Tentation Ecofasciste

« Le discours du RN sur l’écologie a toujours été marqué par le rejet ou l’indifférence »

L’essayiste Pierre Madelin détaille, dans un entretien au « Monde », comment le parti d’extrême droite fait preuve d’opportunisme pour s’approprier le climat et le mettre au service de ses thématiques identitaires et nationalistes.

Propos recueillis par Marc-Olivier Bherer, Le Monde, publié le 05/06/2023

Pierre Madelin, essayiste et traducteur, est l’auteur de différents ouvrages portant sur des questions liées à l’environnement, dont Faut-il en finir avec la civilisation ? Primitivisme et effondrement (Ecosociété, 2020). Il vient de publier La Tentation écofasciste. Ecologie et extrême droite (Ecosociété, 272 p., 18 €).

 

Depuis peu, le Rassemblement national (RN) souhaite occuper le terrain de l’écologie. Le président du parti, Jordan Bardella, déclarait récemment : « Il ne faut pas laisser l’écologie à la gauche. » Qu’est-ce qui caractérise le nouveau discours du RN à propos de l’environnement ?

Face aux évolutions de la société, le RN se saisit depuis quelques années de différents enjeux qu’il négligeait auparavant. C’est le cas des droits des femmes, de la cause LGBT et, désormais, de l’écologie. Cette récupération relève essentiellement de l’opportunisme. La majorité des Français se préoccupent du réchauffement climatique, la bataille des sensibilités a été gagnée par l’écologie, et l’éluder risquerait de discréditer le RN auprès d’une partie de son électorat. D’où cette volonté, aujourd’hui, de colmater les brèches.

 

Le parti met en avant le localisme, Jordan Bardella vantant, par exemple, la production agricole française, qu’il présente comme un moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant de l’importation. S’appuyer sur les territoires permettrait donc de résoudre la crise écologique. Le localisme sert de passerelle vers les thèmes identitaires et nationalistes auxquels le RN est attaché.

La critique des énergies renouvelables est un autre élément important de ce nouveau discours du parti d’extrême droite sur l’environnement. Ce sont les éoliennes qui sont particulièrement visées. Elles contreviendraient au localisme, car elles seraient imposées sans concertation dans les territoires. A l’inverse, le nucléaire est défendu, il représente aux yeux du RN un socle sur lequel asseoir la souveraineté énergétique de la France et permet de décarboner l’économie. On voit là que le RN reste fortement imprégné par son fond libéral, productiviste et technosolutionniste qui a historiquement défini son rapport à l’écologie.

Justement, quel a été le discours de Jean-Marie Le Pen sur l’écologie ?

Il est généralement hostile à la protection de l’environnement, avec des accents parfois climatosceptiques. En 2017, il a par exemple déclaré que « sans le réchauffement climatique on mourrait de froid ». Dans un autre genre, il a comparé, en 1989, le parti écologiste à une pastèque, expliquant que ses adhérents étaient verts à l’extérieur, rouge à l’intérieur. Le discours du RN sur l’écologie a donc toujours été marqué par le rejet ou l’indifférence.

C’est ce que laisse transparaître le vote du parti à Strasbourg. Les eurodéputés RN votent généralement contre les mesures bénéfiques à l’écologie, que ce soit pour lutter contre le réchauffement climatique ou pour diminuer l’usage du plastique ou des pesticides, comme l’a démontré une enquête du Monde, en 2019. Mais, pour autant, le parti ne pratique pas aujourd’hui le climatoscepticisme. Il affiche une volonté de décarboner l’économie française, mais son propos relève du « greenwashing » nationaliste.

Y a-t-il véritablement une écologie d’extrême droite, qui viserait à préparer la transition écologique ?

A travers le monde, les principales forces politiques d’extrême droite rejettent généralement l’écologie. L’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, Donald Trump aux États-Unis, Vladimir Poutine en Russie, ou encore le premier ministre indien, Narendra Modi, sont des défenseurs des énergies fossiles, des acteurs de la déforestation, et s’opposent aux accords internationaux en faveur du climat. Idéologiquement, l’extrême droite, qui articule de façon relativement cohérente les thématiques identitaires et écologistes, reste plutôt marginale, mais elle existe, sans penser véritablement la transition écologique. La question est de savoir si elle va gagner du terrain dans les années à venir.

Pouvez-vous nous en dire davantage à son propos ?

En France, l’écrivain Alain de Benoist est la principale figure de ce mouvement. Dans les années 1970, il est plutôt hostile à la question de l’environnement, mais il se convertit à l’écologie au cours de la décennie suivante. Opposé au christianisme, coupable d’être à l’origine de l’universalisme, l’essayiste d’extrême droite lui reproche également d’avoir facilité « l’arraisonnement du monde à la technique ». Le dieu du christianisme, notamment dans la Genèse, propose à l’homme de s’approprier la terre, de la dominer et de la soumettre. Cette critique est d’abord formulée par un penseur de l’écologie, l’historien américain Lynn Townsend White Jr., dans Les Racines historiques de la crise écologique. En 1993, Krisis, une revue créée par Alain de Benoist, traduit cet article qui paraît alors pour la première fois en français.

Avance ainsi le projet d’une écologie mise au service de thématiques identitaires. Alain de Benoist ne dresse pas une hiérarchie des races, il propose à la place un ethnodifférentialisme. Pour lui, chaque peuple doit vivre de façon autonome en évitant à tout prix la mixité. Des liens sont tissés entre la préservation de la diversité ethnique, pensée comme un repli nécessaire afin de ne pas altérer la nation, et la protection de la biodiversité. Une autre analogie est faite : si l’on peut relocaliser les activités économiques, il faudra aussi relocaliser les êtres humains, ceux que l’extrême droite estime ne pas être de véritables Français, et engager une politique de réémigration, un fantasme xénophobe.

 

Marc-Olivier Bherer

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