Quand LERM vote RN

A l’Assemblée nationale, la majorité présidentielle accusée de ne plus faire barrage à l’extrême droite

Le camp macroniste justifie l’élection de deux vice-présidents de l’Assemblée issus du RN par « le respect de la volonté des Français » exprimée lors des élections législatives.

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Publié hier (30 juin 2022)

Le front républicain était donné pour mort après l’élection présidentielle. Le voici enterré. Mercredi 29 juin, deux députés du Rassemblement national (RN) ont obtenu deux postes de vice-président de l’Assemblée nationale dès le premier tour du scrutin. A la majorité absolue, donc, et avec les voix d’une partie du camp présidentiel. Un nouveau fait historique, au lendemain de l’élection de la première femme à la tête du « perchoir », Yaël Braun-Pivet, membre du parti présidentiel La République en marche (LRM, rebaptisé « Renaissance »).

L’accession des deux élus d’extrême droite, Sébastien Chenu, député du Nord, et Helène Laporte, du Lot-et-Garonne, à ces postes prestigieux du Palais-Bourbon, est la conséquence directe de l’arrivée massive de parlementaires du parti de Marine Le Pen. Avec 89 représentants, ils devancent la droite des Républicains (62 députés) comme la gauche socialiste (28), intégrée dans la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), emmenée par Jean-Luc Mélenchon.

Mais, après tout, que deux membres de l’extrême droite fassent partie du « conseil de l’Assemblée » n’est pas le plus choquant. Cela « illustre la nouvelle Assemblée choisie par les Français lors des scrutins des 12 et 19 juin », a commenté, mercredi, la majorité présidentielle formée par Renaissance, le MoDem et Horizons. Aux côtés des deux élus RN figurent aussi les représentants des autres grandes forces politiques : Horizons, le MoDem, le Parti socialiste et La France insoumise (LFI). « Il ne nous appartient pas de choisir nos oppositions, mais bien de faire respecter la volonté des Français telle qu’exprimée lors des élections législatives. Nos combats seront politiques, mais nous refusons de tordre nos institutions », a souligné la présidente du groupe Renaissance, Aurore Bergé, mercredi.

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Reste le malaise. S’il est des règles tacites et explicites au sein de l’Assemblée, qui veulent que les postes-clés de l’institution reflètent sa coloration politique, l’élection des élus RN par des membres de la majorité présidentielle interpelle, y compris chez les « marcheurs ». Les premiers à s’insurger sont les écologistes qui, en présentant deux candidats, imaginaient barrer la route à l’extrême droite.

« Ce jour, LRM a fait voter FN [Front national ancien nom du RN] pour faciliter l’accession de députés d’extrême droite à la vice-présidence de l’Assemblée nationale. Les masques tombent : LRM se prétendait rempart et se fait marchepied », s’est étranglé, dans un tweet, Julien Bayou, député de Paris et coprésident du groupe Europe Ecologie-Les Verts (EELV) à l’Assemblée. « Ce séisme politique aura des répliques désastreuses pendant de longues années, et probablement jusqu’en 2027. La faute politique et morale de LRM est historique », a abondé Nicolas Thierry, député (EELV) de la Gironde.

« Scandaleux et indigne »

A l’arrivée, les candidats écologistes n’ont eu que quelques dizaines de voix, quand ceux du RN en ont récolté entre 290 et 284. Une simple règle arithmétique permet de déduire que les députés du camp présidentiel ont voté, dès le premier tour, pour ces derniers. Pour les macronistes, la faute incombe aux écologistes. « Je me battrai toujours contre le RN, mais il faut reconnaître les règles de l’Assemblée ! S’il n’y avait pas eu ces deux candidats écologistes, personne n’aurait eu besoin des votes de personne », défend Roland Lescure, député (Renaissance) des Français de l’étranger.

Cet argument ne tient pas la route, aux yeux des socialistes. « Personne n’était obligé de se salir les mains en votant RN. Il suffisait d’attendre. Nous, nous avons établi une digue étanche face au RN », fait valoir Arthur Delaporte, élu du Calvados et porte-parole du groupe PS à l’Assemblée. Si, aux deux premiers tours, une majorité absolue était nécessaire pour l’emporter, la majorité relative requise pour le troisième tour assurait une victoire aux candidats du RN, avec ou sans la présence des écologistes. « Voilà où mène leur “tout sauf la Nupes” : à la compromission avec l’extrême droite. Scandaleux et indigne », accuse Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée, qui suspecte la « Macronie » d’avoir noué un accord « en catimini » avec le RN et LR pour la répartition des postes à l’Assemblée.

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Accord ou pas, l’attitude des troupes macronistes accentue le trouble semé lors de la campagne des législatives. Après avoir tenté de ressusciter le front républicain pour se faire élire lors des élections présidentielles de 2017 et 2022, où il affrontait Marine Le Pen, Emmanuel Macron a semblé amalgamer gauche radicale et extrême droite en se refusant de donner des consignes de vote claires pour faire barrage au RN, lors du second tour des législatives.

Un comportement ambigu qui a permis la victoire de députés d’extrême droite lors de duels face à la Nupes« Je ne confonds pas les extrêmes, mais, par leur expression, leur positionnement – j’ai toujours été clair sur le sujet –, ces formations ne s’inscrivent pas comme des partis de gouvernement », a tenté de clarifier le chef de l’Etat, samedi 25 juin, dans un entretien à l’AFP. Une nuance insuffisante pour que ses soutiens érigent un barrage face à l’extrême droite.