Pologne: ombre d’un coup de force populiste

 

L’ombre du coup de force populiste sur la Pologne

Jacques Hubert-Rodier / Editorialiste diplomatique Les Echos | Le 15/12

Le parti Droit et Justice avec son leader par Jaroslaw Kaczyński / AFP

Le parti Droit et Justice avec son leader  Jaroslaw Kaczyński / AFP

Martin Shultz, le président du Parlement européen, qui évoque, lundi, un « coup d’Etat » en Pologne. La Fédération européenne des journalistes s’inquiète de l’adoption d’une nouvelle législation muselant la presse. Comme la Hongrie de Viktor Orban et de son parti le Fidesz, la Pologne, sous le parti Droit et Justice (PiS, Prawo i Sprawiedliwość), un parti conservateur et eurosceptique, est peu à peu en train de s’accaparer tous les leviers du pouvoir.

Kaczyński s’en prend à la Cour constitutionelle
Après l’arrivée à la présidence d’Andrzej Duda, en août dernier, le PiS, dirigé par Jaroslaw Kaczyński qui est souvent considéré comme un populiste, a obtenu en octobre la majorité absolue à la Diète en remportant 242 sièges sur 460 . Et désormais Jaroslaw Kaczyński tente de saper l’action de la Cour constitutionnelle qu’il accuse de couvrir « d’énormes abus ». Le leader politique, à l’issue d’une manifestation de ses partisans, a même parlé de détournement de plusieurs milliards de zlotys par la classe politique que la cour tenterait de protéger. Selon le décompte de l’AFP, quelque 20.000 manifestants ont participé, dimanche, à cette marche organisée à l’occasion de la 34ème commémoration de la proclamation de l’Etat d’urgence en Pologne par le général Jaruzelski et l’arrestation de Lech Walesa et de toute la direction de Solidarité. La veille, une manifestation de l’opposition de droite et de gauche avait réuni à Varsovie quelque 50.000 personnes, selon la mairie.
Ce bras de fer fait suite à des tentatives des deux grands partis polonais _ le PiS et la Plateforme civique (battue aux dernières élections) _ de faire nommer des juges proches de leurs positions. Mais même si ces tentatives ont été abandonnées, Jaroslaw Kaczyński accuse la cour de vouloir tout faire pour empêcher l’application de son programme électoral. Un programme très proche de celui défendu par Viktor Orban . Le PiS fait d’ailleurs souvent référence au Premier ministre hongrois.

La presse particulièrement dans le collimateur
« Le PiS est un parti qui n’aime pas les corps intermédiaires et les contre-pouvoirs, surtout les institutions présumées politiquement neutres, comme la Cour constitutionnelle, la Banque centrale ou la Cour des Comptes », avait affirmé Jacques Rupnik, chercheur au Ceri-Sciences Po, dans une interview diffusée par le portail d’information « Toute l’Europe » en octobre dernier. La presse est d’ailleurs particulièrement dans son collimateur. Il est vrai qu’elle est en Pologne nettement plus indépendante que dans les autres pays d’Europe de l’Est. « Il y a une société civile très attachée aux libertés et à l’orientation européenne », soulignait-il.
D’ores et déjà, les déclarations du social-démocrate allemand Martin Schultz ont suscité la colère du gouvernement polonais. La présidente du Conseil des ministres, Beata Szydlo, a immédiatement affirmé que le parlementaire européen devait des excuses à la Pologne.
Quant à la fédération européenne des journalistes, elle s’inquiète du projet, annoncé par le ministre de la Culture et vice-Premier ministre Piotr Glinski, d’un projet de loi qui devrait être adopté d’ici deux mois, visant à transformer les médias publics « en institutions culturelles nationales ». En tout cas, de la Hongrie à la Pologne en passant par la France et l’Italie, la montée du populisme se fait sentir dans toute l’Europe.
Jacques Hubert-Rodier

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La Croix, un angle plus optimiste… à suivre

La Pologne se divise face à l’autoritarisme du gouvernement
Récemment élu, le Parti Droit et Justice, conservateur, perd déjà en popularité.
15/12/15 – 17 H 50

Sa volonté de reprise en main des institutions suscite l’hostilité au sein d’une partie de la population.
L’état de grâce n’aura pas duré. Moins de deux mois après son retour au pouvoir en Pologne, le parti Droit et Justice (PiS) perd déjà en popularité. Celle-ci est passée de 42 % à 27 % depuis les élections législatives du 25 octobre 2015, d’après un sondage publié mardi 15 décembre par le quotidien Gazeta Wyborcza. Un camouflet pour la formation conservatrice qui, après huit années dans l’opposition, voyait dans la majorité absolue que les urnes lui ont offerte au Parlement une intarissable source de légitimité pour mettre en œuvre ses projets pour le pays.

Une légitimité contestée
Le PiS a fédéré contre lui près de 50 000 manifestants qui, samedi, ont défilé dans les rues de Varsovie pour tout à la fois « défendre la démocratie », appeler à la démission du président de la République, Andrzej Duda, membre du parti conservateur, ou accuser ce dernier d’avoir violé la Constitution.
« La légitimité du PiS n’est pas aussi profonde qu’il le pensait », relève Aleksander Smolar, président de la Fondation Stefan Batory, pour la promotion de la démocratie. Le PiS n’a quant à lui réussi à mobiliser que 20 000 personnes, dimanche, lors de la manifestation censée dans le même temps commémorer le coup de force communiste contre le syndicat Solidarité, en 1981, et répondre à celle de la veille organisée par ses détracteurs.

Des actes autoritaires
Une tentative de nommer, au mépris des règles, cinq juges proches du PiS au sein du Tribunal constitutionnel a commencé, en novembre, à jeter la suspicion sur les intentions du nouveau gouvernement. Des volontés de contrôler les médias publics, une tentative d’interdire des représentations au théâtre d’une version de La jeune fille et la mort jugée pornographique ou l’amnistie d’un ancien chef des services secrets condamné pour abus de pouvoir ont ensuite contribué à crisper la société civile.
« Le PiS se comporte de manière très brutale », poursuit Aleksander Smolar. La méthode agressive tranche avec le ton de la campagne électorale, menée par une candidate du PiS, devenue premier ministre, Beata Szydlo, effacée, sinon sans charisme. « Pendant la campagne, l’image d’un parti non radical a été projetée sur la place publique, et c’est cela qui a séduit l’électorat, analyse Aleksander Smolar. Désormais, le parti dévoile son véritable visage. »

À couteaux tirés avec le Parlement européen
Le président du parlement européen, l’Allemand Martin Schulz, a comparé la situation « dramatique » en Pologne à un « coup d’État », annonçant une discussion prochaine dans l’hémicycle à Strasbourg. Ses déclarations ont conduit la première ministre, Beata Szydlo, à réclamer des « excuses ». Depuis son retour au pouvoir, le parti Droit et Justice (PiS) a manifesté des positions eurosceptiques, supprimant, par exemple, le drapeau européen jusqu’alors déployé au côté de l’oriflamme polonaise dans la salle de presse du gouvernement.

Une stratégie discrète
La discrétion de Jaroslaw Kaczynski, chef du PiS et ancien premier ministre, qui a joué profil bas pendant la campagne et s’est abstenu de se porter candidat à la présidentielle de mai dernier, apparaît aujourd’hui comme une stratégie. « Il est en quelque sorte chef de l’État », ajoute Aleksander Smolar.
Pour l’opposition, le PiS rêve de réaliser en Pologne ce que le premier ministre conservateur Viktor Orban a accompli en Hongrie : exercer un contrôle sur de nombreuses institutions – justice, banque centrale, médias publics, culture… –, avec le soutien du parlement et le renfort d’un discours volontiers eurosceptique défendant la résistance des valeurs morales nationales face à la menace du « libéralisme » venu de Bruxelles.
Les manifestations des derniers jours autant que les différences entre la Hongrie et la Pologne, où l’opposition ne souffre pas du même discrédit qu’à Budapest, laissent penser que la partie sera bien plus compliquée à Varsovie.

MARIANNE MEUNIER, La Croix