Présidentielle en Autriche : «Il y a une habileté du FPÖ à surfer sur la crise des réfugiés»
Par Estelle Pattée— 26 avril 2016 à 12:37
Trois questions à Jean-Yves Camus, politologue et spécialiste des nationalismes et extrémismes en Europe, sur les raisons du score historique de l’extrême droite au premier tour l’élection présidentielle en Autriche.
- Présidentielle en Autriche : «Il y a une habileté du FPÖ à surfer sur la crise des réfugiés»
L’extrême droite est arrivée largement en tête dimanche au premier tour de l’élection présidentielle. Le candidat du parti FPÖ, Norbert Hofer, a recueilli plus de 36 % des voix, loin devant l’écologiste Alexander Van der Bellen (20,4 %), qu’il affrontera au second tour le 22 mai. Le candidat social-démocrate Rudolf Hundstorfer (SPÖ) et le conservateur Andreas Khol (ÖVP), qui ne réunissent que 11 % des voix chacun, sont éliminés d’entrée. Un scrutin qualifié de «tsunami» par la presse autrichienne, alors que ces deux partis se partagent le pouvoir depuis 1945. Jean-Yves Camus, politologue et spécialiste des nationalismes et extrémismes en Europe, analyse ce score historique.
Comment expliquer la montée de l’extrême droite en Autriche ?
Ce vote a une dimension de protestation envers un système politique bloqué. Depuis 1945, les conservateurs et les sociaux-démocrates gouvernent soit en alternance, soit ensemble. Mis à part l’émergence des Verts, les nouvelles formations sont rares. Il y a une demande forte de l’électorat autrichien de quelque chose de nouveau. La presse autrichienne a qualifié cette victoire de «tsunami politique». C’est en effet un signal fort, donné par les électeurs, de l’obsolescence de ces deux partis.
Il y a aussi une habileté du FPÖ à surfer sur la crise des réfugiés. L’Autriche est en première ligne pour des raisons géographiques. Malgré les mesures drastiques prises par le gouvernement autrichien, celles-ci n’ont pas convaincu les électeurs.
La campagne de dédiabolisation menée par le FPÖ a-t-elle joué dans cette victoire ?
Norbert Hofer a réussi là où la précédente candidate du FPÖ pour l’élection présidentielle de 2010, Barbara Rosenkranz, a échoué. Le parti a cette fois-ci choisi un candidat qui maîtrise son discours et qui n’appartient pas à l’aile radicale. Norbert Hofer a fait une campagne sans faute et a évité assez soigneusement tout dérapages. Du temps de Jörg Haider [président du parti de 1986 à 2000 ndlr], il y avait dans les discours une apologie de certains aspects de la politique nazie. Norbert Hofer n’est pas du tout dans ce type de démarche. Il y a des signes de respectabilité donnés à cette formation. L’actuel président du parti, Heinz-Christian Strache, s’est par exemple rendu ce mois-ci au mémorial de la Shoah à Jérusalem. Pour autant, le discours est plus radical sur la question des réfugiés.
Quelles seront les conséquences si Norbert Hofer accède à la tête du pays ?
La fonction présidentielle autrichienne donne au Président des pouvoirs étendus mais qu’il n’utilise traditionnellement pas. Cependant, Norbert Hofer a menacé de dissoudre le Parlement si le gouvernement ne prenait pas de mesures radicales concernant les réfugiés. Mais au regard des chiffres du premier tour, l’hypothèse d’une victoire de ce candidat est faible. L’arithmétique plaide contre lui.
Propos recueillis par Estelle Pattée
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Campagne dominée par la question du droit d’asile
(extrait article Le Monde du 24/04)
En Autriche, le rôle du président est avant tout protocolaire. Le chef de l’Etat, élu pour un mandat de six ans renouvelable une fois, ne participe pas à la gestion au quotidien du pays . Il désigne le chancelier. Il peut aussi théoriquement révoquer le gouvernement.
Ces résultats étaient attendus : les sondages donnaient MM. Hundstorfer et Khol largement derrière les trois autres candidats dans cette élection qui doit désigner le successeur de Heinz Fischer, le président sortant (SPÖ).
La campagne électorale a été dominée par la question du droit d’asile. Le gouvernement a établi des restrictions drastiques en la matière, l’extrême droite lui reprochant de ne pas en faire assez, et les défenseurs des droits de l’homme trouvant qu’il est allé trop loin.
L’Autriche a enregistré 90 000 demandes d’asile en 2015. Rapporté à sa population (8,58 millions de personnes), c’est un chiffre qui la place parmi les premiers pays d’accueil en Europe.
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Mais la campagne n’a pas tourné qu’autour des migrants. L’usure des partis au pouvoir a aussi largement pesé.