Présidentielle: MLP en course

2022

Présidentielle : pour Marine Le Pen, la rentrée en avant doute

La patronne du RN, qui entre en campagne ce week-end à Fréjus, surjoue la sérénité face au scepticisme qui pointe en interne, une droite radicalisée et un Eric Zemmour susceptible de détourner une partie de son électorat.

MLP le-pen-lautre-candidate-des-richesle 2 mars 2017

par Tristan Berteloot et Nicolas Massol

publié le 9 septembre 2021 à 20h18

Peu de responsables politiques le reconnaîtraient publiquement, mais beaucoup aimeraient être à la place de Marine Le Pen aujourd’hui. A sept mois de la présidentielle, la plupart des candidats en sont encore à essayer de fédérer leur camp pour espérer s’élancer à l’assaut de l’Elysée. La présidente du Rassemblement national, elle, s’offre le luxe d’inaugurer dès à présent sa campagne pour le second tour du scrutin – pour lequel les sondages la donnent invariablement qualifiée face à Emmanuel Macron. Pourtant, derrière ce joli tableau et cet air satisfait qui s’étale sur sa nouvelle affiche de campagne dévoilée jeudi, la députée du Pas-de-Calais, qui fait sa rentrée ce week-end à Fréjus, a quelques raisons de s’inquiéter.

Non contente d’accuser la surenchère verbale de la quasi totalité des aspirants à l’investiture LR, Le Pen est désormais concurrencée par le spectre d’une candidature d’Eric Zemmour. Pour l’instant, la patronne surjoue la sérénité et trace sa route, sans dévier de cap dans sa stratégie de normalisation-présidentialisation. Elément de langage du moment : «Parmi ceux qui croient en la France, je considère que je n’ai pas d’adversaires.» Dans ses rangs, la carapace commence à se fendiller. «Dans les enquêtes d’opinion, il [Zemmour, à 7 %, ndlr] n’est pas en situation de gagner, en revanche il peut être un caillou dans la chaussure», s’alarme le maire RN de Perpignan, Louis Aliot.

«Une espèce de troisième voie»

Dans l’immédiat, Le Pen va profiter du conseil national du parti, ce week-end, pour laisser la présidence du mouvement à Jordan Bardella, 25 ans, le temps de la campagne. Vantée en interne comme une «première» dans l’histoire du parti, l’opération est purement cosmétique : peu de choses vont changer dans un appareil totalement verrouillé par la taulière et une poignée de proches. «Bardella n’apparaît pas comme une personnalité autonome, sa présidence sera un intérim sous contrôle absolu», prévient un cadre. Le tour de passe-passe n’a même rien de nouveau. En 2017, Le Pen avait lâché les rênes du FN à l’eurodéputé Jean-François Jalkh, puis à Steeve Briois, maire d’Hénin-Beaumont, le premier s’étant fait rattraper par des propos négationnistes.

Sur le fond, cette déprise des fonctions partisanes devrait avoir des conséquences concrètes. «Avant, Marine était dans un cadre, celui du RN. Là, elle en sort et elle va dire ce qu’elle veut. Elle prendra des libertés larges avec le programme, sur le sociétal ou l’économie, par exemple», promet Sébastien Chenu, porte-parole du parti. Illustration jeudi, dans une interview de rentrée au Figaro, où Le Pen se prononce en faveur de la renationalisation des autoroutes et de la privatisation de l’audiovisuel public. «Elle veut sortir de la dualité entre droite et gauche [ligne libérale-conservatrice et ligne social-souverainiste], pour une espèce de troisième voie», traduit Chenu.

Le Pen passe en mode mineur les sujets qui ont fait la fortune de la formation démagogue, au moment même où, en face, les candidats déclarés à l’investiture LR font assauts de propositions anti-immigration… et qu’Eric Zemmour, à droite du RN, se rapproche à pas de loup d’une candidature officielle. Explication de Philippe Ballard, ex-présentateur de LCI bombardé directeur de la communication de la campagne : «A-t-on besoin de rabâcher nos thèmes habituels ? Sur l’immigration et l’insécurité, les gens savent ce que nous pensons. Nous souhaitons désormais mettre en avant le pouvoir d’achat et les libertés.» Inutile de jouer la surenchère à droite : le RN se persuade que LR n’est plus crédible sur ce créneau. Le problème Zemmour est lui aussi évacué : les marinistes gagent que le «polémiste» multicondamné n’ira pas au bout de sa démarche. Et quand bien même il le ferait, ça ne serait pas à leur détriment. «Zemmour prend plutôt à LR, croit savoir une source haut placée au siège du RN. La droite se flatte intellectuellement en votant pour lui. Je connais les électeurs LR : ils tiennent des propos beaucoup plus trash que nous mais ils ne mettraient jamais un bulletin Le Pen dans l’urne car c’est ce que vote leur femme de ménage.»

Un sentiment de fin de règne

Tenant l’électorat frontiste pour acquis, l’eurodéputé Jean-Lin Lacapelle résume ainsi les enjeux de la campagne qui s’ouvre : «Les sondages sont bons, Marine est systématiquement qualifiée au second tour. Maintenant, nous avons sept mois pour combler le gap des cinq points qui nous manquent face à Macron.» A l’entendre, la feuille de route de sa candidate ressemblerait à une promenade de santé. Rien d’étonnant : au RN, on maîtrise à la perfection l’art de cacher ses doutes. Après la série de claques subies aux dernières élections (municipales, régionales, départementales), le congrès de Perpignan, en juillet, avait été mené sur l’air de «tout va très bien Madame la marquise». Tout juste si certains élus convenaient publiquement de leur «déception». «Au congrès, il n’y a eu aucune réflexion de fond. On n’a rien changé sur la ligne», se désole un cadre. «L’ambiance de la soirée de gala, c’était le bunker de Hitler en 45 : on fait une dernière fois la fête, comme si de rien n’était, avant l’assaut final», ricane encore un cadre du Sud.

En réalité, un sentiment de fin de règne suinte partout dans les rangs du mouvement. Beaucoup pensent tout bas ce que Zemmour clame tout haut – Le Pen est loin de remporter la présidentielle – et envisagent la suite sans elle. «Que se passe-t-il en ce moment ? L’héritage psychologique d’une stratégie. Marine ne veut plus aller à la bagarre, elle n’a plus envie. Elle veut séduire sans être combative. Résultat : il n’y a aucune dynamique donc pas d’implication des votants. On se maintient sur un socle électoral. En 2012 aussi, Marine Le Pen avait commencé la présidentielle à 24 % dans les sondages. Elle a terminé à 17 %. Cette fois, la décrue commence encore plus tôt.» Pour finir à combien ? Selon une enquête Harris Interactive publiée par Challenges mercredi, la candidate a déjà perdu six points depuis le début du mois de juin, dont trois au profit de Zemmour.

Conséquence de ces perspectives peu enthousiasmantes : la direction n’a cessé de se recroqueviller l’année électorale passée, jusqu’au congrès de Perpignan où seuls les plus proches conseillers de Marine Le Pen et leurs amis ont été félicités, dans un réflexe clanique. Ils composent depuis le bureau exécutif du RN, assaisonnés de quelques faire-valoir. «Il n’y a pas forcément de volonté de reprendre ses billes avant la liquidation. Mais beaucoup de gens ne vivent que par Marine Le Pen. Ils ont voulu purger un maximum tant qu’ils en ont encore la capacité, raconte une source au siège. Le problème du marinisme c’est qu’on impose un monolithisme alors que la ligne est aujourd’hui fluctuante.» En cas de nouvel échec à la présidentielle, les «discussions» s’annoncent salées.