Régionales : on prend les RN et on recommence
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En manque de cadres, Marine Le Pen puise dans ses députés européens, élus frontistes expérimentés et quelques transfuges pour représenter son parti lors du scrutin de juin. La leader d’extrême droite espère faire basculer les Hauts-de-France, l’Occitanie ou la région Paca.
En 2019 à Paris, les candidats RN aux européennes. Les hommes sont têtes de liste aux régionales (de g. à d.) : Thierry Mariani, Jordan Bardella, Hervé Juvin, Nicolas Bay et Jean-Paul Garraud. (Thibaut Godet/Hans Lucas)
publié le 8 mars 2021 , Libération
Un nouveau recyclage. Pour la raison évidente qu’il manque toujours cruellement de cadres à mettre en avant, le Rassemblement national (RN) repropose, pour les prochaines régionales des 13 et 20 juin, une partie de son casting des dernières européennes. La présidente du parti d’extrême droite, Marine Le Pen, avait pourtant prévenu qu’en cas d’élection, ses députés à Bruxelles ne pourraient pas cumuler les deux casquettes. Une histoire de dévouement entier à leur fonction… Mais la règle (orale) a dû changer entre-temps, lorsqu’il a fallu compter les troupes. Six têtes de liste, sur les dix-huit présentées pour le scrutin de 2021, sont déjà membres du Parlement européen : Jordan Bardella, en Ile-de-France, Hervé Juvin dans les Pays-de-la-Loire, Jean-Paul Garraud en Occitanie, Thierry Mariani dans la région Provence-Alpes-Côtes-d’Azur, Nicolas Bay en Normandie, et Maxette Pirbakas pour la Guadeloupe. Parmi eux, certains sont déjà conseillers régionaux, comme Bay et Bardella – par ailleurs nommé directeur de cette campagne (un poste honorifique).
Dans l’entourage de Le Pen, cette campagne est présentée comme un échauffement présidentiel pour un parti dont la présidente s’est déjà déclarée candidate. On va «montrer qu’on travaille, qu’on s’est professionnalisés, et qu’on est assez nombreux pour former un gouvernement», annonce une source interne. Les régionales sont souvent un bon thermomètre pré-présidentiel pour le RN : en 2015, Marine Le Pen et sa nièce, Marion Maréchal, sont passées proches d’empocher respectivement les Hauts-de-France et Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca). Seuls les «désistements républicains» en faveur des listes de droite (Xavier Bertrand dans le Nord, Christian Estrosi dans le Sud) avaient alors empêché l’extrême droite française de diriger deux régions pour la première fois de son histoire.
Mais cette année, la présidente RN, députée du Pas-de-Calais, ne sera pas tête de liste dans sa région d’élection. Pas plus que sa nièce, qui reste toujours en retrait de la vie politique officielle. Le RN envoie tout de même une flopée d’habitués de l’exercice : le délégué national aux fédérations du mouvement, et ancien militant du groupuscule identitaire Terre et Peuple, Gilles Pennelle, tente à nouveau sa chance en Bretagne. Julien Odoul, président du groupe RN au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté rempile lui aussi. Propre sur lui et habitué des plateaux télé (CNews), il est membre du parti depuis 2014, après un passage au PS, puis au Nouveau Centre et à l’UDI. Odoul s’est fait remarquer en 2019, apostrophant en séance plénière une mère de famille accompagnatrice d’enfants, en visite dans l’hémicycle, qui portait un foulard islamique. Il exigeait d’elle qu’elle le retire ou quitte la salle, provoquant alors une polémique nationale.
Dans le sillage de la «dédiabolisation»
Mais ce scrutin local doit aussi servir au RN d’énième tentative d’affichage de cette «ouverture» derrière laquelle court le parti depuis qu’il a abandonné l’appellation «Front», en 2018. Trois ans plus tard, la stratégie se résume donc à mettre en avant – à défaut d’arriver à le mettre en scène – un maximum de profils prétendument venus de l’extérieur ou ayant participé au désenclavement souhaité par le mouvement après la dernière présidentielle perdue dans le sillage de la «dédiabolisation». Ainsi le RN a investi Edwige Diaz en Aquitaine : conseillère régionale sortante, la jeune femme (33 ans) a beaucoup œuvré dans son secteur pour mettre en place une «union des droites» locale. Le mouvement mariniste a aussi choisi de faire confiance à son porte-parole, Laurent Jacobelli, comme tête de liste dans le Grand-Est, un parachutage puisque ce dernier, aux dernières municipales, était candidat à… Allauch, dans les Bouches-du-Rhône. Soit à plus de 800 kilomètres de Strasbourg. Jacobelli a l’avantage d’être un ancien de Debout la France, le parti de Nicolas Dupont-Aignan. Un autre ex-proche du député souverainiste, Jean-Philippe Tanguy, a également été récompensé de sa défection. Celui qui vient tout juste de tourner le dos à Dupont-Aignan pour rejoindre Marine Le Pen, sera en bonne place sur la liste du député du Nord, Sébastien Chenu, dans les Hauts-de-France.
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Tanguy a monté une formation, «l’Avenir français», censée travailler à l’idée artificielle d’une branche «gaulliste» au sein du RN. Comme lui, plusieurs têtes connues du parti d’extrême droite ont lancé dernièrement leur think tank pour offrir l’image d’une certaine diversité dans une formation politique toujours très verticale. Ils ont été félicités par la direction nationale. Hervé Juvin et l’ex-insoumis Andréa Kotarac ont créé le «parti localiste» afin d’avoir un autre label à coller à leur plastron et faire croire en campagne à l’existence d’une galaxie de formations soutenant le RN aux régionales. Juvin, issu de la société civile, n’est pas adhérent du mouvement de Marine Le Pen. Au RN, on aime rappeler qu’il a été proche de l’ex-ministre de l’Environnement de Jacques Chirac, Corinne Lepage, au début des années 2000. A 65 ans, il inspire aujourd’hui la patronne de l’extrême droite avec son «écologie civilisationnelle». Juvin fera donc campagne en Pays-de-la-Loire. Kotarac sera, lui, tête de liste en Auvergne-Rhône-Alpes, là encore pour incarner «l’ouverture», à la place d’un conseiller régional sortant, pure souche RN, lui, Alexis Jolly.
Plus au sud, le RN mise sur deux anciens de la droite traditionnelle : Thierry Mariani dans la région Paca et Jean-Paul Garraud en Occitanie. Les deux se connaissent bien, puisqu’ils ont monté ensemble la «droite populaire» du temps où ils étaient députés UMP à l’Assemblée nationale. Ancien ministre des Transports, Mariani n’avait pas de réels concurrents. Le nom de deux figures régionales – Stéphane Ravier à Marseille et David Rachline à Fréjus – a un peu tourné à un moment, mais ça n’était que pour la forme. Ancien député du Vaucluse, Mariani s’est tourné vers l’ex-Front national au moment des européennes de 2019 alors qu’il était marginalisé à LR. Il constitue depuis la seule prise d’envergure du Rassemblement national. L’ex-sarkozyste raconte avoir depuis «intégré la famille Le Pen». Pour preuve : l’un de ses chats, Prada, de race somali, est la «sœur» d’une des chattes de Marine Le Pen, Piccolina… Sa candidature en Paca ne «manque pas de sel», raconte Mariani : il a été tête de liste dans la région en 2010, face à Jean-Marie Le Pen. Il y était d’ailleurs arrivé en tête au premier tour, avec 26 %, avant, dans une triangulaire, d’être dépassé au second par le président socialiste sortant, Michel Vauzelle. Cette fois, le député européen se présente face au sortant LR, Renaud Muselier, «avec qui je suis copain», raconte Mariani. Il invente la suite : «Lui et moi, c’est un peu le générique d’Amicalement vôtre. Sauf que lui va prendre la voie macroniste, et moi je me suis tourné vers Marine Le Pen.»
«L’histoire du front républicain contre nous ne marchera plus»
Jean-Paul Garraud, quant à lui, est un ancien magistrat, ex-juge d’instruction qui a été avocat général près la cour d’appel de Poitiers. Il a rejoint le RN aux dernières européennes et conseille depuis Le Pen sur les questions juridiques. C’est lui qui, par exemple, lui a soufflé l’idée d’une «législation de guerre» contre les islamistes, répétée un peu partout par la députée d’extrême droite après l’assassinat de Samuel Paty et l’attentat de Nice, en octobre. Garraud est encore l’auteur du contre-projet du RN à celui du gouvernement contre les «séparatismes». Il se présente comme ayant des attaches familiales à Martres-Tolosane, village de Haute-Garonne situé au sud de Toulouse, d’où vient aussi la présidente de région sortante, la socialiste Carole Delga. Garraud, qui a participé à la campagne municipale victorieuse de Louis Aliot à Perpignan, l’an passé, affirme que ce dernier va lui renvoyer l’ascenseur aux régionales. L’autre figure d’extrême droite de la région, le maire de Béziers, Robert Ménard, a prévu de venir aussi le soutenir.
Ménard préférait pourtant la candidature de Julien Sanchez, maire de Beaucaire (Gard). «Il avait la légitimité du travail accompli, il a fait son boulot d’opposant [à la région] et a été très bien réélu aux municipales», explique-t-il. L’édile a aussi tenté de jouer les entremetteurs auprès de la maire LR de Montauban, Brigitte Barèges, pour la faire passer au RN. Mais, entre-temps, elle a été condamnée à cinq ans d’inéligibilité dans une affaire de détournement de fonds publics et dû quitter son fauteuil avant de donner sa réponse. Garraud le regrette : «Brigitte et moi, on s’entend très bien, c’est une amie, elle était à la droite populaire. Mais, entre Louis Aliot, Robert Ménard et moi, on peut faire quand même un résultat sympa.» Aux dernières régionales, en 2015, la liste départementale conduite par Aliot dans les Pyrénées-Orientales, était arrivée en tête au second tour, avec 44 %.
Qu’espère le RN cette année ? Reconduire au moins ses (actuels) 258 conseillers. «L’histoire du front républicain contre nous ne marchera plus», anticipe un proche de Le Pen. L’Occitanie et la région Paca pourraient réserver quelques surprises. Idem dans les Hauts-de-France. «Xavier Bertrand y est favori, mais LREM n’a aucun avantage à le faire gagner alors que ça pourrait le lancer pour la présidentielle, et les socialistes n’ont plus aucun cadeau à lui faire», analyse une source interne. Le danger pour le RN serait qu’avec la crise sanitaire, la campagne passe en dessous des radars et que, comme aux précédentes municipales, l’abstention bénéficie aux sortants. «Si l’élection ne déplace pas les foules, on aura du mal», anticipe un cadre RN. Pour essayer de mobiliser son électorat, le parti est donc déjà en campagne. Tel Sébastien Chenu dans les Hauts-de-France, dont le bus floqué d’une photo géante de lui et Marine Le Pen doit passer dans chaque ville de la région avant le mois de juin. Aux municipales, candidat à Denain, le député s’était fait balayer dès le premier tour.