Marine Le Pen dans le nord

« Marine Le Pen, c’est notre star »

Comment la candidate aux élections régionales en Picardie-Nord-Pas-de-Calais est devenue l’icône des victimes de la crise, du chômage et de l’insécurité.

DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE EN PICARDIE NORD-PAS-DE-CALAIS,SÉGOLÈNE DE LARQUIER
Publié le 02/12/2015 à 06:11 – Modifié le 02/12/2015 à 08:06 | Le Point.fr

Marine le Pen en campagne dans le Nord Pas de Calais

Marine le Pen en campagne dans le Nord Pas de Calais

Au début, on ne la remarque pas. Elle porte des santiags, un pantalon noir, un chemisier multicolore et une veste sombre. Ses cheveux tombent négligemment sur ses épaules. Façon de rappeler qu’elle est une fille simple, sans chichis. Pas de montre Hermès ni d’escarpins Louboutin : un sac rouge tomate Desigual est son seul accessoire. Pourtant, la cohue est bien là. Au marché de Douai (Nord), en ce vendredi de novembre, on joue des coudes pour lui serrer la main, l’embrasser, lui presser l’épaule. On lui dit qu’elle est « belle », on enchaîne les selfies. Au bout de quelques minutes, elle tutoie et rigole. Bref, difficile d’oublier qu’on a fait le marché un samedi matin avec Marine Le Pen. Rien de mieux que le label « vue à la télé » pour aller à la rencontre du peuple…
La patronne du FN est donnée favorite pour la présidence de la région Picardie-Nord-Pas-de-Calais face à ses rivaux Pierre de Saintignon (PS) et Xavier Bertrand (LR). La voilà qui apparaît comme la mère des peuples apeurés, affamés, maltraités et méprisés par le camp du mal (Les Républicains, les socialistes, les « technocrates » de Bruxelles, l’austérité, les migrants, etc.). « Mort aux pauvres et aux chômeurs : voilà le nouveau slogan de Sarkozy et Hollande ! Mais moi je suis là ! Au Front national, on va se battre pour vous ! » jure-t-elle en déambulant entre les étals des commerçants. Le discours de Marine Le Pen fait mouche. Selon une récente étude de l’Insee, les clignotants sont au rouge dans cette nouvelle région : le taux de chômage est de 12,5 % (le plus fort de France) ; plus d’un million d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté (moins de 987 euros par mois) ; le PIB rapporté au nombre d’habitants est le plus faible de France, tout comme le taux de réussite au baccalauréat.

En tête dans les sondages
La députée européenne se démène pour succéder à Daniel Percheron et remporter une région gérée par la gauche depuis 1986. Les sondages la donnent gagnante au second tour, quelle que soit la configuration. Selon une récente enquête BVA pourNord Éclair, Marine Le Pen obtiendrait 42 % des voix au premier tour, devant Xavier Bertrand (24 %) et Pierre de Saintignon (17 %). À quelques jours du premier tour prévu dimanche, personne n’imagine qu’elle puisse être rattrapée. La patronne du FN rêve de faire de cette victoire un marchepied pour se hisser à l’Élysée. « Le FN risque de gagner. Si elle remporte la région, cela la crédibilisera et elle sera assurée d’être au second tour de la présidentielle », s’alarme un élu LR proche de Nicolas Sarkozy.

« Rodéo » politique
Au début de l’été, la stratégie de campagne est actée. « Pour avancer droit et vite, il faut marcher aussi bien avec la jambe droite que la jambe gauche, résume son directeur de campagne Bruno Bilde. En Picardie, on va rassembler les déçus de la droite tandis que, dans le Nord-Pas-de-Calais, on va séduire les déçus de la gauche. » Un brin démagogique, voire cynique, Marine Le Pen dégomme tout de sa grosse voix avec des mots simples. Et le public adore. Dans cette salle municipale de Wattrelos (Nord) – une ville coincée entre Tourcoing, Roubaix et la frontière belge –, sympathisants et militants sont chauffés à blanc. Les émeutes fin octobre menées par les gens du voyage à Moirans (Isère) ? « L’insécurité est la première réalité qui empoisonne l’existence. Sarkozy et Taubira portent une lourde responsabilité : l’État ne vous protège plus ! » Les moyens financiers débloqués par le gouvernement pour accueillir les « clandestins » ? « Quand il s’agit d’aider les migrants, tout le monde monte au créneau, même les stars du show-biz ! On aimerait bien qu’ils se mobilisent aussi pour les Français. » La COP21 ? « Une opération de com de plus pour Hollande, un peu plus chère et plus élaborée que le café chez Lucette. » Les attaques contre le FN ? « Les élus UMPS font du rodéo : ils font de la politique comme si le but était de rester sur le canasson le plus longtemps possible. C’est pour cela qu’ils ne veulent pas qu’on arrive au pouvoir, car essayer le FN, c’est l’adopter ! » En creux, la candidate égrène son projet pour la région : lutter contre la fraude à la SNCF, mettre des agents spécialisés aux abords des lycées pour lutter contre le racket, manger français dans les lycées, lutter contre les déserts médicaux en développant des maisons de santé, lutter contre les travailleurs détachés ou encore stopper le versement de subventions aux associations communautaires. « Nous n’allons pas bouleverser les politiques existantes, mais les coordonner et faire en sorte qu’il n’y ait plus d’injustice », glisse la conseillère régionale sortante pour rassurer les inquiets.

« Marine Le Pen agite les peurs »
Face à ce bulldozer, ses adversaires sont à la peine. Pierre de Saintignon défend le bilan du PS tandis que Xavier Bertrand (LR) multiplie les clins d’œil aux électeurs de gauche. « Madame Le Pen propose de baisser la pression fiscale, sauf qu’il n’y a pas d’impôt à la région », insiste le candidat socialiste, tout en regrettant que le « fonds de commerce de madame Le Pen, ce soit de s’appuyer sur les peurs et sur les drames des gens pour les monter les uns contre les autres ». « Marine Le Pen a une spécialité : agiter les peurs, mais sans proposer le début d’une solution », renchérit Xavier Bertrand. Même le patron du Medef Pierre Gattaz a poussé un cri d’alarme. « Le programme économique du FN me rappelle étrangement le programme commun de la gauche de 1981. (…) Extrême droite, extrême gauche, c’est la même chose : Mélenchon-Le Pen, même combat. En 1981, ça nous a mis dans le mur pendant deux ans. Ne recommençons pas », a-t-il affirmé mardi dans Le Parisien.
À Senlis, à Lens ou à Douai, nombreux pourtant sont ceux qui ont déjà adopté la pasionaria nationaliste. À Wattrelos, on pousse la porte d’un bar sombre, coincé entre deux boucheries halal. Une odeur de renfermé attaque les narines. La tenancière – pantalon de cuir et pull bleu électrique – attend désespérément le client en sirotant un demi. Ici, pas de machine espresso, on sert du café en poudre dans de l’eau chaude. « Ils font des enfants, ne travaillent pas et ils nous prennent tout ! Nous, nous n’avons rien. Pour avoir plus, il faudrait que je m’appelle Fatiah. Ici, c’est un pays d’Arabes, on est envahis ! » s’agace-t-elle. Même ras-le-bol chez Sébastien, qui tient un stand de papier à cigarette sur le marché d’Arras : « On est en train de tout donner à ceux qui ne travaillent pas, et ça me dégoûte. Je travaille six jours sur sept pour 1 000 ou 1 200 euros selon les mois. » À Douai, Noémie, en fauteuil roulant, ne comprend pas pourquoi le gouvernement a tenté de baisser l’allocation pour les handicapés avant de faire marche arrière : « On en a marre : gauche et droite, c’est pareil ! Marine Le Pen peut nous aider. En fait, c’est notre star. » Et dans la banlieue de Lille, ce chef d’une entreprise de BTP éructe contre les conditions d’attribution des marchés publics : « Marine est la seule qui peut changer quelque chose, car elle n’est pas tenue aux renvois d’ascenseur comme la droite et la gauche, elle n’a pas de comptes à rendre aux élites sociales et économiques. » Les attentats meurtriers de Paris le 13 novembre n’ont fait que renforcer les électeurs dans leur choix : « L’espace Schengen rend possible la libre circulation des terroristes : merci du cadeau ! Cela fait des années que le FN réclame la fermeture des frontières et voilà que les événements lui donnent raison », note Mathias, un employé de Boulogne-sur-Mer, qui s’apprête à glisser pour la première fois un bulletin FN dans l’urne après avoir voté à droite pendant quinze ans.

Sans effort
Les incidents sont rares. Tout juste Marine Le Pen essuie-t-elle des jets d’œufs à Villers-Cotterêts. Et sur le marché de Douai, les imams qui quêtent pour construire de nouvelles mosquées lui opposent une résistance silencieuse. Anissa et Sounia, deux jeunes filles voilées – et maquillées –, rapportent les insultes subies. Pour ce voile, on leur refuse l’appartenance à ce pays qu’elles jurent aimer : « On porte le voile, on est françaises, mais on ne veut pas nous considérer comme intégrées. Marine Le Pen ne gagnera pas la région : il y a trop d’Arabes ! On fera barrage », lancent-elles en rigolant. Quelques mètres plus loin, le rire de Marine Le Pen résonne comme dans un écho. Cette campagne régionale, elle l’aura faite sans effort, surfant sur les déceptions engendrées par la droite et la gauche, et portée par les événements tragiques qui ont frappé la France.