Le quotidien raciste, homophobe, violent d’un commissariat de police
3 SEPTEMBRE 2020 PAR VALENTINE OBERTI ET PASCALE PASCARIELLO
Depuis sa formation d’adjoint de sécurité jusqu’à son affectation dans un commissariat parisien, le journaliste Valentin Gendrot a, deux années durant, infiltré la police. Dans son livre, Flic. Un journaliste a infiltré la police, il y décrit la violence, le racisme quasi quotidien de certains policiers et l’absurdité des missions répondant, invariablement, à la politique du chiffre. Mediapart l’a rencontré.
Un jeune migrant, frappé par un policier, à l’abri des regards, à l’intérieur d’un fourgon, avant d’être abandonné dans un quartier très éloigné du lieu même de sa violente interpellation. « Des mecs comme lui, ça mérite que la mort », lâche alors l’un des six agents de cet équipage.
Nous sommes en mars 2019. Après une formation d’adjoint de sécurité (ADS) et une année passée en préfecture, le journaliste Valentin Gendrot vient d’être affecté au commissariat du XIXe arrondissement de Paris. Dès les premiers jours, en tenue, il se rend ainsi « complice du tabassage d’un jeune migrant ».
Complice, témoin silencieux, Valentin Gendrot tient ainsi les six mois de son immersion au sein de la police qu’il a souhaité infiltrer « pour être le premier à tenter le coup, par défi personnel », et pour connaître le quotidien d’un commissariat, les violences en toute impunité, mais, aussi le manque de reconnaissance des policiers.
Un jeune migrant, frappé par un policier, à l’abri des regards, à l’intérieur d’un fourgon, avant d’être abandonné dans un quartier très éloigné du lieu même de sa violente interpellation. « Des mecs comme lui, ça mérite que la mort », lâche alors l’un des six agents de cet équipage.
Nous sommes en mars 2019. Après une formation d’adjoint de sécurité (ADS) et une année passée en préfecture, le journaliste Valentin Gendrot vient d’être affecté au commissariat du XIXe arrondissement de Paris. Dès les premiers jours, en tenue, il se rend ainsi « complice du tabassage d’un jeune migrant ».
Complice, témoin silencieux, Valentin Gendrot tient ainsi les six mois de son immersion au sein de la police qu’il a souhaité infiltrer « pour être le premier à tenter le coup, par défi personnel », et pour connaître le quotidien d’un commissariat, les violences en toute impunité, mais, aussi le manque de reconnaissance des policiers.
Écrit à la première personne, ce récit est avant tout celui de Valentin, un journaliste davantage spécialisé dans les immersions (celle-ci étant la septième) que sur les forces de l’ordre. Pour préparer cette infiltration, il s’est tout naturellement inspiré de la journaliste Florence Aubenas qui, dans Le Quai de Ouistreham, raconte comment elle a passé six mois à faire des petits boulots, et notamment le ménage dans les ferries.
« Pour ne pas se faire griller, il faut être soi-même. On ne peut pas tout inventer sur ce qu’on aurait été », explique-t-il à Mediapart. Et ça tombe bien parce que « ces flics me rappellent d’où je viens », raconte-t-il dans son livre. « Souvent, ce sont des provinciaux comme moi. Souvent, ils viennent de classe moyenne, comme moi. […] Cette proximité vient chatouiller un point sensible […] La sensation de n’appartenir à aucun milieu. Je me sens trop éduqué pour celui d’où je viens et trop plouc pour l’univers journalistique parisien. »
Afin de s’immerger plus rapidement au sein de l’institution, Valentin choisit de devenir adjoint de sécurité, « une police low cost », selon un instructeur, dont le temps de formation est quatre fois plus court (trois mois au lieu de douze) que celui, déjà succinct, des gardiens de la paix. « Je ressens chez eux une fierté à endosser l’uniforme, l’impression d’appartenir à une unité », confie le journaliste en immersion.
À l’école de police de Saint-Malo, Valentin a pour voisin de lit Romain, un catholique pratiquant, qui a longtemps fréquenté « des collectionneurs d’objets à la gloire du Troisième Reich genre buste d’Hitler » et se rapproche de Mick qui surnomme les « Arabes, les “crouilles”, les “gris” » [et qui] « renverrait bien les migrants dans un charter ».
À sa sortie, avec un salaire de 1 340 euros par mois, Valentin est affecté à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (I3P). Dans ce service unique en France, situé dans une annexe de l’hôpital Sainte-Anne, la préfecture enferme, pour 48 heures maximum, des personnes atteintes de troubles du comportement et représentant un « danger imminent pour la sûreté des personnes » selon le code de la santé publique.
Alors même que ces personnes ont droit à un avocat, Valentin n’en voit aucun durant ses quinze mois de présence. « Les patients que j’ai vus arriver ici étaient tous isolés, écrit-il. “Ce sont des oubliés des dieux et des hommes”, m’a dit un jour un infirmier. Des personnes en crise, des toxicos, des SDF, des migrants. »
Le 9 mars 2019, Valentin est enfin muté au commissariat du XIXe arrondissement. Cette affectation est centrale dans son infiltration : « C’est ce que je souhaitais décrocher et je m’étais fixé six mois d’immersion dans ce lieu », explique-t-il auprès de Mediapart.
Il y découvre les interpellations de vendeurs à la sauvette, « opérations minables », qui permettent de gonfler « des statistiques artificiellement » et le racisme quasi quotidien de certains policiers à l’encontre de ceux qu’ils nomment les « bâtards, c’est-à-dire, un mec jeune plutôt noir ou arabe. Parfois, il est aussi migrant ».
« Dans mon commissariat, les paroles racistes, homophobes et machistes fusent tous les jours. Elles émanent de certains collègues et sont tolérées ou ignorées par les autres. » Il voit des policiers « cogner un migrant noir contre un Abribus puis dans le fourgon de police ; tabasser un autre migrant marocain […] mettre des claques sur plusieurs gardés à vue, toujours arabes ou noirs de peau. »
« On va chasser ! Le sang appelle le sang », entend-il de ses collègues qui vont « chasser des bâtards ». Jusqu’au jour où il participe à l’écriture d’un faux procès-verbal pour couvrir l’un de ses collègues qui a roué de coups de poing un jeune. Ainsi qu’il le relate à Mediapart « d’un point de vue journalistique, je tiens de l’or. J’ai une bavure avec les éléments de A à Z. Mais en tant que citoyen, évidemment je ne peux pas l’accepter. Mais, je sais qu’en écrivant ce livre, je peux dénoncer les faits et cela peut aussi en convaincre d’autres de le faire. Du faux en écriture publique, c’est quinze ans de prison, c’est pire que de frapper un mineur. Pour ma part, je vais évidemment revenir sur ma déposition à l’égard de ce mineur ».
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Si l’infiltration de Valentin Gendrot n’apporte pas d’information nouvelle, elle vient démontrer des évidences, qu’il est toujours nécessaire de documenter, avec le récit central d’une bavure vécue de l’intérieur. Cette immersion constitue une nouvelle preuve du racisme systémique et des violences impunies des policiers. Pour ce journaliste, elle n’a pas été sans conséquence. « Je me rends compte qu’en l’espace de six mois, mon niveau d’humanité et d’empathie a chuté. Comme si ce boulot m’avait vacciné contre la sensibilité », conclut-il.