Marine Le Pen se glisse dans sa peau de banale
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Qui a jeté un œil aux récentes interventions médiatiques de Marine Le Pen aura remarqué quelque chose de changé chez la candidate de l’extrême droite à la présidentielle. Elle semble assagie. Ou du moins, elle aimerait que les gens le pensent. Ses équipes soufflent aux journalistes : «Vous ne trouvez pas qu’elle n’est plus la même ? Elle est beaucoup plus affûtée qu’avant, plus nuancée, elle a appris de ses erreurs.»
Mi-février, sur France 2, lors d’un débat avec le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, celle qui normalement habite un rôle grave, car «la situation est gravissime», a surjoué la sympathie, s’est montrée moins revêche et arrogante qu’à son habitude. Calme, souriante, presque avenante. Au RN, on explique qu’ainsi, elle s’est «présidentialisée». Le rendez-vous, considéré en interne comme majeur, avait fait l’objet d’une intense préparation. Il constituait le premier tête-à-tête télévisuel de la députée du Pas-de-Calais avec un membre du gouvernement depuis son face-à-face raté du second tour de la présidentielle 2017 avec Emmanuel Macron. La candidate à la présidentielle avait convoqué en amont ses plus proches conseillers : son beau-frère, Philippe Olivier, pour les inspirations grandiloquentes, le cryptique cercle des Horaces (un micro-groupe de hauts fonctionnaires au service du Rassemblement national) pour les questions de fond. Et pour l’attitude, Pascal Humeau, un ancien présentateur de chaînes d’info qui, depuis un an et demi, coache les cadres du RN à la prise de parole en public.
Ce débat devait être l’occasion du lancement de l’opération «normalisation» mariniste. Un projet visant à rendre acceptable dans les esprits l’idée que la dirigeante frontiste pourrait devenir présidente de la République en 2022. Avec deux objectifs : corriger ses traits de caractère jugés rebutants et, en même temps, opérer un ravalement de façade idéologique pour élargir son socle électoral, provoquant assez de confusion chez certains électeurs pour récupérer leur vote. Le relooking comportemental participe de la stratégie de banalisation du RN, au moins autant qu’à sa recherche de «désenclavement», engagée avec le changement de nom de 2018, pour aller chercher des voix ailleurs que chez les seuls sympathisants frontistes traditionnels : à droite comme chez les abstentionnistes. L’étape est indispensable au parti d’extrême droite s’il espère un jour remporter la présidentielle.
Agressive, inquiétante et malveillante
A un an du scrutin, certaines études d’intentions de vote donnent certes Marine Le Pen tenant la comparaison avec Emmanuel Macron (47 % contre 53) dans l’hypothèse imaginaire d’un nouveau duel de second tour. Mais la plupart des autres enquêtes montrent, elles, une dégradation notable de l’image de l’élue des Hauts-de-France chez les Français. Ainsi, selon un récent sondage Viavoice pour Libération, seuls 26 % d’entre eux en ont une appréciation positive. Marine Le Pen est jugée agressive, inquiétante et malveillante. Un autre sondage, de l’Ifop, révèle qu’à peine 16 % des citoyens lui trouvent une stature présidentielle, mais aussi que la plupart des personnes qui votent pour elle le font par colère et non par adhésion à ses idées.
Pour ne pas déboussoler sa base électorale, constituée pour partie d’ouvriers et de petits employés, certains sujets avaient jusque-là été négligés, dans un mouvement où l’on a surtout en obsession la sécurité et l’immigration. Mais, fatalement, Marine Le Pen apparaît incompétente dans presque tous les autres secteurs.
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Le Pen a ainsi pris conscience qu’elle souffre d’un fort déficit d’opinion auprès des Français et qu’il lui faudra aussi corriger cela si elle souhaite aller plus loin qu’un second tour dans sa troisième tentative élyséenne. Mais «pour gagner la présidentielle, il faut faire 50 % plus une voix, et donc aller au-delà», résume un proche. Les conseillers de Marine Le Pen appellent cela la «stratégie du compromis». La candidate a expliqué de quoi cela retournait lors d’une récente conférence de presse au cours de laquelle un ancien membre de Debout la France, parti de Nicolas Dupont-Aignan, désormais proche du RN, a annoncé la création d’une sorte de think tank «gaulliste» créé pour soutenir Marine Le Pen – un comble pour l’héritière d’un mouvement fondé en 1972 sur, notamment, l’opposition aux gaullistes de l’époque. Mise en scène idéale : pour rassurer les éléments extérieurs qui viendraient valider sa stratégie d’ouverture, la formation annonce qu’elle est prête à des concessions, et même à adoucir son discours. «Dans l’esprit de rassemblement qui nous anime, je veux dire ma capacité à réaliser des compromis. J’y suis prête, je l’ai montré par les notables inflexions programmatiques que nous avons récemment actées. Il y en aura d’autres. Comme il y aura l’apparition de nouvelles têtes pour nous soutenir. Seront associées à nos travaux toutes les entités qui nous rejoignent. Le projet présidentiel s’élaborera à la lumière de ces éléments extérieurs», a expliqué Marine Le Pen. Même si sa promesse de «rassemblement patriote», formulée en 2018, n’a pour l’instant engendré aucun ralliement d’envergure.
«Recentrage» idéologique
Devant ces constats, la candidate s’est résolue à engager une série d’aménagements programmatiques pour tenter d’investir des domaines incontournables pour répondre à la demande électorale de 2022. Pour ne pas déboussoler sa base électorale, constituée pour partie d’ouvriers et de petits employés, certains sujets avaient jusque-là été négligés, dans un mouvement où l’on a surtout en obsession la sécurité et l’immigration. Mais, fatalement, par une relation de cause à effets, Marine Le Pen apparaît incompétente dans presque tous les autres secteurs : elle ne convainc particulièrement pas sur les enjeux écologiques et économiques. Sur ces deux sujets, pas des moindres, les Français la jugent crédible à respectivement 24 et 29 %.
Pour corriger le tir, le RN s’est récemment ajouté quelques couches de vernis vert, en promettant un éventuel projet de référendum écolo, avec quinze propositions «de bon sens». «Souhaitez-vous développer les espaces verts dans les villes ?» Des parcs en bas de chez soi, difficile de répondre non… L’écologie à la sauce frontiste est dessinée par Hervé Juvin, issu de la société civile, identitaire et adepte de la théorie du «grand remplacement». Il conseille Marine Le Pen dans un projet politique où l’écologie n’est qu’un vecteur de plus pour s’attaquer au «multiculturalisme» et au «multi-ethnisme» de la société.
Le Pen l’Ultra-Marine
12 mars 2021
Quant à l’économie, domaine dans lequel Le Pen – avocate de formation – n’a jamais convaincu non plus, le revirement le plus spectaculaire a eu lieu quelques mois après 2017. L’alors Front national a abandonné la sortie de l’euro, jusque-là pierre angulaire de sa promesse politique. Depuis, il peine à accoucher de propositions concrètes. Il y a peu, la cheffe de l’extrême droite a toutefois prôné le remboursement de la dette liée à la crise sanitaire, opérant ainsi un nouveau virage idéologique, dans une sorte de ralliement à une rigueur budgétaire «à l’allemande». «Oui, une dette doit être remboursée. Il y a là un aspect moral essentiel», s’est permis Marine Le Pen dans une tribune à l’Opinion. Cette sortie, bien loin de ses habituelles critiques contre le système, avait ainsi pour objectif de séduire l’électorat de droite classique.
A long terme, cette tentative de «recentrage» idéologique, bien que factice, a, pour Marine Le Pen, l’avantage d’éloigner un peu plus l’attention de ses adversaires, qui finissent par oublier l’urgence pour eux de la combattre et, par ricochet, à critiquer – voire diaboliser – d’autres forces politiques que le RN. C’est sans doute là le danger : si Marine Le Pen réussit à faire croire que ses propositions sont devenues banales (ou normales), elle perd certes une partie de son attirance «antisystème», mais emprunte le seul chemin offrant une chance de briser le «plafond de verre» l’empêchant d’arriver au pouvoir.