Plusieurs visages, une obsession sécuritaire

En carte : la progression des extrêmes droites en Europe

Avec la constitution d’un gouvernement incluant la Ligue du Nord en Italie, retour sur la montée de la vague protéiforme de mouvements d’extrême droite sur le Vieux Continent.

LE MONDE | 07.03.2018 à 15h40 • Mis à jour le 24.05.2018 à 10h26 |Par Mathilde Damgé

 

Un gouvernement de coalition est en préparation en Italie : il devrait allier le mouvement populiste 5 étoiles et le mouvement souverainiste de la Ligue du Nord, qui flirte avec les idées d’extrême droite.

Présence d’un candidat d’extrême droite au second tour des élections présidentielles autrichienne et française, montée du parti d’extrême droite allemand AfD au Bundestag…, l’avancée de mouvements d’extrême droite se confirme en Europe. Le 8 avril, le parti ultranationaliste Jobbik s’est adjugé un cinquième des voix aux législatives hongroises, remportées à près de 50 % par une droite (Fidesz) de plus en plus proche de l’extrême droite.

Outre l’Italie, l’extrême droite participe en Autriche, en Finlande et en Bulgarie à un gouvernement de coalition, et même dans le cas slovaque… avec un parti de gauche.

Les extrêmes droites les plus puissantes en Autriche et en Italie

Les deux pays sont talonnés par la Hongrie et la Slovaquie. Deux pays européens n’ont aucun mouvement d’extrême droite notable dans le jeu politique : le Luxembourg et l’Irlande1.

Un contexte indispensable puisque le dernier scrutin reflète le suffrage populaire à un moment donné mais que, dans certains cas, ce chiffre peut être biaisé par une participation très faible, comme dans le cas des dernières élections législatives en France, où le résultat du Front national à cette seule élection donnerait une idée fausse du poids du parti et de ses idées sur une période plus longue.

Plusieurs visages, une obsession sécuritaire

Souverainiste, populiste, eurosceptique ou même europhobe, parfois ouvertement raciste et xénophobe2, l’extrême droite en Europe a plusieurs visages. Son principal moteur, dans les dernières années, a été la crise migratoire et la lutte contre l’Islam, sauf en Espagne, où les mouvements d’extrême droite ont regagné en visibilité à la faveur de la crise catalane en militant pour l’unité du pays.

La multiplication des conflits dans le monde et l’arrivée de milliers de migrants dans différents pays européens a eu pour effet collatéral l’intensification d’un sentiment anti-immigration, sur lequel surfent les groupes d’extrême droite : Malte, qui n’avait pas jusqu’à récemment de mouvement d’extrême droite notable a vu apparaître en 2016 le Mouvement patriotique maltais.

A Chypre, c’est une montée en puissance du Front populaire national (ELAM), qui s’inspire du mouvement ultraviolent grec Aube dorée : le 6 mars, cinq jeunes néonazis ont été arrêtés à Athènes par les services antiterroristes, accusés d’attaques contre des locaux de migrants et de gauche.

Cette obsession 3 sécuritaire (fermeture des frontières, contrôle des étrangers…) et le repli identitaire sont aussi partagés par des partis de droite « dure », comme en Hongrie où il est de plus en plus difficile de distinguer la droite et l’extrême droite. Ces partis ultraconservateurs sont aussi au pouvoir en Belgique et en Pologne, où les gouvernements se font le relais de sentiments europhobes ou, à tout le moins, eurosceptiques. L’Alliance néoflamande (NVA), qui a réussi à damner le pion aux « purs » du Vlaams Belang, a ainsi rejoint au Parlement le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE), un ralliement inédit dénoncé par Karel De Gucht, ancien commissaire au commerce européen.

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1 Il me semble qu’il n’y ait pas de parti d’extrême droite notable ni en Espagne ni au Portugal

2 Tous les partis eurosceptiques, ou d’autres que les médias ont pour habitude de qualifier de populistes, ne peuvent pas être assimilés à des partis d’extrême droite (France Insoumise, Die Linke, Podémos…).

De plus, des partis ou pouvoirs libéraux, partisans d’une Europe forte, plus intégrée, peuvent prendre des mesures discriminatoires propres à l’extrême droite, ou parfois agirent comme telle : le Danemark avec la loi dite des bijoux en vigueur depuis le 5 février 2016. En Suisse depuis 2015 les migrants disposant de biens d’une valeur supérieur à 1000 francs suisses doivent les remettre aux autorités contre reçu, ceci pour participer aux frais liés à l’instruction de leur demande d’asile et à leur hébergement, ils peuvent récupérer leurs biens s’ils repartent dans un délai inférieur à 7 mois.

Quand les forces de l’ordre françaises reconduisent ou refoulent à la frontière italiennes des mineurs violant la convention de Genève, quand elles ne portent pas assistance à des migrants en difficulté, elles agissent comme pourraient le faire un pouvoir d’extrême droite (d’ailleurs ces débordements sont souvent saluées par MLP et le FN.)

3 Quiz : trouvez un pays en Europe qui ne soit pas animée par cette obsession sécuritaire ? Certes, elle n’est pas instrumentalisée partout de la même manière. Orban en fait le pivot de son discours politique alors la Hongrie accueille peu de migrants. Idem pour la Pologne où se sont des ukrainiens qui représentent le gros des effectifs d’immigrés, en janvier 2018 ils étaient près d’un million à travailler en Pologne. Dans une interview à la télévision publique début décembre 2017, le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a déclaré qu’en matière de politique migratoire, il se tiendrait à l’avis de sa prédécesseur et refuserai d’accueillir des migrants « issus de pays d’Afrique ou du Moyen-Orient ».