Une gauche très à droite…

A Saint-Denis, le pari sécuritaire de Mathieu Hanotin

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En armant sa police municipale, le maire veut rompre avec le « laisser-faire » imputé à la mandature communiste. Opposition, syndicats et associations dénoncent l’inefficacité et la dangerosité de cette nouvelle doctrine.

 

La salle boisée du conseil municipal s’est emplie d’un silence feutré. Ce jeudi 10 septembre, un peu après 19 heures, le nouveau maire, Mathieu Hanotin, costume sombre sur chemise blanche, se tient assis derrière le micro, le regard baissé sur ses notes : « Le laisser-faire, l’abandon, qui existaient jusqu’ici à Saint-Denis, n’ont plus lieu d’être, martèle-t-il, un peu fébrile. Si nous sommes permissifs, plus rien n’a de valeur. Il est cocasse de me voir reprocher un quelconque autoritarisme : je remets les choses dans l’ordre. »

Autour de lui, ses adjoints, masques sur le visage, affichent leur unité. Une petite bande de quadragénaires bien décidée à montrer qu’une nouvelle génération, plus jeune, plus dynamique, plus volontariste, est désormais aux manettes à Saint-Denis (93). Après une décennie à batailler contre un PCF déclinant (jusqu’à la chute finale), la majorité socialiste, élue au printemps dernier, veut marquer le coup et tourner la page. Même si le taux d’abstention fut paroxystique (moins d’un tiers des électeurs se sont déplacés), la victoire a été belle et franche (59 % des voix). Pleine de promesses…

Gauche très à droite

Mathieu Hanotin, en 2017. © Jacques DEMARTHON / AFP

 

Première d’entre elles : la sécurité. Mathieu Hanotin en a fait l’axe majeur de sa campagne. Ce n’est donc pas un hasard s’il a choisi de consacrer, ce 10 septembre, l’entièreté de son premier conseil municipal à cette seule thématique. À l’ordre du jour : le recrutement de 27 policiers, la vidéosurveillance, l’extension des horaires des agents, la création d’une brigade cynophile, l’élargissement  des prérogatives de la police municipale… Surtout, il y a le gros morceau, celui qui focalise toutes les critiques : « L’évolution des équipements de la police municipale en catégorie B. » Autrement dit, la possibilité pour la police municipale (qui la réclame) de se servir d’armes létales : revolvers, pistolets et même, pourquoi pas, flashballs.

Étrangement, les questions de financement ont été, « pour des raisons de technique budgétaire », renvoyées à plus tard. Mais la tonalité de cette séance municipale n’a rien d’une surprise. Pendant des semaines avant le premier tour, le candidat socialiste a vendu aux Dionysiens ulcérés par la délinquance un cocktail de mesures chocs : une police municipale armée, la multiplication des caméras de vidéosurveillance, la création de brigades canines pour lutter contre le trafic de drogue…

Durant toute la campagne, la guerre des gauches a fait rage à Saint-Denis. Le candidat socialiste a vilipendé une municipalité communiste jugée « laxiste »« défaillante »« clientéliste ». Ses opposants n’ont eu de cesse de vouer aux gémonies son programme « sécuritaire, de droite dure », quand bien même certains, se rappelant qu’Hanotin fut l’ancien directeur de campagne de Benoît Hamon, espéraient en leur for intérieur qu’il mettrait un peu d’eau dans son vin une fois installé dans son fauteuil de maire…

Raté. L’édile a fait une rentrée tout feu tout flamme. En août, son arrêté « anti-chicha » contre les nuisances sonores a fait grand bruit, l’interdiction du narguilé dans l’espace public étant, d’ordinaire, l’apanage de maires de droite (de Cannes à Antibes), voire d’extrême droite (Robert Ménard, à Béziers). L’augmentation de l’amende pour les vendeurs à la sauvette a été, de même, jugée stigmatisante et antisociale. Quant à l’hypothèse évoquée d’un drone survolant Saint-Denis –  pour « pister les marchands de sommeil », selon Mathieu Hanotin, qui souligne n’avoir pas tranché la question de son utilisation –, elle a mis le feu aux poudres. Sans compter, évidemment, l’armement des agents, sur fond de discours martial sur la « reconquête » de l’espace public.

D’où le petit rassemblement devant la mairie, en contrepoint du conseil municipal du soir. On y croise des drapeaux du PCF, le député de La France insoumise Éric Coquerel, des représentants du syndicat Sud ou de la CGT, des membres de la Ligue des droits de l’homme, du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié des peuples (MRAP), de Réseau éducation sans frontières… Des « tout le monde, tout le monde, déteste la police ! » sont scandés par les plus radicaux. Pour le reste, il s’agit de clamer que la « course aux armements » de la mairie ne fera que jeter de l’huile sur le feu. Un participant, incrédule : « Vous imaginez que Benoît Hamon, qui était censé incarner la gauche du PS, est venu soutenir Hanotin avant le deuxième tour ? J’ai envoyé un message à la direction de Génération.s [la formation créée par l’ancien candidat à la présidentielle – ndlr] pour lui demander des comptes sur la ligne politique développée à Saint-Denis, je n’ai pas eu de réponse. »

Étienne Penissat, habitant de Saint-Denis et militant à La France insoumise, est lui aussi venu manifester sur le parvis de l’hôtel de ville : « Hanotin fait son Darmanin, il en fait des caisses au niveau de la communication pour donner des gages à la droite qui a voté pour luiMais en attendant, il ne fait rien pour les 500 gamins de Saint-Denis qui ne sont pas retournés à l’école depuis la rentrée. » « On ne peut pas penser la politique en dehors de l’actualité, qui est celle des violences policières. Cette politique va nous conduire tout droit à la catastrophe », craint quant à lui Simon, membre d’une association d’aide aux migrants, qui évoque la brutalité avec laquelle sont traités les Afghans sous le pont d’Aubervilliers. La mairie n’aurait rien trouvé à redire, affirme-t-il, si ce n’est supprimer les WC et les points d’eau du campement.

Très remontée aussi, Amel Dahmani, secrétaire du syndicat Sud Collectivités de Saint-Denis : la syndicaliste rappelle que, mis à part Force ouvrière, la totalité des syndicats de la mairie s’est opposée à l’armement de la police municipale lors de la rencontre avec Mathieu Hanotin, le 2 septembre. « De la CGT à l’Unsa, on était tous d’accord pour dire que cela allait créer une ambiance de far west générant une grande tension dans une ville qui est déjà souvent en proie aux violences policières, raconte-t-elle. Par ailleurs, on a demandé combien ces mesures coûteraient, on n’a jamais eu de réponse : par exemple, s’il y a mise en place d’une brigade canine, il faut un chenil, et ça coûte cher à l’année. »

Dans la salle du conseil municipal, Mathieu Hanotin, lui, s’emploie à rassurer : oui, s’occuper des « voyous » et des « bandits » doit aussi être l’affaire de la gauche. C’est même pour cela qu’il a été élu. Dans son discours introductif, il a cité Jean-Jacques Rousseau, pris soin de prendre ses distances avec Nicolas Sarkozy ou Manuel Valls – et qu’importe si sa politique de terrain ressemble fort à celle déployée à Évry. Égrenant quelques récents faits divers et les actes terroristes qui ont touché la ville en 2015, il a tenté d’expliquer que les choses ne sont pas manichéennes : « Moi, je suis pour une gauche qui affronte cette complexité : maintenir l’ordre républicain, tout en proposant à chacun et chacune de s’émanciper », dit-il, affirmant, sans plus de précision, qu’il y aura des « contre-pouvoirs », car « il n’y a pas de police républicaine sans contrôle démocratique ».

Tout au fond de la pièce, l’opposition – huit élus présents – fulmine. Laurent Russier, l’ancien maire communiste, pointe la « rupture avec les politiques de sécurité de gauche ». Kader Chibane, d’Europe Écologie-Les Verts, dénonce la « précipitation » du jeune maire, qui voudrait « remplacer la police nationale », appelle à ce qu’il « démontre l’utilité des caméras de surveillance », avertit, enfin, avec gravité : « Sur l’armement de la police municipale, prenez garde de ne pas prendre des responsabilités qui pourraient se retourner contre vous-même. Les bavures existent, les dérives existent. Il faut agir avec équilibre et mesure. » Même mauvais pressentiment de son voisin de gauche, qui tente d’alerter sur une possible escalade : « Les jeunes des quartiers, ils ne s’intéressent pas du tout à la politique. Pourtant, l’info tourne déjà dans les cités que les policiers seront armés. »

Mathieu Hanotin écoute mais n’a pas de temps à perdre. On ne va pas y passer la nuit, d’autant qu’il n’y a pas de suspense : toutes les mesures seront votées comme un seul homme par la majorité.

Sophie Rigard, élue Place publique, revient à la charge, argumente, parvient à attirer quelques instants l’attention du maire : « L’armement pose un problème, pas seulement de sécurité, mais d’éthique », dit-elle. Elle rappelle les chiffres de l’IGPN sur les violences policières, la formation, moins longue, de la police municipale, questionne sur « l’utilité » des armes, le risque de leur utilisation. Chaque fois, elle obtient des réponses évasives. Même concernant les « flashballs », dont Mathieu Hanotin n’exclut pas d’équiper ses policiers, « pour certaines opérations, qui ne sont pas celles du maintien de l’ordre quotidien » : « Mais je ne suis pas un expert [des LBD] », finit-il par concéder.Pas de chiffres, pas de budget, pas de bilan… Sophie Rigard n’en revient pas de cette « légèreté »« Il n’a donné aucun gage d’efficacité, alors que le sujet est si grave, déplore-t-elle. Sur les bavures possibles, sur les flashballs, sur les contre-pouvoirs, il est incapable de répondre à nos questions. Ce n’est pas sérieux. C’est irresponsable. » « J’anticipe le jour où il y aura une victime, s’inquiète de son côté Amel Dahmani. Hanotin veut aller vite et fort, il a opté pour une stratégie de la tension. Mais sait-il vraiment ce qu’il fait ? »

Mathieu Hanotin, lui, relativise, refuse de se voir dépeint en « cow-boy ». Il accuse les mécontents de donner dans l’idéologie ou le « purisme ». Après tout, la moitié des municipalités, dont des villes de gauche (certes pas Paris), ont elles aussi armé la police municipale. Et à l’arrivée, rien de bien dramatique : « Il faut bien comprendre que Saint-Denis n’est pas une ville comme les autres au niveau de la délinquance, et que sa prise en charge jusqu’à présent n’était pas normale. Résultat : un échec complet », juge-t-il, sachant sans doute que sa réussite, à lui, reste à prouver.