Analyse
«Séparatisme» : un tournant pour la loi de 1905
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Contrairement aux assurances données par Emmanuel Macron, la loi sur le séparatisme modifie de manière substantielle les relations entre l’État et les cultes, limitant la liberté des associations.
C’est une refonte importante de la loi de 1905, loin d’un toilettage à la marge qui se prépare et qui affectera le modus vivendi entre l’Etat et les religions. (Photo Stéphane Mahé. AFP)
publié le 2 février 2021 à 7h25
Vache sacrée de la République, la loi de 1905 a longtemps été réputée intouchable. Emmanuel Macron – décomplexé à l’égard de la question religieuse – a franchi le pas, sans trop d’états d’âme. D’une manière, au fond, assez napoléonienne. Examiné à l’Assemblée nationale depuis lundi, le projet de loi confortant les principes de la République comporte au moins une vingtaine d’articles qui touchent directement les associations cultuelles, issues de la loi organisant la liberté religieuse en France.
Bref, c’est une refonte importante de la loi de 1905, loin d’un toilettage à la marge et qui affectera le modus vivendi entre l’Etat et les religions. Sans le dire, le gouvernement vise essentiellement l’islam. Mais la loi aura, dans les faits, des conséquences, des «dégâts collatéraux», disent ses détracteurs, sur l’ensemble des religions de l’Hexagone. Elle frappera indistinctement les bons et les mauvais élèves de la République, y compris dans les milieux musulmans.
Dans sa gestion du religieux, le gouvernement a donc choisi le bâton. «C’est un basculement de paradigme», analyse l’historien et sociologue de la laïcité Philippe Portier. Certes, la loi de 1905 a été modifiée à plusieurs reprises, une vingtaine de fois en cent ans. Mais ces changements, selon Philippe Portier, ont toujours eu lieu grosso modo sur le mode de l’ouverture. Ce qui n’est pas le cas cette fois-ci ! «Le texte comprend une trentaine d’obligations et d’interdits nouveaux pour les associations cultuelles», pointe-t-il.
Droit de regard
Pour le moment, la seule compensation accordée aux religions est la possibilité de tirer des revenus d’immeubles de rapport (des loyers). Cette disposition, réclamée depuis de nombreuses années par les protestants, est cependant assortie d’une condition drastique : que l’immeuble soit acquis gratuitement, par un legs, par exemple. Ce qui devrait pénaliser la religion musulmane, ancrée récemment en France.
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Dans les faits, la loi sur le séparatisme institue un contrôle accru et très strict des associations cultuelles et des associations type 1901 qui ont une activité religieuse. Quasiment une mise sous tutelle redoutent, dans leur majorité, les responsables religieux, et une atteinte aux libertés publiques, selon les spécialistes de la laïcité. Concrètement, pour créer une association cultuelle, il suffit actuellement de la déclarer en préfecture. Ce sera toujours le cas. Mais si le projet de loi était adopté tel quel, le préfet aurait immédiatement un droit de regard et disposerait d’un délai de deux mois pour valider – autoriser dit le texte – cette création.
Autre contrainte forte, cette future «labellisation» administrative ne serait qu’à durée déterminée. A l’avenir, si ces dispositions sont votées au Parlement, les associations cultuelles devront repasser l’examen du préfet tous les cinq ans.
Le financement sous contrôle
Depuis le discours d‘Emmanuel Macron à Mulhouse il y a un an, l’une des priorités du gouvernement est de limiter l’influence étrangère sur l’islam de France. De ce fait, le projet de loi contient des dispositions importantes sur le financement des associations qui gèrent le religieux. Elles devront faire certifier leurs comptes, en détaillant précisément les ressources et avantages en provenance de l’étranger, que ce soient des Etats ou des personnes privées. Il ne s’agit pas seulement des fonds versés en numéraires mais aussi de la mise à disposition, par exemple, de lieux de cultes – le Maroc ou la Turquie sont déjà propriétaires de quelques dizaines de mosquées en France – ou d’imams, rémunérés par des Etats étrangers.
Au-delà des 10 000 euros perçus, les associations gérant le culte devront également déclarer ces sommes à l’autorité administrative. Le préfet aura un droit de regard et pourra s’y opposer au cas où l’association, son président ou l’un de ses administrateurs, pourrait poser problème quant aux principes républicains.
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Le texte de loi interdit aussi toute activité politique au sein des lieux de culte, menacés de leur fermeture s’ils passent outre. Les cultes redoutent, eux, des dérapages dans ces contrôles, notamment, dans les rangs catholiques ou évangéliques, sur des questions qui toucheraient à la bioéthique ou aux droits LGBT. De fait, la pression sur les lieux de cultes s’accentuera. «Le texte de loi introduit la responsabilité collective de l’association», s’inquiète Philippe Portier. Dans les faits, les propos d’un seul des administrateurs, enfreignant selon l’Etat les principes de la République, pourraient enclencher les procédures.
Vision plus autoritaire
Tel qu’il est rédigé, l’actuel projet de loi s’inscrit-il dans la même philosophie politique libérale qui avait présidé à l’adoption de la loi de 1905 ? Rien n’est moins sûr. Instaurant la séparation des Eglises et de l’Etat, celle-ci, au début du XXe siècle, était issue d’un compromis entre les modérés. Après d’intenses débats et controverses, ses promoteurs, Aristide Briand et Jean Jaurès avaient habilement articulé le libre exercice du culte, la liberté de conscience (choisir sa religion, croire ou ne pas croire) et l’autonomie du politique et du religieux.
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Avec le texte actuellement débattu à l’Assemblée nationale, ce fragile édifice penche désormais vers une vision plus autoritaire, plus intrusive de l’Etat en matière religieuse mais aussi sur les associations. Historiquement, il signe, le retour d’un certain «combisme», mis en échec en 1905, sur la scène politico-religieuse française. Grande figure anticléricale, Emile Combes, ancien séminariste, fut président du Conseil de 1902 à 1905. Il tenta d’imposer une séparation des Eglises et de l’Etat sur un mode qui permettait le contrôle strict des activités religieuses, une sorte de concordat. Cela ressemble à la tentation du moment.