LR-RN: des alliances à bas bruit
17 JUILLET 2020 PAR LUCIE DELAPORTE
Si LR jure n’avoir passé aucun accord avec le parti de Marine Le Pen aux élections municipales, beaucoup de rapprochements sont passés sous les radars. Et se sont noués notamment pour le « troisième tour », celui des présidences d’agglomérations.
Officiellement, aucune alliance n’a été passée et aucune digue n’a cédé. Mais, sur le terrain, dans la séquence électorale qui est en train de s’achever, et alors que LR continue de chercher son espace politique dévoré par Emmanuel Macron, des rapprochements locaux avec le Rassemblement national sont parfois passés sous les radars.
D’autant qu’ils se sont faits, pour l’essentiel, loin des électeurs : au troisième tour, celui des présidences d’agglomérations.
À première vue, au soir du second tour des élections municipales, les tenants de l’union des droites avaient de quoi être frustrés. « Il y a eu un certain nombre de déceptions », reconnaît l’ancien ministre sarkozyste Thierry Mariani, passé au RN, et qui a battu la campagne pour favoriser les candidatures qui affichaient un rapprochement entre la droite et le RN.
À Sète, l’ancien patron de la fédération LR, soutenu par le RN, Sébastien Pacull, n’a fait que 11 % face au maire sortant divers droite François Commeinhes. Même échec à Lunnel, où la candidate du RN, Julia Plane, qui avait été rejointe par des militants locaux de LR, a plafonné à 17 % au second tour.
S’il attribue ces déconvenues à cette campagne hors norme, liée à la crise sanitaire, qui a favorisé, selon lui, les maires sortants, l’eurodéputé Thierry Mariani invite à regarder le pedigree des candidats pour voir l’union des droites à l’œuvre. « La plupart des maires ne mettent pas leur étiquette. Mais les rapprochements se font car ce sont des gens qui se connaissent très bien et savent qu’ils sont sur la même ligne », précise-t-il, citant le cas de Morière-les-Avignon (8 000 habitants), où le maire Grégoire Souque, soutenu par le RN, s’est fait élire sans étiquette avec les voix de la droite. Des alliances droite-extrême droite sans tambour ni trompette.
Peu adepte de la discrétion, le maire de Béziers Robert Ménard, qui avait prôné la diffusion par capillarité de son modèle de « droite hors les murs », ne pouvait, lui, que constater les échecs de ses candidats dans les communes de Béziers. À Villeneuve-lès-Béziers, Sérignan, Sauvian… Tous ceux qu’il a bruyamment défendus ont été sèchement battus. Mais sa victoire est ailleurs.
En se faisant élire, jeudi 16 juillet, par 35 voix sur 55, président de l’agglomération de Béziers Méditerranée, Robert Ménard, soutenu par le RN, a fait la démonstration qu’il a réussi à totalement phagocyter la droite locale ces dernières années. Frédéric Lacas, le président LR sortant, qui s’était dit dans un premier temps prêt à « un pacte de gouvernance » avec Ménard, n’a recueilli que 18 voix, signe de la décomposition de la droite républicaine sur ce territoire.
Dans ces élections, les alliances LR-RN se sont d’ailleurs surtout nouées au « troisième tour », celui, déterminant, des présidences d’agglomérations ou de communautés d’agglomération, par de petits arrangements loin des caméras et des électeurs.
Mairie de Fréjus où David Rachline a été réélu dès le premier tour es élections municipales © LD
Le cas de la communauté d’agglomération de Fréjus-Saint-Raphaël est assez emblématique. Samedi 11 juillet, le maire LR de Saint-Raphaël, Frédéric Masquelier, est réélu président de la Cavem, communauté d’agglomération Var Estérel. Quand arrive le moment d’élire le premier vice-président, David Rachline, le maire RN de Fréjus (qui ne devait normalement recueillir que les 20 voix frontistes) obtient 41 votes et accède donc à ce poste crucial.
« Des élus et des cadres de LR ont donc glissé un bulletin RN dans l’urne ! », s’étrangle Jérémy Campofranco, le jeune conseiller national LR, qui ne décolère pas contre ces « petites manœuvres ». « De toute façon, Rachline n’a pas eu de candidat face à lui, ce qui prouve que l’accord avait eu lieu en amont », souligne-t-il.
L’ancien directeur de campagne de Marine Le Pen siège donc à la Cavem en force, entouré de trois de ses adjoints à la mairie, qui ont obtenu, eux aussi, des vice-présidences aux côtés des élus LR.
Pour le maire LR de Saint-Raphaël réélu, rien que de très normal. « Il faut s’unir pour exister en tant que territoire. […] Pour cela, il faut mettre de côté nos différences, les dépasser et nous rassembler autour de nos forces. La politique partisane sera bannie de la Cavem, c’est une demande de nos concitoyens. Finies les querelles de clochers, on est épuisés par toutes ces postures qui ont fait perdre tant de temps, tant d’argent. Soyons dignes », a-t-il expliqué dans un communiqué au lendemain de son élection.
Interrogé par France 3, il a avancé qu’« aucun accord partisan » n’avait été passé avec le RN mais a revendiqué un simple accord avec « des maires démocratiquement élus » pour la « gouvernance » d’une agglomération aux compétences purement « techniques ».
L’opposition LR à Fréjus se dit pourtant persuadée qu’un accord était en réalité passé de longue date avec les élus de Saint-Raphaël pour se partager des postes à la communauté d’agglomération. Le directeur général des services de Fréjus, Philippe Lottiaux, un énarque transfuge de LR qui a exercé la même fonction auprès de Patrick Balkany à Levallois, était pendant longtemps pressenti pour être le candidat du RN à Saint-Raphaël. À la surprise générale, celui que beaucoup considèrent comme le véritable maire de Fréjus tant il en assure la gestion au quotidien (voir notre article) a finalement laissé sa place à la dernière minute à un jeune militant frontiste, Christopher Pecoul, bien moins menaçant pour LR… C’est lui qui assure aujourd’hui la fonction stratégique de directeur général de la Cavem. En plus de son poste à Fréjus. Autant dire que l’entourage de Rachline tient aujourd’hui l’essentiel des leviers de la communauté d’agglomération et ce, grâce aux élus de LR.
« Jouer le troisième tour en passant une alliance pérenne pour l’agglomération »
Très remonté, Jérémy Campofranco a appelé les instances de LR « à prendre des sanctions exemplaires » contre les élus du parti ayant passé de telles alliances. La réponse de Christian Jacob, interrogé sur RTL sur de possibles alliances dans les agglomérations entre LR et le RN, a été pour le moins surprenante de la part de celui qui, depuis qu’il est arrivé à la tête de LR, n’a cessé d’expliquer qu’aucun rapprochement n’était possible avec le le RN. « La gestion des agglomération, c’est totalement différent. Bien souvent, les communauté d’agglo ou les agglos font en sorte que chaque maire soit représenté… Donc, à partir du moment où un maire est élu, on ne va pas interdire à un maire de siéger », a-t-il déclaré, manifestement embarrassé.
Un argument de « bon fonctionnement » que rejette la droite fréjussienne. « David Rachline est élu depuis six ans, il a été consulté systématiquement au sein de la communauté de communes où il a toute sa place dans la conférence des maires », souligne Jérémy Campofranco. « Ce que nous dénonçons, c’est qu’il siège aujourd’hui aux côtés de LR. Comment les élus LR peuvent expliquer qu’il est normal de travailler avec lui et ensuite, aux prochaines élections, appeler à faire barrage à l’extrême droite ? », s’insurge-t-il.
La perspective des élections sénatoriales en septembre prochain n’incite en tout cas pas la direction de LR à se fâcher en ce moment avec ses grands électeurs… Christian Jacob n’a d’ailleurs pas réagi quand, quelques jours plus tôt, une entente entre la droite et le RN a permis à celle-ci de conserver l’agglomération d’Avignon.
Le 9 juillet, le maire divers droite de Vendène, une petite commune de 11 000 habitants, a remporté la présidence de la communauté d’agglomération en obtenant 39 voix contre 29 pour la maire socialiste d’Avignon Cécile Helle. Le RN avait choisi de ne pas présenter de candidat face à lui pour empêcher la communauté d’agglo de passer à gauche.
En remerciement, le maire RN du Pontet, Joris Hebrard, a obtenu la deuxième vice-présidence du Grand Avignon. Un échange de bons procédés entre la droite et l’extrême droite qui devient une habitude, rappelle la chercheuse Jessica Sainty, maîtresse de conférences en science politique à l’université d’Avignon. « Ce qui s’est passé dans l’agglomération d’Avignon n’est pas du tout une surprise puisque c’est la reproduction, à l’identique, de ce qui s’est passé en 2014. Le maire LR de Villeneuve-lez-Avignon avait remporté l’agglomération avec l’abstention du FN, et Joris Hebrard, le maire du Pontet, avait déjà obtenu une vice-présidence », détaille-t-elle.
À Avignon, le candidat de LR, Michel Bissière, a refusé de s’allier avec le RN. « Il a expliqué qu’il fallait de la cohérence et que le RN et LR ne travaillaient pas ensemble à la région. Il n’a pas eu du tout, en revanche, de discours sur le front républicain. Même avec une alliance, il aurait de toute façon été difficile de battre la maire sortante. On peut supposer qu’il y a aussi eu une logique de jouer le troisième tour en passant une alliance pérenne pour l’agglomération », affirme Jessica Sainty.
Les grandes manœuvres pour conserver l’agglomération ont commencé il y a au moins un an. À cette époque, le président LR du Grand Avignon, Jean-Marie Roubaud, a démissionné de ses fonctions et son successeur a décidé d’exclure le RN des vice-présidences. « On peut lire cette décision comme la volonté cynique de ne pas avoir à afficher d’alliance avec le RN à la veille des élections municipales », avance-t-elle.
Localement, comme le rappelle Jessica Sainty, droite et extrême droite jouent la confusion depuis longtemps et ont, de fait, souvent remisé leurs étiquettes. « Il n’y a pas forcément de progression du RN dans le Vaucluse en nombre de voix mais plutôt un enracinement, avec une porosité LR/RN qui s’est installée dans le paysage politique local. Les électeurs ne voient pas forcément la différence, par exemple au Pontet, entre la politique menée par le RN et celle de LR. Le maire n’a pas mené là-bas une politique de coups d’éclat, en tout cas pas autant que Robert Ménard, mais une politique de droite assez classique, en insistant beaucoup sur le côté gestionnaire », précise-t-elle.
Ce qui correspond parfaitement à la feuille de route donnée aux maires frontistes par Marine Le Pen : s’ancrer dans le paysage à bas bruit, en jouant des moindres faiblesses de la droite pour la supplanter.