RN: remporter une région!

 

 

 

 

Mariani et Jp Garaut RN Occitanie

Thierry Mariani, candidat RN en PACA et Jean-Paul Garraud, candidat RN en Occitanie. © AFP

 

Remporter une région : un cap décisif pour le parti de Marine Le Pen

 PAR , Médiapart

La conquête d’un exécutif régional permettrait au Rassemblement national de changer de dimension, en attirant notamment à lui des cadres qui lui font aujourd’hui tant défaut. Une marche décisive pour 2022.

 

Concrètement, quelles seraient les conséquences si le RN remportait une voire plusieurs régions le 27 juin prochain ? Depuis la loi Notre [nouvelle organisation territoriale de la République – ndlr], d’aout 2015, les régions ont des compétences spécifiques dans plusieurs domaines : les transports, l’entretien et la construction des lycées, la formation professionnelle, l’aménagement du territoire et l’environnement, le développement économique et la gestion des fonds européens.

Leurs budgets sont colossaux : près de 5 milliards d’euros pour les régions Île-de-France ou Auvergne-Rhône-Alpes, il s’élève à 3,6 milliards pour les Hauts-de-France et 2,3 milliards en PACA où le candidat RN Thierry Mariani fait la course en tête.

Les grandes régions telles que redécoupées en 2014 comptent aussi des centaines de fonctionnaires et de hauts fonctionnaires.

« Remporter une région serait un cap fondamental pour le Rassemblement national. Cela lui permettrait de prendre une autre envergure, une autre dimension en arrivant aux manettes d’un exécutif local d’une dimension sans précédent », analyse Sylvain Crépon, chercheur en sciences politiques à l’université de Tours.

« C’est un enjeu essentiel pour le parti de Marine Le Pen, car il pourrait ainsi se prévaloir d’une légitimité gestionnaire qui lui fait aujourd’hui cruellement défaut », rappelle-t-il.

 

Aujourd’hui, à part quelques villes de dimension restreinte – et hormis Perpignan remporté l’an dernier mais qui est un peu l’arbre qui cache la forêt –, le RN n’a toujours pas de vrai ancrage territorial où il a pu montrer qu’il était apte à gouverner. Or, comme le montrent les enquêtes d’opinion, année après année, cette faible crédibilité gestionnaire est un des freins les plus importants au vote RN.

Les municipalités remportées par le FN en 2014 avaient d’ailleurs pour consigne du parti : pas de vagues, pas de scandales. L’essentiel étant de prouver que le RN est en capacité de gérer une collectivité.

« Au niveau structurel, remporter une région offrirait également au RN un avantage considérable », prévient également Sylvain Crépon. « On pense souvent qu’un parti gagne des exécutifs grâce à ses militants. En réalité, c’est l’inverse. Prendre la tête d’un exécutif génère des adhésions, des militants pour des raisons d’opportunité, de carrière. Si le RN gagne PACA ou les Hauts-de-France, cela va générer des adhésions », précise-t-il.

Malgré des scores nationaux impressionnants, le RN peine à fidéliser ses adhérents et ses militants, faute de victoires et donc de débouchés.

« Cela va aussi lui permettre d’attirer à lui des cadres dont il manque encore tant. Compte tenu de la durée du mandat, six ans, on peut penser qu’un certain nombre de cadres issus de la droite notamment vont avoir envie de les rejoindre puisqu’il y aura beaucoup de postes à distribuer », prévient le chercheur.

Le phénomène a déjà pu s’observer dans certaines mairies RN, comme Fréjus, où un certain nombre de cadres LR ont basculé pour obtenir des postes à responsabilité, le parti d’extrême droite étant trop heureux d’attirer des compétences qu’il n’a pas.

« D’un point de vue politique, ce qui sauve aujourd’hui LR, c’est d’être implanté dans beaucoup d’exécutifs locaux », rappelle également Sylvain Crépon. Une victoire du RN pourrait achever la disparition du parti de droite dans la région concernée et donc le fragiliser un peu plus nationalement, laissant un plus large espace encore à l’extrême droite. « Quand on n’a plus rien à distribuer, on n’existe plus en politique. Là, il y aura inévitablement un processus de vase communicant », estime le politologue.

S’il parvenait à décrocher une région, le RN mettrait également la main, compte tenu des budgets colossaux des régions, sur « une manne financière qui va lui permettre de rétribuer ses membres. Comme les enquêtes de terrain le montrent, une des difficultés que rencontre le RN pour stabiliser ses adhérents et avoir une implantation locale durable, c’est le manque de ressources à redistribuer ».

Contrairement à une idée reçue selon laquelle les compétences, très techniques, des régions ne laisseraient pas beaucoup de marges au RN pour en politiser la gestion, il y a plusieurs dossiers sur lesquels avoir un exécutif d’extrême droite peut s’avérer hautement problématique.

Si le RN a beaucoup parlé de sécurité dans cette campagne, qui n’est pourtant qu’à la marge une compétence régionale, il dispose sur ce sujet de quelques espaces pour poser sa marque. « Il peut embaucher des sociétés de sécurité privées proches de lui pour mettre des gens armés dans les transports, aux abords des lycées », s’inquiète un élu régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, effrayé à l’idée des dérapages possibles.

Les régions jouent ainsi un rôle essentiel de soutien au secteur associatif. Dans les mairies remportées par le RN, le parti a pratiquement partout mené une politique de terre brulée pour assécher tout contre-pouvoir dans leur municipalité. Si Laurent Wauquiez a été assez loin dans les choix idéologiques en supprimant, par exemple, tout soutien à certaines associations LGBT dans sa région, on imagine assez bien ce que pourrait faire un exécutif RN vis-à-vis du tissu associatif.

Dans les mairies RN, les centres sociaux, les associations d’aides aux plus fragiles, aux migrants, aux précaires, ont souvent été les premières victimes des coupes budgétaires.

Le secteur de la culture est aussi très dépendant des aides régionales et, là encore, le RN à la tête d’une région aurait des marges énormes pour refaçonner le paysage culturel à son goût. Ainsi la gestion des mairies RN donne-t-elle une certaine idée des orientations que pourrait prendre une région remportée par le parti de Marine Le Pen : aides aux projets promouvant les traditions locales, fêtes médiévales, comme à Hénin-Beaumont, et autre « fête du cochon », comme à Hayange. Aux dépens de la création.

 

Image à la une: Garraud candidat RN en Occitanie dans les rues de Béziers