RN et les législatives

Législatives : la campagne ratée du Rassemblement national

Le parti d’extrême droite, qui a obtenu un score historique à l’élection présidentielle, est passé largement à côté de cette campagne qu’il avait décrétée, dès le départ, perdue d’avance.

Lucie Delaporte,9 juin 202, Médiapart

« Ceux qui prennent la responsabilité de s’abstenir le 12 juin auront jusqu’à la fin de leurs jours miséreux pour déplorer leur indifférence citoyenne. » À quelques jours du premier tour des élections législatives, dimanche 12 juin, Marine Le Pen, lors de son unique meeting à Hénin-Beaumont, a eu une bien curieuse façon de mobiliser ses électeurs.

Repliée dans son fief dimanche 5 juin, la députée sortante du Pas-de Calais, qui se représente sous les meilleurs auspices dans sa circonscription, a pris des accents menaçants pour cibler les potentiels abstentionnistes de son camp dans la dernière ligne droite. Alors que la campagne des législatives du RN n’a toujours pas réussi à prendre, le parti d’extrême droite semble déjà chercher des boucs émissaires à sa campagne manquée.

Une vidéo commune avec Jordan Bardella diffusée ce jour-là les montre rappelant à l’ordre leurs électeurs : « Allez voter parce que si vous ne le faites pas, d’autres le décideront pour vous » ; l’injonction étant sur ce clip de deux minutes répétée quatre fois.

En 2017, la participation dans son électorat s’était écroulée entre la présidentielle et les législatives et tout laisse penser que le phénomène va de nouveau sévir. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que le parti d’extrême droite ne s’est pas donné les moyens de motiver ses troupes pour ce scrutin.

 

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Marine Le Pen sur un marché de Marignane, en soutien à Franck Allisio pour les élections législatives, le 24 mai 2022. © Photo Alain Robert / Sipa

Pour le RN, tout s’est mal emmanché dans cette campagne commencée très tard et avec de bien maigres ambitions. Au lendemain de sa défaite face à Emmanuel Macron, l’ex-candidate du RN a disparu pendant presque quinze jours, laissant le jeune président par intérim, Jordan Bardella, lancer une campagne sans cap ni boussole.

Lorsqu’elle réapparaît finalement, Marine Le Pen donne surtout l’impression que la bataille des législatives ne vaut pas la peine d’être menée pour son parti. « La logique des institutions veut que le président de la République ait une majorité, tous ceux qui racontent autre chose racontent des fables », lance-t-elle sur le plateau de TF1, laissant beaucoup au RN pantois devant un tel sabordage politique.

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Soucieuse d’apparaître comme une candidate crédible, face aux rodomontades de Jean-Luc Mélenchon se voyant déjà premier ministre, Marine Le Pen explique qu’elle ne veut pas, elle, « mentir aux Français ». Mais le mal est fait : impossible d’impulser la moindre dynamique de campagne après ça.

Le RN, qui ne compte aujourd’hui que huit parlementaires à l’Assemblée nationale, annonce ensuite fixer le très modeste objectif d’obtenir à ce scrutin un groupe, soit quinze députés. Réalisant la bourde stratégique à mettre la barre aussi bas, le parti rehausse l’objectif au fil des jours et évoque soudain la possibilité  d’« un groupe puissant de 60 députés », puis de « 100 à 150 élus », comme l’a finalement précisé Marine Le Pen dimanche.

Pris de court par l’accord des partis de gauche qui a saturé l’espace médiatique et surtout pris la place de la plus importante force d’opposition à Macron, le RN n’a eu enfin d’autre choix que de tomber dans l’outrance vis-à-vis de Mélenchon, dont il avait pourtant tenté de séduire l’électorat dans l’entre-deux-tours de la présidentielle.

À Hénin-Beaumont, Marine Le Pen, comme elle l’a fait sur toutes les télés et radios où elle a été invitée, a brandi une fois de plus l’épouvantail de « la coalition burkini », celle du « désarmement de la police », complaisante avec « l’islamisme ».

Un parti sur la défensive face à l’union de la gauche

La stratégie du RN est simple, comme une note interne révélée par Mediapart le détaillait : il fallait « diaboliser cette extrême gauche » à tout prix, les candidats étant priés de reprendre des éléments de langage assez laborieux : « Mélenchon c’est le désordre en France. Le I de LFI signifie “islamiste” »

Mais en ciblant la Nupes durant toute la campagne, le RN a donné l’image d’un parti sur la défensive, incapable de capitaliser sur le fait que sa candidate a pourtant réalisé un score historique pour l’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle avec 42 % des voix.

Le refus de tout accord électoral avec Reconquête d’Éric Zemmour, malgré un socle idéologique commun, a aussi coûté cher à un RN s’enlisant dans une surenchère de petites phrases assassines vis-à-vis de sa formation jumelle, contrastant cruellement avec l’image d’une gauche unie. Dans les circonscriptions, les candidats RN ont parfois passé plus de temps à dénigrer leurs adversaires zemmouristes, bien souvent d’anciens du RN, qu’à ferrailler avec les candidats en mesure de gagner.

Consciente que sa campagne prenait l’eau, la direction du RN a enfin tenté, dans la dernière ligne droite, de sauter opportunément sur la moindre polémique pour réveiller ses électeurs. Une recette éprouvée.

La nomination de Pap Ndiaye ? « Un choix terrifiant pour les parents et les grands-parents que nous sommes », juge Marine Le Pen, faisant huer en meeting « ce ministre wokiste […] là pour tout mettre à bas » dans le système scolaire.

Les incidents du Stade de France, où des centaines de supporters ont été nassés et gazés par les forces de l’ordre ?  Un « chaos sécuritaire » lié à une « immigration hors de contrôle », tonne le RN, Marine Le Pen allant même jusqu’à comparer avec des accents complotistes ces évènements aux agressions de femmes à Cologne en 2016 où, selon elle, « il fallait cacher que ces agressions étaient le fait de migrants ».

Des outrances censées réveiller les électeurs du RN mais dont il est difficile de mesurer l’effet mobilisateur pour un scrutin dont l’enjeu n’est pas évident pour beaucoup.

Le mode de scrutin, majoritaire à deux tours, est particulièrement défavorable au RN et le parti ne se fait pas beaucoup d’illusions sur sa capacité à peser dans l’hémicycle.

La malédiction d’un mode de scrutin injuste.

Marine Le Pen à Hénin-Beaumon

À Hénin-Beaumont, Marine Le Pen a une fois de plus déploré, par avance, « la malédiction d’un mode de scrutin injuste »« Je le dis sans détour, ce système électoral est une honte et c’est parce que c’est une honte que vous devez vous mobiliser pour en corriger les effets néfastes », a-t-elle tonné. Un argument à double tranchant puisqu’il consiste quand même à expliquer que le jeu est verrouillé et donc perdu d’avance…

Pourquoi dérouler de nouveau son programme sur les retraites, le pouvoir d’achat ou la priorité nationale en prenant acte, par avance, qu’avec un petit groupe, il sera totalement impossible d’exister à l’Assemblée nationale ?

Après la démonstration de force à l’élection présidentielle, ce scrutin législatif a révélé tous les paradoxes du parti de Marine Le Pen : le socle électoral d’un parti de masse mais une structure partisane réduite à un petit clan, sans aucune implantation locale, hormis une poignée de mairies, et surtout sans cadres.

Comme à chaque scrutin, la formation d’extrême droite, aux désormais treize millions d’électeurs, a eu le plus grand mal à aligner 560 candidats crédibles. Elle est, comme d’habitude, allée puiser dans un vivier de sympathisants, parfaits novices en politique, qu’elle a envoyés au casse-pipe médiatique offrant le spectacle désastreux de candidats bredouillant parfois devant la moindre question un tant soit peu technique.

Dans ce parti endetté à hauteur de 24 millions d’euros, aller à la pêche aux voix dans chaque circonscription, quitte à présenter des candidats fantoches, est pourtant essentiel pour essayer de se remettre à flot, chaque voix rapportant aux formations politiques 1,50 euro par an pendant cinq ans. Et tant pis pour l’image d’un parti crédible, apte à gouverner.

Sonnée par sa nouvelle défaite à l’élection présidentielle, Marine Le Pen a fait une campagne en pilote automatique, comme si elle était déjà passée à autre chose. À force d’entretenir le flou quant à son avenir au sein du parti, une atmosphère de fin de règne a finalement plombé ces élections législatives en interne. A priori, la députée du Pas-de-Calais devrait définitivement céder les clés du RN à Jordan Bardella, 26 ans et doté d’un maigre CV d’apparatchik, lors du congrès du parti qui se tiendra à l’automne, se réservant le rôle de cheffe de file à l’Assemblée nationale.

Avant même les résultats de ces élections législatives, chacun sait au RN qu’une page est en train de se tourner.

Lucie Delaporte

 

Image à la une: archives codex09/ MLP au parlement européen