Occitanie: Marine Le Pen et Jean-Paul Garraud à la pêche aux électeurs de droite
Pour ravir la région à la socialiste Carole Delga, le RN mise sur l’effondrement de la droite, qu’il espère remplacer. « Aujourd’hui les digues tombent, les plafonds de verre explosent, les lignes rouges sont franchies », se réjouit le candidat RN, transfuge de LR
Un petit tour en tracteur pour les photographes, quelques échanges avec un viticulteur confronté aux intempéries… Marine Le Pen ne s’attarde pas et pose, pressée, les mêmes questions de déplacement en déplacement : « Et les aides, vous les avez touchées ? », lance-t-elle mécaniquement, avant de dégainer ses réponses déjà bien préparées : « Ah çà, les aides, elles sont votées mais jamais distribuées ! »
Venue jeudi 20 mai dans le Gard soutenir la candidature de Jean-Paul Garraud en Occitanie, la présidente du Rassemblement national (RN) entendait montrer qu’elle est une des régions sur lesquelles le parti mise pour les élections régionales des 20 et 27 juin prochain.
Accompagnée du maire RN de Perpignan Louis Aliot, de celui de Beaucaire Julien Sanchez et de l’eurodéputé Gilbert Collard, la présidente est ici en terre amie. Le RN enregistre dans le département du Gard parmi ses meilleurs scores au niveau national.
« Nous avons une affection particulière pour ce département », reconnaît Marine Le Pen.
Si la partie ne sera pas facile dans cette région dirigée par la socialiste Carole Delga depuis 2015, le RN sait qu’il a une carte à jouer en raison d’un effondrement – particulièrement net ici – du parti Les Républicains (LR). Il y a six ans, Louis Aliot était arrivé largement en tête au premier tour et avait dû s’incliner après une triangulaire où le candidat de LR, Dominique Reynié, s’était maintenu. Aujourd’hui, la déconfiture de LR laisse, particulièrement ici, où la droite s’est progressivement effacée, un large espace au RN.
Le choix du magistrat Jean-Paul Garraud, ancien député LR de 65 ans, pour conduire la liste incarne la nouvelle stratégie de Marine Le Pen de s’adresser à un électorat de droite, laissé en déshérence par des Républicains déboussolés.
L’annonce d’une conférence de presse à Nîmes, à quelques centaines de mètres de celle de Marine Le Pen et tout juste une heure après celle du RN, par Christian Jacob et le candidat LR en Occitanie Aurélien Pradié, lui arrache quelques soupirs d’exaspération.
« Je connais très bien Christian Jacob, je n’ai pas envie de polémiquer avec lui… Il est venu pour prendre un peu de lumière », souffle-t-il.
Alors qu’un débat télévisé avec Aurélien Pradié a dégénéré en quasi-bagarre en mars dernier, Jean-Paul Garraud tire en revanche à boulets rouges sur son jeune adversaire LR. « Pradié joue le coup d’après. Il est juste là pour me faire perdre, pour reproduire le scénario de 2015. Il est le symbole d’une droite qui n’est plus la droite », affirme-t-il, rappelant que le candidat de LR est soutenu dans la région par Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse, élu aux dernières élections municipales avec la double investiture de LR et de LREM…
« Nous sommes les seuls opposants à la politique en place ! Moi je n’ai pas changé de convictions. Il y a vingt ans, je tenais le même discours. J’ai soutenu Nicolas Sarkozy en 2007 mais les gens n’ont pas supporté que nous ne tenions pas nos promesses », explique-t-il, rappelant la création, aux côtés de Thierry Mariani, du courant la Droite populaire, dont il est toujours le secrétaire général. S’il a aujourd’hui rallié le RN, il n’a pas pris sa carte, là encore pour mieux jouer les passerelles avec l’électorat de droite, encore un peu frileux à l’idée de franchir le Rubicon.
Il assure que « le peuple de droite » qu’il rencontre sur les marchés comprend parfaitement sa démarche. « Sur le terrain, quand on distribue les dépliants, les gens nous disent : “Enfin, vous n’êtes plus la droite la plus bête du monde” », se réjouit-il.
Pour lui, le Gard préfigure les recompositions à droite.
« Aujourd’hui les digues tombent, les plafonds de verre explosent, les lignes rouges sont franchies. Moi j’attendais ça depuis longtemps », assure-t-il.
Son directeur de campagne, Gabriel Robin, journaliste à L’Incorrect, journal des amis de Marion Maréchal, a aussi conseillé Louis Aliot pendant les élections municipales. Il a, à ses côtés, patiemment construit l’image d’un RN de notables, surtout préoccupé par la sécurité et le dynamisme économique. Un RN capable de supplanter la droite.
Le ralliement de Cédric Delapierre, jusque-là délégué des Républicains dans l’Hérault, est présenté comme un trophée dans ce combat pour faire disparaître LR. Celui de Frédéric Bort, dernier directeur de cabinet de Georges Frêche, propulsé tête de liste dans l’Hérault, est censé démontrer la capacité de rassemblement du parti de Marine Le Pen. Et qu’importe si ces « prises de guerre » ne sont arrivées au RN qu’après avoir échoué à se faire une place dans leur propre parti… Seule la photo compte.
La pêche aux transfuges, dans son cas, n’a pas été des meilleures puisque, comme le révélait récemment Mediapart, Frédéric Bort a été placé en garde à vue le 4 mai dernier pour des faits présumés d’« abus de biens sociaux » et « recel d’abus de biens sociaux ».
Persuadé, comme l’affirme le maire de Beaucaire, que ces affaires, comme celles des assistants parlementaires, « n’intéressent personne », Jean-Paul Garraud martèle que le Rassemblement national est aujourd’hui la « droite constructive », celle qui sait aussi parler à l’électorat populaire.
« Les LR n’ont plus ce lien avec le peuple. Ils voient que les adhérents n’adhèrent plus, que les militants ne militent plus… Mais je ne me fais pas d’illusions sur le système, sur les LR d’en haut qui sont dans une sorte de bunker… Je parle aux LR d’en bas : les électeurs de François Fillon, qu’ils ne se sentent pas perdus ! », lance-t-il.
Un peu raide devant les caméras, le candidat RN explique au viticulteur qui lui montre ses vignes malmenées par le gel qu’il « étudie l’idée d’un fonds spécial pour aider les victimes de catastrophes naturelles ». « Quel différence avec le fonds annoncé par Macron ? », ose un journaliste de la presse locale. « Écoutez, je ne vais pas faire l’exégèse ! », s’agace le candidat, manifestement outré qu’à un mois du scrutin certains attendent un programme un peu précis.
Lors de la conférence de presse qui a clos la visite de Marine Le Pen, Jean-Paul Garraud n’a, à l’instar de Marine Le Pen, parlé quasiment que de sécurité, qui n’est pourtant pas – ou très marginalement – une compétence régionale.
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Le candidat RN a ainsi affirmé vouloir nommer « un vice-président chargé de la sécurité qui aura des tâches importantes en ce qui concerne les transports et les lycées et même la mise en place d’établissements pénitentiaires », a-t-il précisé.
Toute à sa campagne présidentielle, Marine Le Pen a enfoncé le clou en décrivant un pays à feu et à sang, où la police est prise pour cible. « Macron, c’est le mandat du désordre, de l’accroissement de la criminalité, a-t-elle asséné au lendemain de la manifestation parisienne des policiers. Les policiers attendent des réponses. Si j’étais présidente, je commencerais par arrêter l’immigration. J’expulserais immédiatement ceux qui ont commis des crimes et des délits, et j’augmenterais les moyens de la police et de la justice. »
« Chaque jour, nous arrivons à convaincre au-delà de notre base. Même nos adversaires politiques disent la même chose que nous », se félicite la présidente du parti d’extrême droite, relevant le fait, notamment, que le lien entre immigration et délinquance ne ferait plus débat. Pour preuve : le modéré Michel Barnier, à LR, demande aujourd’hui un « moratoire sur l’immigration » : « Ça tombe bien, c’est ce que nous réclamons depuis des années. »
« Éric Ciotti, Nadine Morano… Qu’est-ce qui nous différencie ? », avance encore Jean-Paul Garraud.

Sur la terrasse d’un café, face aux arènes de Nîmes, le patron de LR Christian Jacob et le député du Lot Aurélien Pradié, candidat en Occitanie, sont venus apporter leurs réponses. « Depuis trop longtemps nous avons abandonné les terrains où nous pouvons expliquer les différences entre LR et le RN », affirme Pradié, avant d’expliquer avoir visité, plus tôt dans la journée, une association d’aide aux femmes victimes de violences. « Nous avons rappelé ce que la droite a fait depuis la loi Veil », raconte-t-il, s’inscrivant aux côtés de « ceux qui veulent faire avancer le droit des femmes », par opposition au « candidat du RN, qui a un problème avec le droit des femmes », relève-t-il, en référence à « l’amendement Garraud », datant de 2003, qui voulait offrir une personnalité juridique au fœtus. « L’objectif était de faire reculer le droit à l’avortement », tacle Pradié, qui veut, face au RN, incarner une droite moderne, ouverte sur les questions de société.
L’angle d’attaque est pourtant curieux pour des élections régionales et surtout venant d’ un parti qui a longtemps préféré payer des amendes astronomiques plutôt que de respecter la loi sur la parité. Quant à la loi Veil, Christian Jacob ne sait que trop bien qu’une grande partie de sa famille politique y était farouchement opposée…
Un peu plus tôt, Aurélien Pradié avait expliqué à Mediapart qu’il n’était pas possible de prendre de front le RN sur les questions comme la sécurité ou l’immigration. « On ne peut pas se distinguer là-dessus, ils feront toujours de la surenchère », avait-il théorisé.
Pas sûr qu’exhumer un amendement de presque 20 ans, porté à l’époque par la droite, suffise néanmoins à contrer l’avance du parti de Marine Le Pen dans cette élection, qu’elle voit avant tout comme un marchepied vers la présidentielle.