Militants d’extrême droite après le match France-Maroc

Qui sont les militants d’extrême droite interpellés après le match France-Maroc ?

Des dizaines de personnes ont été arrêtées à Paris et à Lyon après la demi-finale de la Coupe du monde. Le résultat des fouilles raconte une violence préparée jusqu’au fond des poches.

Par  et , Le Monde

Publié le 15 décembre 2022 
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Sur les Champs-Elysées, à Paris, après la victoire de l’équipe de France face au Maroc lors de la demi-finale de la Coupe du monde de football, mercredi 14 décembre 2022. JULIEN DE ROSA / AFP

L’un participait aux meetings d’Eric Zemmour et affirme vouloir entrer dans la gendarmerie, un deuxième fait partie de groupes de messagerie intitulés « Hitler » ou « ANTI PD », un troisième tente de supprimer une application de messagerie sécurisée de son téléphone avant que les enquêteurs ne s’en emparent, sans succès. Trente-huit personnes proches de l’extrême droite radicale ont été interpellées à Paris, mercredi 14 décembre, après la demi-finale de la Coupe du monde de football qui opposait la France au Maroc. Parmi eux : quinze « fichés S ».

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Il est précisément 22 h 05, le coup de sifflet final vient à peine de résonner, libérant une marée bleue dans les rues de la capitale. Mais un attroupement mêlant cagoules et « moyens offensifs » attire le regard des policiers, à la sortie d’un bar du 17e arrondissement de la capitale. En résultent trente-huit placements en garde à vue pour « participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences », certains y ajoutent la « participation avec arme à un attroupement ». Tous font partie de la « mouvance d’extrême droite », selon les enquêteurs.

Lacrymo, matraque télescopique

Agés de 17 ans à 36 ans – dont cinq mineurs – les trente-huit interpellés viennent pour la plupart de la région parisienne, mais certains ont fait le déplacement depuis Rouen ou Rennes. Beaucoup sont connus pour leur appartenance à divers groupuscules d’extrême droite : de l’ex-GUD aux Zouaves, en passant par Génération identitaire ou le Bastion social, les trois derniers ayant été dissous en conseil des ministres.

Le résultat des fouilles raconte la violence préparée jusqu’au fond des poches, et la tournure qu’aurait pu prendre la soirée : plusieurs lacrymo, une matraque télescopique, un protège-tibia, des cagoules noires ou de camouflage militaire, des gants coqués, ainsi qu’un sac à dos contenant « diverses armes de catégorie D » et des fumigènes, jeté par l’un des interpellés sans que les enquêteurs ne puissent déterminer lequel. Une carte de sapeur-pompier militaire, une carte de légionnaire et une carte de circulation militaire sont également saisies.

Sur Paul-Alexis H., ce sont des autocollants du GUD – pour « Groupe union défense », un groupuscule ultraviolent d’extrême droite autodissous qui semble revenir sur le devant de la scène radicale – qui ont été retrouvés. Ce militant actif est déjà connu dans le milieu nationaliste pour être passé, à 22 ans, par Génération identitaire, l’Alvarium (autre groupuscule d’extrême droite, basé à Angers, dissous par décret) ou encore les Zouaves. Et « fiché S ». C’est sur son téléphone qu’ont été retrouvées les conversations intitulées « Hitler » et « ANTI PD ». En garde à vue, il explique qu’avant le match, il distribuait des tracts devant l’université Paris-II-Panthéon-Assas pour « expulser les gauchistes ». Puis il a filé au bar, avec un ami bien connu de la police comme de la justice : Marc de Cacqueray-Valmenier.

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Ancien leader des Zouaves

Ce dernier, adepte du coup de poing et des sports de combat, était d’ailleurs sous contrôle judiciaire avec interdiction de paraître à Paris. A 24 ans, il est en effet mis en examen pour « violences volontaires » après l’agression de militants de SOS-Racisme lors d’un meeting du candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle Eric Zemmour, en décembre 2021, à Villepinte (Seine-Saint-Denis).

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Marc de Cacqueray-Valmenier, ancien leader des Zouaves, groupuscule dissous en janvier en conseil des ministres, n’en est pas à sa première garde à vue, ni à son premier coup de cutter dans ses obligations judiciaires. En janvier 2019, il avait déjà été condamné à quelques mois de prison avec sursis pour « participation à une entente en vue de commettre des violences ou des dégradations » : il s’était glissé parmi les « gilets jaunes » le 1er décembre, à Paris, lors d’un acte III émaillé de nombreux affrontements dans la capitale, dont le saccage de l’Arc de triomphe.

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En janvier, il avait cette fois été condamné à un an ferme pour l’attaque du Saint-Sauveur, un bar parisien antifasciste, une affaire dans laquelle il a fait appel. Il était alors déjà incarcéré depuis quelques jours à la suite de violations des obligations de son contrôle judiciaire et omissions de pointage au commissariat de police de Fontainebleau (Seine-et-Marne). Il avait été remis en liberté en mars, sous contrôle judiciaire. Contactée, son avocate n’a pas souhaité réagir à ce stade. Sa garde à vue avait été prolongée jeudi soir, tout comme celle de vingt-cinq autres sur les trente-huit interpellés.

Le parquet de Paris a précisé que sept ont été libérés, et vu leur procédure classée sans suite, « faute d’infraction suffisamment caractérisée ». Les suites concernant les cinq mineurs ne sont pas encore connues.

A Lyon, ultradroite et supporters ultras

De son côté, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a fait savoir qu’il avait tenu, jeudi soir, une réunion avec la direction générale de la police nationale, la direction générale de la gendarmerie nationale et la Préfecture de police de Paris pour demander « un suivi spécifique des réseaux ultradroite pour la fin de semaine », alors que doivent se tenir les deux derniers matchs de la Coupe du monde : la petite finale Croatie-Maroc, samedi, et la finale France-Argentine dimanche.

M. Darmanin a également requis « une expertise des services pour savoir si ces regroupements d’ultradroite ont été coordonnés à travers toute la France ». L’entourage du ministre précise que sont remontées de plusieurs villes des informations concernant des regroupements d’ultradroite qui voulaient « casser de l’Arabe ».

Des détails vestimentaires et des slogans ont permis aux policiers de soupçonner une affiliation aux milieux identitaires

A Lyon, les autorités ont ainsi la conviction que des groupes d’ultradroite sont à l’origine des plus graves violences qui ont éclaté après la fin du match France-Maroc. Au cours de la soirée, une centaine d’individus a lancé des actions collectives sous forme de raids, par grappes, sur des personnes parfois frappées au sol. « Plusieurs individus étaient équipés à l’avance, ils se sont retrouvés avant de mener des exactions dans les rues. Des rixes ont été provoquées », avance une source sécuritaire. « Un mélange instable de militants d’ultradroite et de supporteurs de foot ultras », précise un policier.

Ces groupes vêtus de noir et aux visages dissimulés ont ainsi donné l’apparence de black blocs d’ultragauche, mais des détails vestimentaires et des slogans ont permis aux policiers de soupçonner une affiliation aux milieux identitaires.

Parmi les huit individus interpellés mercredi soir à Lyon, quatre devaient être déférés vendredi en vue de leur mise en examen dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour « participation à un groupement en vue de commettre des violences et des dégradations ». L’instruction est aussi ouverte contre X pour « violences à caractère raciste » dans la mesure où les enquêteurs disposent de vidéos montrant des violences ciblées.

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Parmi les personnes interpellées à Paris figurent quarante personnes proches de l’ultradroite qui s’apprêtaient à rejoindre les Champs-Elysées. Elles ont été placées en garde à vue pour groupement en vue de commettre des violences et port d’armes prohibées.

Le Monde avec AFP

Le ministère de l’intérieur a annoncé, jeudi 15 décembre, que 266 personnes avaient été interpellées dans la nuit de mercredi à jeudi en France, à l’issue de la demi-finale du Mondial remportée par la France face au Maroc. Parmi elles, des militants de l’ultradroite.

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En début de matinée, la préfecture de police de Paris a détaillé les interpellations survenues dans sa zone : 167 dans l’agglomération parisienne, dont 145 à Paris. Au total à Paris, 110 mesures de gardes à vue ont été prises, essentiellement pour violences sur personne dépositaire de l’autorité publique, participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations, détentions d’engin explosif, port d’arme et embuscade, a détaillé le parquet de Paris. Vingt-quatre de ces mesures concernent des mineurs (dont deux seulement domiciliés à Paris).

Parmi les personnes interpellées à Paris figurent quarante personnes proches de l’ultradroite qui s’apprêtaient à rejoindre les Champs-Élysées. Elles ont été placées en garde à vue pour groupement en vue de commettre des violences et port d’armes prohibées, a ajouté le parquet de Paris, soulignant que certains d’entre eux étaient en possession d’armes blanches.

Des tensions entre des membres de l’ultradroite et des supporteurs ont eu lieu à Lyon et à Nice notamment, a ajouté une autre source policière. A Lyon, peu après la fin du match, « un groupe de jeunes d’extrême droite s’est rapproché des supporteurs rassemblés sur la place Bellecour. Il y a eu une rixe, et la police est rapidement intervenue pour repousser le groupe et le suivre », selon une source préfectorale, qui a fait état de six interpellations, dont deux parmi les militants du groupuscule d’extrême droite.

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« Sanctionner les violents »

Plusieurs élus de gauche ont dénoncé jeudi des « ratonnades » de l’ultradroite lors des célébrations de la qualification des Bleus pour la finale de la Coupe du Monde mercredi soir, et demandé au ministre de l’Intérieur de les « sanctionner ».

« Dites, Éric Zemmour et Jordan Bardella, qui depuis trois jours annonciez que ça allait dégénérer hier pour France-Maroc… Vous ne nous aviez pas dit que vous parliez de vos alliés identitaires de l’ultradroite qui préparaient des ratonnades à l’ancienne… Des multirécidivistes en plus… », a réagi sur Twitter la nouvelle patronne des Verts Marine Tondelier.

« On nous a signalé à plusieurs endroits ce qui pourrait s’apparenter à des ratonnades contre des supporteurs de l’équipe marocaine », a déploré sur Public Sénat la cheffe du groupe LFI à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, « très inquiète » de voir agir « en toute impunité » des « groupuscules d’extrême droite dans notre pays ».

« Des ratonnades dans plusieurs villes, des militants d’extrême droite armés et qui voulaient en découdre aux Champs-Elysées. [Gérald] Darmanin doit s’attaquer rapidement et résolument aux groupes d’extrême droite et sanctionner les violents. La sécurité nationale est en jeu. C’est urgent ! », a demandé sur Twitter sa collègue députée LFI de Seine-Saint-Denis Nadège Abomangoli.

« Là où il y a eu des échauffourées, elles ont été parfois provoquées par des militants d’ultradroite », a dénoncé sur BFM-TV/RMC le patron du PCF, Fabien Roussel, qui a « salué les forces de sécurité qui ont pu déjouer en amont » certaines menaces.

Mercredi soir, 25 000 personnes se sont rassemblées sur les Champs-Elysées à l’issue de la demi-finale, selon le comptage de la préfecture de police de Paris. Au niveau national (sans l’agglomération parisienne), selon un premier bilan, la police a fait état de cinq policiers blessés. La soirée a été endeuillée par la mort d’un adolescent de 14 ans à Montpellier (Hérault) percuté « par un chauffard », selon la préfecture de ce département.