Régionales: le RN se réjouit d’un alignement des planètes
19 MAI 2021 PAR LUCIE DELAPORTE
Entre le jeu cynique de l’exécutif, l’effondrement de LR et une gauche passablement désunie, le RN espère ravir plusieurs régions en juin prochain, lors d’un scrutin qui lui est pourtant généralement peu favorable.
« Ça fait cinq ans qu’on nous ressort cette affaire à chaque fois à un mois d’une élection (…). Je comprends bien qu’un certain nombre de sondages, qui nous donnent gagnants dans un certain nombre de régions, qui nous donnent très hauts au second tour de l’élection présidentielle, dérangent. » Jordan Bardella, candidat RN en Île-de-France, invité sur France Inter ce lundi, a écarté d’un revers de main les accusations qui ressortent du rapport l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) détaillant un « un système organisé frauduleux de détournement des fonds européens à son profit, par le biais d’emplois fictifs d’assistants parlementaires ».
Tous les cadres du parti, à commencer par Marine Le Pen, ont expliqué qu’il s’agissait d’un coup politique pour enrayer la dynamique électorale du RN… « C’est du réchauffé et je pense vraiment que les électeurs ne s’intéressent pas à ça », veut aussi croire le porte-parole du RN Julien Sanchez.
Marine Le Pen à Avesnes-sur-Helpe © LD
Ces dernières semaines, le parti de Marine Le Pen a vu, entre l’effondrement de LR et le jeu cynique de l’exécutif, toutes les planètes s’aligner dans un scrutin qui lui est pourtant généralement peu favorable. Les thèmes de l’extrême droite dominent le débat public depuis des mois et alors que la crise du Covid-19 offre une prime naturelle aux sortants – en rendant notamment impossible toute vraie campagne de terrain -, le RN peut espérer, cette fois, ravir plusieurs régions.
Après deux semaines de psychodrame au sein de la droite, en PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur), la liste RN menée par le transfuge de LR Thierry Mariani est désormais en bonne passe de l’emporter les 20 et 27 juin prochain. Désavoué par une partie de sa famille politique pour son alliance avec LREM – initialement annoncée par le premier ministre Jean Castex – le président LR de la région sortant Renaud Muselier fait une campagne avec des boulets aux pieds. Le président de la Commission nationale d’investiture (CNI) Éric Ciotti a ainsi déclaré qu’il souhaitait que son parti retire l’investiture à Muselier arguant « qu’on ne peut pas être en même temps Républicain et En marche ». En cause la présence d’une quinzaine de membres de la majorité sur la liste de Muselier, alors que l’accord avec LR stipulait qu’aucun ministre ni député LREM ne devait y figurer.
Si Renaud Muselier continue d’expliquer qu’il n’a « pas d’accord politique avec la République en marche conformément aux accords que j’ai pris avec ma propre famille politique… » le RN s’est empressé de compter avec gourmandise le nombre de membres, plus ou moins officiels de LREM, sur sa liste et rappelle le retrait de la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées Sophie Cluzel qui signe l’accord politique.
Thierry Mariani avoue « se pincer » devant le suicide politique de la droite dans cette région où elle est talonnée par le FN depuis des années. « Franchement je n’en reviens toujours pas », reconnaît-il.
« Pour moi le schéma était écrit : il y aurait la liste en Marche officielle et la liste officieuse et ils appelleraient à faire barrage au méchant RN au second tour. Mais je ne pouvais pas imaginer qu’ils passent un accord dès le premier tour ! », admet-il avant d’enfoncer un nouveau clou dans le cercueil de son ancienne famille politique. « LR est un parti qui n’est plus dirigé. Ils auraient du retirer l’investiture à Muselier immédiatement dès les listes connues. »
En 2015, Christian Estrosi n’avait remporté la région qu’à la faveur du retrait de Christophe Castaner (15% des voix sous l’étiquette du PS) alors que la députée du Vaucluse Marion maréchal était arrivée largement en tête au premier tour avec 41% des voix là où Estrosi avait plafonné à 25%.
Dans ce Sud Est où « la droite qui n’a pas peur de s’affirmer », comme euphémise Thierry Mariani, les frontières avec l’extrême droite sont très floues et il sera, il le sait, beaucoup plus difficile d’appeler au « front républicain » à une droite qui court après le FN/RN depuis des années. Le pedigree d’ancien ministre sarkozyste, lui qui a passé l’essentiel de sa vie politique à droite (du RPR à LR) le protège aussi, juge-t-il, des critiques qui pèsent habituellement sur le RN. « Difficile de me faire passer pour un dictateur à 62 ans », ironise Mariani. « On ne peut pas m’accuser non plus d’avoir collaboré avec la milice ou l’OAS », avance-t-il.
En Occitanie, le candidat Jean-Paul Garraud, lui aussi ancien membre de LR, espère également bénéficier des fractures de ses opposants. Dans cette région, remportée par la socialiste Carole Delga il y a six ans, la gauche part en ordre dispersée avec trois liste PS, LFI et EELV… et ce alors que le FN, avec la liste de Louis Aliot, était arrivé là aussi largement en tête lors du précédent scrutin. « Carole Delga n’a qu’une majorité relative aujourd’hui », rappelle le maire de Beaucaire Julien Sanchez qui se frotte les mains devant le spectacle des relations notoirement exécrables entre la présidente de région PS et les représentants de LFI, rendant toute union au second tour acrobatique.
La candidature du député LR du Lot Aurélien Pradié est de son côté coincée entre celle d’un Jean-Paul Garraud, cofondateur de la Droite populaire avec Thierry Mariani et la candidature LREM de Vincent Terrail-Novès. « Pradié n’est connu que dans le Lot », grince Julien Sanchez. « Et il est sur une ligne de centre-droit qui ne plaît pas beaucoup ici », avance-t-il, dénonçant une « fausse droite qui a voté, avec Delga, une subvention à l’association SOS Méditerranée » en février dernier (pour l’organisation d’une exposition de photos).
Localement, le RN a aussi beaucoup communiqué sur le ralliement de Cédric Delapierre, délégué des Républicains dans l’Hérault, en en faisant le signe de l’effondrement à venir du parti de droite. Si Aurélien Pradié juge auprès de Mediapart ce ralliement « pathétique et purement opportuniste », il fait néanmoins un peu désordre à quelques semaines du scrutin. La nouvelle stratégie à droite toute de Marine Le Pen qui a choisi de présenter des transfuges de LR dans presque toutes les régions clés devrait porter ses fruits dans plusieurs régions, estime-t-on au RN. « Cela peut effectivement décomplexer un électorat de droite vis-à-vis de nous. Dans une élection serrée ce n’est pas négligeable », juge Julien Sanchez, un temps pressenti pour mener la liste en Occitanie.
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Dans les Hauts-de-France, alors que Xavier Bertrand n’avait a priori pas beaucoup d’inquiétudes à se faire pour sa réélection, l’arrivée du garde des sceaux Éric Dupond-Moretti dans la campagne, sur la liste LREM de Laurent Pietraszewski ressemble à un étonnant cadeau de la macronie au candidat RN Sébastien Chenu. La venue de ce poids lourd du gouvernement va prendre des voix au président de région sortant sans en enlever une seule au RN. Un jeu dangereux dans une région où Marine Le Pen était arrivée très largement en tête au premier tour, Xavier Bertrand ne devant son élection qu’au désistement de la gauche.
Autre région où le RN fonde de vrais espoirs : la Bourgogne-Franche-Comté. Le candidat RN Julien Odoul devrait profiter d’une présidente de région Marie-Guite Dufay qui brigue, à 72 ans, un troisième mandat à la tête d’une gauche totalement atomisée. EELV et LFI ont aussi choisi de partir chacun de leur côté dans cette région où la candidate FN Sophie Montel avait dominé le premier tour en 2015 et où l’extrême droite n’a cessé de progresser ces dernières années.
Dans le Grand-Est, l’eurodéputée Nadine Morano que le candidat LR Jean Rottner n’a pas retenue sur sa liste, a bruyamment fait savoir qu’elle ne voterait pas pour le candidat officiel de son parti. Le candidat RN Laurent Jacobelli, transfuge de Debout la France, lui a immédiatement tendu à la main. Sans appeler encore ouvertement à voter pour la liste RN, l’ancienne ministre sarkozyste a néanmoins pris soin d’expliquer au Parisien que « Laurent Jacobelli n’incarne pas le fascisme et n’est pas d’extrême droite ». Un de ses proches, le député Philippe Morenvillier, ancien député UMP, a en tout cas franchi le pas et portera la liste RN en Meurthe-et-Moselle.
À un an de la présidentielle, le RN, lourdement endetté et cerné par les affaires, compte bien profiter des jeux de billards à quatre bandes du gouvernement, d’une droite complètement déboussolée et d’une gauche morcelée. Dans cette stratégie opportuniste, il peut compter sur les ralliements récents de quelques « noms » comme l’ancien directeur de la DST Yves Bonnet, ex-député UDF de la Manche, qui sera candidat en Normandie, du présentateur de LCI en retraite Philippe Ballard, candidat à Paris ou du chef d’entreprise Florent de Kersauson, fondateur de la Route du rhum, candidat dans la Manche.
Une stratégie du coucou qui a toujours réussi au parti d’extrême droite.