MLP à l’Elysée? Risque limité mais bien réel!

Marine Le Pen à l’Elysée ? Un «risque limité mais bien réel»

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Election Présidentielle 2022dossier

Une étude choc de la Fondation Jean-Jaurès démontre combien la candidate de l’extrême droite peut compter sur l’électorat de droite, l’abstention à gauche ou le rejet d’Emmanuel Macron pour l’emporter au second tour de la présidentielle.

par Tristan Berteloot et Jonathan Bouchet-Petersen

publié le 21 avril 2021 à 7h48

Et s’il ne manquait plus grand-chose à Marine Le Pen pour l’emporter en 2022 ? Dans une note publiée ce mercredi et dont Libération a eu connaissance, la Fondation Jean-Jaurès alerte sur les conditions électorales favorables de la présidente du Rassemblement national (RN) à un an de la présidentielle. Sa présence à l’Elysée est un «risque limité mais bien réel», conclut l’institut proche des cercles sociaux-démocrates, qui rappelle le socle électoral solide sur lequel s’appuie déjà la députée du Pas-de-Calais : 89 % des électeurs qui l’avaient choisie dès le premier tour en 2017 se disent prêts à refaire de même en 2022. Cela explique notamment qu’elle se maintient autour de 25 % d’intentions de vote à la prochaine présidentielle et voit l’écart avec Emmanuel Macron en cas de second tour se réduire très fortement. A titre de comparaison, le chef de l’Etat, qui a toutefois séduit depuis quatre ans nombre d’anciens électeurs de François Fillon, ne retrouverait, lui, que 71 % de ses électeurs de premier tour.

A l’équation «Marine Le Pen peut-elle gagner ?» la fondation sociale-démocrate identifie ainsi trois inconnues. Que «l’électorat de droite modérée se reporte massivement sur elle au second tour» ; qu’«Emmanuel Macron soit devenu un repoussoir similaire à la présidente du RN hors de son propre camp» ; que «la leader de l’extrême droite soit “suffisamment banalisée“ pour pousser les électeurs des candidats éliminés du premier tour vers l’abstention». «Il faudrait qu’au moins une de ces conditions se réalise pour que Marine Le Pen soit élue présidente de la République en 2022», alerte la Fondation Jean-Jaurès. Ce n’est donc plus de la fiction : le rejet suscité par le président sortant chez les électeurs qui ne votent pas pour lui n’a fait que croître au fil du quinquennat ; la porosité des électorats se situant à sa droite s’est amplifiée ces dernières années au profit de la candidate la plus extrême ; la «banalisation», dernier étage de la fusée «dédiabolisation» lancée il y a dix ans par la fille de Jean-Marie Le Pen, tourne à plein régime avec une multiplication de déclarations qui se veulent «rassurantes» sur l’Europe, la monnaie unique, la dette publique ou la mise en scène sur les réseaux sociaux de son amour pour… les chats.

Rejet contre rejet

Marine Le Pen a donc elle aussi un meilleur ennemi en la personne d’Emmanuel Macron. Selon la Fondation Jean-Jaurès, le degré de désamour d’une partie de la population à l’encontre de l’actuel chef de l’Etat pourrait l’aider en cas de duel de second tour contre lui à accéder au pouvoir. Le président sortant provoque ainsi des sentiments de «colère» (28 %), de «désespoir» (21 %), de «dégoût» (21 %) et de «honte», note l’étude. «Si le président en exercice bénéficie d’une cote de popularité assez importante à ce moment du quinquennat, surtout au regard de ces deux derniers prédécesseurs, il ne faut pas perdre de vue qu’il est également particulièrement détesté par une partie substantielle de l’électorat», font valoir les auteurs de cette note.

Résultat, le rejet est tel chez une partie des électeurs de gauche que ces derniers pourraient, cette fois-ci, ne plus se déplacer pour «faire barrage». Une réalité, à un an de scrutin, qui ne fait certes pas une prédiction mais qui confirme les nombreux témoignages reçus et publiés par Libération fin février et mis en une. Cette abstention dite «différentielle» profiterait alors à la leader de l’extrême droite française, cette dernière étant en outre plus apte à mobiliser son propre électorat.

Porosité

Mais si une partie de la gauche venait tout de même à voler au secours du président sortant en cas de nouveau duel, Marine Le Pen pourrait aussi compter sur… les électeurs de droite. Dans sa note, la Fondation Jean-Jaurès souligne la désormais grande porosité potentielle des électorats LR et RN sur fond de rapprochement des discours. Quand Jean-Marie Le Pen affrontait Jacques Chirac lors du second tour de la présidentielle de 2002, la droite invoquait encore le «cordon sanitaire» avec l’extrême droite, rappelle la note, qui pointe ensuite un glissement continu. L’inflexion du discours sarkozyste, en 2012, quand le locataire de l’Elysée considérait que Marine Le Pen était «compatible avec la République». Puis, en 2015, l’adoption par la droite de la stratégie du «ni-ni» aux élections : «ni front républicain ni Front national».

De plus, les programmes des deux familles politiques n’ont jamais été aussi proches. Certes, explique la Fondation Jean-Jaurès, des différences notables existent sur les «enjeux économiques». En revanche, «la distance entre électorats LR et RN» sur les «enjeux culturels», notamment «les questions liées à l’islam, mais également sur celles liées à l’autoritarisme», est désormais plus que ténue. «Il n’y a ainsi quasiment aucun écart sur les problématiques liées à l’autorité, expliquent les auteurs. 97 % des proches de Les Républicains et du Rassemblement national étant d’accord pour dire «qu’on a besoin d’un vrai chef en France pour remettre de l’ordre».» Ce rapprochement se fait aussi, désormais, sur la peine de mort qui gagne du terrain à droite.

«Un électorat RN captif et stable»

Si l’actuel électorat de droite semble aujourd’hui plus sensible qu’auparavant aux sirènes de l’extrême droite, c’est aussi parce qu’une bonne part de la droite de 2017 est désormais chez Macron, laissant à LR les sympathisants les moins centristes. Ce fut la ligne Wauquiez-Bellamy et son naufrage (8,5 %) aux dernières européennes quand le RN (23,3 %) remportait le scrutin devant la liste de la majorité présidentielle (22,4 %). «On a un électorat RN captif et stable, à des proportions sans commune mesure avec les autres candidats, rappelle l’un des auteurs, Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès et chercheur en science politique. C’est en faisant des concessions programmatiques au RN qu’on le fait monter.»

Soulignant que c’est bien dans cette droite de plus en plus dure que se situent les meilleures réserves de voix de Marine Le Pen, la Fondation Jean-Jaurès nuance par ailleurs les fantasmes de certains responsables politiques ou commentateurs médiatiques sur une «grande convergence des extrêmes» qui verrait une part décisive de l’électorat Mélenchon choisir Le Pen au second tour en cas de duel face à Macron. La note considère ce risque «assez restreint, tant les positions de ces deux formations sont profondément différentes sur les questions culturelles et tant elles tendent à diverger également sur le plan économique depuis le départ de Florian Philippot».

Une «très mauvaise opinion» en forte baisse

Tout à sa stratégie de «banalisation-normalisation» de son image et, en partie de son discours, notamment économique, la présidente du RN l’a donc bien compris : c’est d’abord aux yeux des sympathisants de droite qu’elle doit apparaître crédible et fréquentable. Adhésion de ces nouveaux électeurs mais aussi indifférence des autres à qui elle ferait moins peur. La Fondation Jean-Jaurès pointe ainsi «une tendance inquiétante depuis 2018 : le pourcentage de Français ayant une “très mauvaise opinion” de Marine Le Pen, ceux qui continuent d’appliquer un stigmate à sa personne, [est] en forte baisse». Il y a deux ans, ce chiffre était de 50 %. «Ils ne sont plus que 34 % aujourd’hui, soit le plus faible niveau atteint par la candidate», font remarquer les auteurs. Un an avant la présidentielle de 2017, «les Français étaient 11 points de plus que maintenant à avoir une très mauvaise opinion de Marine Le Pen», poursuivent-ils avant de conclure : «Preuve que la “dédiabolisation” de son image a bien eu un impact réel.» Et la Fondation Jean-Jaurès d’avoir cette autre mise en garde : «La logique du vote par rejet pourrait se retourner contre les partis traditionnels : le vote de second tour pour Marine Le Pen ne marquerait alors pas une adhésion à son programme, mais un simple rejet du candidat qui lui fait face.» Voilà tous ses adversaires prévenus. Emmanuel Macron en tête.

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