MLP candidate en 2022…

Marine Le Pen peut-elle gagner en 2022 ?

Par Alain Duhamel — 

Une victoire n’est pas probable mais possible. Elle ne constitue pas le scénario le plus vraisemblable mais une hypothèse imaginable si les passions s’enflamment ou si les circonstances y poussent.

Marine Le Pen ne s’en cache pas : en 2022, elle sera candidate pour la troisième fois à l’élection présidentielle. Personne ne peut l’en empêcher. Elle n’a pas de rival au sein de sa famille politique, ni même au sein de sa famille tout court. Sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen, est encore bien trop verte. L’ambition de la présidente du Rassemblement national (RN) est logique. En 2012, elle a atteint la troisième place avec 17,9 % des suffrages exprimés. En 2017, elle a fait mieux et s’est qualifiée pour le duel final avec 21,3 % des voix.

Malgré ses limites personnelles cruellement exhibées durant le débat télévisé qui l’a opposée à Emmanuel Macron, elle a rassemblé 33 % des suffrages au second tour. Depuis, aux élections européennes, son parti a atteint la première place. Le courant populiste qui traverse toute l’Europe la porte. Elle peut d’ores et déjà être regardée en challenger naturelle de Macron.

Ses rivaux au sein de l’opposition font pâle figure à côté d’elle. Jean-Luc Mélenchon, bien plus talentueux et cultivé qu’elle, est prisonnier de ses humeurs et de ses incartades, de ses outrances et de ses variations. Si Yannick Jadot, doté d’un certain charisme, poussé par la déferlante écologique, est en train de se tailler un rôle encourageant, il ne combat pas encore dans la même catégorie qu’elle. Au PS, aucun nouveau leader n’émerge. François Hollande reste, certes, dans le paysage. Il fourmille visiblement d’idées et publie livre sur livre (cette fois-ci, son nouvel opus s’intitule Répondre à la crise démocratique, Fayard) mais les plaies n’ont pas encore toutes cicatrisé. Bernard Cazeneuve écrit beaucoup aussi, avec distinction, mais l’appareil ne semble guère le promouvoir.

A droite, LR possède trois candidats potentiels mais tous campent dans une opposition savamment excentrée. François Baroin se consacre pour l’instant aux maires de France, une base robuste mais énigmatique. Xavier Bertrand a quitté la partie pour mieux faire de sa région des Hauts-de-France une expérimentation politique originale et active. Valérie Pécresse décoche méthodiquement ses flèches depuis son donjon d’Ile-de-France mais sans se découvrir. Il y a là des candidats potentiels mais pour l’instant virtuels. Pendant ce temps, Marine Le Pen peut trompeter ses airs favoris sur l’immigration, l’islam et le terrorisme, sans être troublée par une autre musique. L’étude passionnante d’Opinion Way pour la Fondation pour l’innovation politique (elle date de ce mois d’octobre), consacrée aux populismes, permet de mesurer les chances de Marine Le Pen. Actuellement, son potentiel électoral maximum (ceux qui sont certains de voter pour elle ou disent avoir de fortes chances de le faire) atteint 31 %, contre 34 % pour Emmanuel Macron, et 20 % pour Jean-Luc Mélenchon. C’est une solide base de départ. En cas de second tour, Le Pen-Macron, 30 % seraient certains ou auraient de fortes chances de voter pour le président sortant, 23 % pour la présidente du RN, 27 % choisissant l’abstention ou le vote blanc, le reste ne sachant pas à ce jour ce qu’ils feraient.

Si Emmanuel Macron reste en tête, les perspectives demeurent évidemment très ouvertes, d’autant plus que l’on sait à l’expérience qu’en campagne le chef de l’Etat devient la cible prioritaire de l’ensemble de ses concurrents. La question de la présidentialité de Marine Le Pen reste, certes, son principal handicap. Les Français la jugent courageuse et autoritaire, énergique et brutale, courte et redoutable. 57 % estiment, selon la même étude, que si elle était élue, elle constituerait une menace pour les libertés, 58 % qu’elle représenterait un danger pour l’économie, 60 % qu’elle menacerait la paix civile, 64 % quelle serait un péril pour l’euro. De tout cela, il ressort qu’en période normale, sans circonstances exceptionnelles, elle n’est pas favorite. Le fameux «plafond de verre», pourtant rehaussé à chaque élection et aujourd’hui passablement fissuré, n’aurait donc pas disparu. Encore faut-il que 2022 s’inscrive dans une phase classique. Telle n’est actuellement pas la situation. L’interminable conflit des gilets jaunes a souligné le mécontentement profond et le ressentiment belliqueux qui traversent la société française.

L’ampleur insolite de la grève de la RATP le mois dernier, l’inflation inopinée des «droits de retrait» à la SNCF, la colère des urgences hospitalières, celle des agriculteurs, la passion des écologistes, les polémiques qui dérapent à propos du voile islamique ne vont pas dans le sens d’une société équilibrée. La France de 2019 n’est ni satisfaite, ni patiente, ni tolérante. Elle n’est pas heureuse. Que surgissent une crise brutale de l’immigration comme en 2015, une série d’attentats durant la campagne de 2022, ou que les plaies d’un grand conflit social – à propos par exemple de la réforme des retraites – ne soient pas refermées et tout peut arriver.

Une victoire de Marine Le Pen n’est pas probable mais elle est possible. Elle ne constitue pas le scénario le plus vraisemblable mais elle devient une hypothèse imaginable si les passions s’enflamment ou si les circonstances y poussent. La France de Montaigne ne votera pas Marine Le Pen. Mais la France de Houellebecq ?

Alain Duhamel