamais discuter avec une formation comme la nôtre. C’est à eux de faire leur examen de conscience et leur révolution interne pour assumer ces choix-là ! »

LR rejette toute alliance

Mais du côté de LR, la révolution interne semble encore loin. Candidat à la présidence du parti, le sénateur Bruno Retailleau l’a encore expliqué en début de semaine sur France 2. Interrogé pour savoir si LR pourrait s’allier avec le RN ou Reconquête, Bruno Retailleau a répondu : « Je pense que non, ce serait la fin, la dilution. » « D’ailleurs, madame Le Pen ne veut s’allier avec personne », a justifié le parlementaire.

Celui-ci s’est ensuite lancé dans une longue tirade sur ce que serait la droite sous sa présidence : « Plus d’ordre dans la rue, plus d’ordre dans les comptes, plus d’ordre dans l’école, que ce soit l’école de l’effort, pas seulement l’école de la facilité, pas l’école du wokisme, pas non plus l’école de la discrimination positive. »

Autre candidat à la présidence de LR, le député Éric Ciotti refusait lui aussi implicitement toute alliance avec l’extrême droite lors de son interview de candidature au Figaro« Les idées de droite que nous défendons sont majoritaires dans le pays, mais d’autres les ont accaparées, au gouvernement comme à l’extrême droite, assénait Éric Ciotti. Je refuserai d’accepter pour ma part que l’on nous pille nos idées. Quand la droite est de droite, il n’y a pas d’espace pour l’extrême droite et la confusion macroniste»

Les Républicains sont passés de 185 sièges de député·es en 2012 à 61 en 2022. Il y a 10 ans, leur candidat à la présidentielle, Nicolas Sarkozy, avait obtenu 27,18 % au premier tour – et un ticket pour le second tour –, contre 4,78 % pour Valérie Pécresse cette année. La question d’un retour aux affaires pour la droite, sans alliance, est donc malgré tout posée.

 

A fortiori quand les positions des uns – chez LR – et des autres – au RN ou à Reconquête – entrent pour beaucoup en résonance : le lien entre immigration et délinquance, la dénonciation du « wokisme », celle de la justice européenne – la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour le non-rapatriement des familles des djihadistes mercredi a été dénoncée tant par Bruno Retailleau que par Julien Odoul ou Éric Zemmour –, celle du laxisme supposé de la justice française… Sur nombre de sujets, droite et extrême droite parlent d’ores et déjà le même langage.

Quand tout récemment, dans Le Figaro, le vice-président de Reconquête Nicolas Bay se réclamait d’une « droite civilisationnelle », David Lisnard, maire LR de Cannes (Alpes-Maritimes), répondait quelques jours plus tard, toujours dans le quotidien de droite, en appelant à « arrêter la décivilisation ».

Une proximité qui s’explique également par l’emprise du macronisme sur une partie de la droite dite modérée. Lors des régionales de 2021, Nadine Morano s’était vu refuser une place sur la liste de Jean Rottner dans le Grand Est. Elle avait fini par dire que Laurent Jacobelli, candidat du Rassemblement national, « n’incarne pas le fascisme et n’est pas d’extrême droite ».

La même Nadine Morano qui a fait partie des quatre eurodéputés LR à voter contre, tout comme les eurodéputés Reconquête et RN, le rapport du Parlement européen constatant que la Hongrie n’était plus une démocratie mais « un régime hybride d’autocratie électorale ». La digue est plus mince que jamais.

Christophe Gueugneau