Sites d’infos locales des militants identitaires

Les vrais faux sites d’informations locales des militants identitaires

 

Ils s’intitulent Infos Bordeaux, Rhône-Alpes Info ou Breizh Info. Déguisés en sites d’information « classiques », ce sont en réalité des relais de la propagande d’extrême droite.

 

LE MONDE | 01.11.2016 à 14h15 • Mis à jour le 01.11.2016 à 19h30 | Par Samuel Laurent

Abonnez vous à partir de 1 € Réagir Ajouter

 

« Trois nouveaux radars installés sur la rocade de Bordeaux » Le titre qui s’affiche à la « une » du site infos-bordeaux.fr, ne pose que peu question. Mais les autres articles mis en avant sur ce qui a tout l’air d’un site consacré à l’actualité bordelaise sont plus étranges : « Le local du Front nationalde nouveau vandalisé » ; « Des soldats d’Odin [milices d’extrême droite scandinaves] patrouillent dans les rues de Bordeaux » ; « Tentative d’incendie du futur centre de migrants » ; annonce d’une conférence d’Eric Zemmour…

Sur la page d’accueil d’Infos Bordeaux, on trouve dix occurrences du terme « migrant », mais pas une seule pour évoquer le classement de la ville en tête des cités les plus « branchées » selon le guide Lonely Planet, qui a pourtant fait la « une » de la presse locale.

Le phénomène est le même sur Breizh Info, un site qui dit traiter « de l’actualité bretonne et internationale », et qui affiche dès sa page d’accueil douze fois le terme « migrants » et huit fois celui d’« islam »…

On pourrait faire le même constat sur Rhône-Alpes Info, là encore un site censément neutre et consacré à l’actualité régionale, sur Nord Actu, pour les Hauts-de-France, ou sur lengadoc info, son équivalent pour le Sud : autant de sites qui ressemblent à de petits portails d’information locale et qui n’annoncent jamais leurs réelles intentions, qui sont tout autres. Seul un mot peut mettre en garde, et encore faut-il en connaître le sens : tous ces sites d’apparence banale évoquent le concept de « réinformation », une formule chère à l’extrême droite.

« Réinformation » et combat culturel

Théorisée notamment par Jean-Yves Le Gallou, l’un des « penseurs » de l’extrême droite française moderne, cofondateur du Club de l’horloge, qui ne cache pas s’être inspiré de l’intellectuel communiste italien Antonio Gramsci, la « réinformation » consiste en un combat culturel : décrédibiliser les médias classiques en les accusant sans cesse de mentir, pour mieux faire passer ses propres idées. M. Le Gallou a ainsi lancé l’OJIM, Observatoire des journalistes et de l’information médiatique, qui a tous les airs du site sérieux lorsqu’on n’en connaît pas les dessous, ou une cérémonie des Bobards d’or, qui récompense « les plus belles désinformations » de la presse.

Mais il n’est pas le seul à mener ce combat, qui transcende les clivages de l’extrême droite, et constitue l’objet même de ce qu’on appelle désormais la « fachosphère » : une nébuleuse de sites, de comptes sur les réseaux sociaux, visant à diffuser de la « réinformation », en clair de la propagande allant dans le sens des militants qui les animent.

La mouvance identitaire, qui gravite autour du Bloc identitaire, groupuscule d’extrême droite héritier d’Unité radicale (dont l’un des militants, Maxime Brunerie, avait tenté d’assassiner Jacques Chirac en juillet 2002), est en pointe dans ces nouvelles stratégies. Et à l’instar des ultracatholiques d’Alliance Vita et de leurréseau de vrais faux sites d’information sur l’IVG, des groupes de militants d’extrême-droite ont, ces dernières années lancé toute une série de vrais faux sites locaux.

Un réseau de sites « faux nez »

Malgré des apparences de sites d’information « neutres », il suffit de se promener quelques minutes sur Info Bordeaux, Rhone-Alpes Info et leurs homologues pour constater que quelques sujets (migrants, islam, chrétienté, insécurité) y occupent la majeure partie de la couverture éditoriale.

Et pour cause : tous ces sites sont en réalité tenus par des militants, souvent issus de la mouvance identitaire. Plus ou moins mis à jour et fréquentés, il en existe désormais un par région française ou presque. Ils présentent de nombreux points communs, tant par leur nom que par leur forme générale, comme l’a noté le site « Debunker de hoax » spécialisé dans la vérification de rumeurs venues de l’extrême-droite, qui a déniché nombre de ces faux nez.

LES « RÉGIONAUX » :

Sur Rhone-Alpes Info, l’orientation du site n’est pas très difficile à deviner si l’on prend la peine de chercher un peu : le site mentionne dans sa page « A propos » (quelque peu cachée) le nom de Sébastien Jallamion comme directeur de publication. Celui-ci est relativement connu dans les cercles de l’extrême droite. Policier proche du FN (il est membre du mouvement « frère » SIEL, Souveraineté, identité et libertés), il écrit ainsi régulièrement sur le blog islamophobe Riposte laïque ou sur le site Boulevard Voltaire, lancé par Robert Ménard.

– Breizh Info se trahit également à quelques détails, comme ce titre de rubrique « La Bretagne orange mécanique » (allusion à un livre, La France orange mécanique, très populaire à l’extrême droite) ; cette interview du fondateur très islamophobde l’Observatoire de l’islamisation, Joachim Véliocas ; ou cette annonce d’un forum de la Fondation Polémia (créée par Jean-Yves Le Gallou, le théoricien cité plus haut). Parmi les membres de la rédaction, on compte d’ailleurs l’ancien président du mouvement identitaire Jeune Bretagne Yann Vallerie, ou un ancien candidat FN à Nantes, Thierry Monvoisin.

– Lengadoc info est du même tonneau : parmi ses rédacteurs, Philippe Lambertin, qu’on retrouve dans les intervenants d’un colloque des identitaires du Midi en 2012 ; ou encore Jordi Vives, lui aussi présent sur le site des identitaires de la région, et contributeur au site d’extrême droite suisse Les Observateurs.


En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/11/01/les-vrais-faux-sites-d-information-locale-des-militants-identitaires_5023675_4355770.html#clw8AJ6yAFxwGEkf.99