Que pèse réellement l’extrême droite en Europe ?
Lefigaro.fr a compilé les résultats de plus de 250 élections sur ces 15 dernières années. Analyse d’un phénomène électoral à l’échelle continentale. (suite de l’article, première partie publiée le 7 octobre sur le blog du codex). La troisième et dernière partie où nous explorerons les extrêmes droites dans l’Europe de l’est, le we prochain.
Published in Le Figaro
Avec un entretien de Nicolas Lebourg, historien français et chercheur à l’université de Montpellier et membre de l’Observatoire des radicalités politiques (ORAP) de la Fondation Jean Jaurès, il est spécialiste de l’extrême droite.
La progression est claire. Depuis 2001, l’extrême droite gagne du terrain sur le Vieux Continent. Notre infographie répertorie plus de 250 élections de portée nationale en Europe sur une période de 17 ans. Au fil des années, nombre de pays se foncent (voir l’infographie ci-dessous), traduisant la progression dans les urnes de cette frange de l’échiquier politique. On note bien, localement, quelques retours en arrière, qu’ils soient le résultat d’un effondrement électoral ou de l’étiolement d’une position jadis bien tenue. On distingue également des zones hermétiques au vote d’extrême droite. Cependant, si cette hausse des résultats électoraux ne se traduit pas par une prise de pouvoir solitaire, elle n’en reste pas moins une tendance visible sur l’ensemble du continent européen. Si bien que parfois la droite traditionnelle ou certains partis dits «antisystèmes» sont tentés par des alliances gouvernementales.
Pourquoi avons-nous choisi 2001 comme marqueur d’entrée de notre carte ? Parce que nos sociétés sont toujours dans la séquence politique ouverte par l’attentat commis aux États-Unis le 11 Septembre. Les extrêmes droites également. Si la critique de l’islam et du monde musulman était déjà présente chez elles, ces attentats deviennent alors des éléments centraux du discours néopopuliste. Notre infographie couvre donc la période ouverte par cette année pivot et se poursuit jusqu’aux élections tenues ces derniers mois.
Suède : la classe politique s’unit face aux Démocrates suédois
La Suède fait également partie des pays récemment concernés. Le parti des Démocrates de Suède (SD), situé à sa création à l’extrême droite radicale et proche de milieux néonazis, s’est longtemps contenté de scores négligeables, frôlant les 0%. En 2002, il dépasse pour la première fois 1% des voix.
Le leader des Démocrates de Suède, Jimmie Akesson, le soir des législatives 2014. Il célèbre le bon score électoral de son parti, qui passe de 6 à 13% et devient ainsi le troisième parti politique du pays. Sur la banderole, la fleur aux couleurs du pays, symbole du mouvement.
En 2006, il abandonne son ancien logo, une torche, pour adopter une plus douce fleur bleue et jaune. Pendant cette période, il se débarrasse de ses éléments les plus radicaux et police son discours, abandonnant le racisme frontal pour adopter le rejet du multiculturalisme, troque la défense des droits sociaux contre le libéralisme.
Il double depuis ses scores à chaque élection parlementaire et réalise en 2014 à près de 13%, décrochant une cinquantaine de députés au Parlement. Un score qui force les partis traditionnels de gauche et de droite à passer un accord de gouvernement valable jusqu’en 2022. Le but affiché de cette entente hors du commun est d’empêcher le pouvoir de nuisance de l’extrême droite au Parlement.
Minimum: européennes 2004, 1,13%, maximum: européennes 2014, 12,93%.
Finlande : scission à l’extrême droite
Finlande : scission à l’extrême droite
Timo Soini, leader des Vrais Finlandais et ministre des Affaires étrangères.
Comme la Suède, la Finlande est longtemps restée hermétique aux mouvements nationaux-populistes. La vie politique est restée, jusqu’à une période récente, un jeu égal entre les trois principales forces du pays, s’alliant les unes avec les autres au gré des élections. Il n’existe pas de véritable opposition entre la gauche et la droite et toutes les aspérités ont été gommées.
Pendant 10 ans, les Vrais Finlandais (qui changeront de nom pour devenir le Parti des Finlandais) n’ont obtenu que des résultats négligeables. Il faut attendre 2007 pour voir leurs scores commencer à monter et leur discours eurosceptique et anti-immigration prendre dans l’opinion. Ils explosent sur la scène politique en 2011 en réalisant 19% des voix. La personnalité charismatique de leur leader, Timo Soini, au milieu d’un paysage un peu consensuel, a sans doute joué dans ce succès. Tout comme les effets de la mondialisation qui a frappé l’industrie nationale du bois et du papier. Enfin, un scandale de corruption qui a poussé à la démission d’un premier ministre a également favorisé les populistes. Timo Soini réfute la qualification d’extrême droite et préfère décrire sa formation comme «un parti des travailleurs, sans socialisme».
En 2015, avec près de 18%, ils entrent dans un gouvernement de coalition aux côtés du centre et de la droite. Leur leader, Timo Soini devient ministre des Affaires étrangères. Il met alors de l’eau dans son vin, étant dans l’impossibilité de faire appliquer les principales mesures de son programme sur l’immigration, la politique européenne ou l’austérité. Cette participation au gouvernement lui coûter cher puisque Les Finlandais ne tardent pas à chuter dans les sondages.
LE FIGARO. – Qu’est-ce que le néo-populisme ?
Nicolas LEBOURG. - Les renouvellements des extrêmes droites sont fonction de ceux de l’ordre géopolitique. Le néo-populisme est une mue de l’après-11 septembre, et elle a été d’abord incarnée par le Hollandais Geert Wilders. Islamophobe avant tout, dénonçant les élites et faisant l’apologie des vertus du peuple, son PVV se veut le champion des libertés des minorités (gays, juifs, femmes) contre les masses arabo-musulmanes. Les choses ne sont pas des blocs, et il va sans dire que Marine Le Pen a su intégrer la mue néo-populiste dès son accession à la direction du FN, puis faire encore évoluer son parti en ce que je qualifie de «souverainisme intégral», tandis que Wilders s’était inspiré du national-populisme lepéniste lors des européennes de 2014.
Comme la Suède, la Finlande est longtemps restée hermétique aux mouvements nationaux-populistes. La vie politique est restée, jusqu’à une période récente, un jeu égal entre les trois principales forces du pays, s’alliant les unes avec les autres au gré des élections. Il n’existe pas de véritable opposition entre la gauche et la droite et toutes
Au municipales 2017, les mauvais sondages trouvent une réalité dans les urnes. C’est la douche froide. Les Finlandais obtiennent 8,8% des voix. C’est une baisse de 3,5% par rapport aux précédentes municipales de 2012. Le score est divisé par deux par rapport aux dernières élections, les législatives 2015. Soini, reconnaît que sa formation «a souffert de la politique d’austérité du gouvernement». En juin 2017, après 20 ans de présidence du parti, il laisse sa place à Jussi Halla-aho, représentant de l’aile dure, déjà condamné pour des propos racistes. Les alliés conservateurs des Finlandais, le premier ministre Juha Sipilä en tête, expriment alors leur volonté de mettre fin à l’accord les liant, jugeant le parti infréquentable.
Alors que cette décision aurait normalement dû conduire à la chute du gouvernement, 20 députés sur les 37 que comptent Les Finlandais décident de quitter leur groupe parlementaire pour fonder leur propre groupe, baptisé Nouvelle Alternative. Ils annoncent vouloir continuer leur collaboration avec les conservateurs: le gouvernement est maintenu et les ministres issus de leurs rangs conservent leurs fonctions, notamment Timo Soini. La scission est définitivement actée lorsque les partants annoncent vouloir créer leur propre parti, la Réforme Bleue, présidé par Sampo Terho. À la mi-octobre, ils parviennent à déposer les 5000 signatures faisant officiellement d’eux la 17e formation politique du pays. Ils maintiennent la baisse des impôts sur le revenu, le contrôle de l’immigration et la défense de la Finlande au sein de l’UE comme lignes directrices de leur parti. Réforme bleue détient 5 portefeuilles ministériels.
De leur côté, Les Finlandais choisissent Laura Huhtasaari (38 ans) pour les représenter à la présidentielle de 2018. Cette dernière est connue pour ses positions sociétales conservatrices, anti-immigration et anti-UE. Elle est chrétienne, créationniste et fervente supportrice de Donald Trump. Au niveau international, elle se prononce pour le retrait d’un certains nombre de traités internationaux (Ottawa, sur les mines antipersonnel, Paris, sur le climat). Elle dit craindre la puissance de Poutine mais est opposée à l’intégration de la Finlande à l’Otan. En janvier 2018, elle réalise un score décevant, de 6,93%, en retrait par rapport aux 9,40% que Soini avait obtenus en 2012.
Minimum: européennes 2004, 0,70%, maximum: législatives 2015, 17,60%.
Autriche : le FPÖ gouverne avec la droite
Dans d’autres pays, les scores de l’extrême droite et des nationaux populistes ne sont pas une nouveauté. C’est le cas en Autriche où il se maintiennent depuis 15 ans au-dessus des 15% et finissent ces dernières années entre 20 et 35%.
Le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), existe depuis des dizaines d’années dans le paysage politique. Créé en 1956 sur les décombres d’un parti regroupant d’ancien nazis, il a été dirigé à l’origine par un ancien officier de la SS. Cependant, le parti a également su attirer des libéraux et ces derniers en ont même pris brièvement la direction dans les années 1980. En 1983, il entre alors une première fois au gouvernement. Comme souvent pour les partis contestataires, cette participation se solde par un revers aux élections suivantes: en 1986, il ne réalise que 1,2% des voix.
C’est à ce moment que le FPÖ va être repris en main par un leader charismatique qui va le porter de nombreuses années: Jörg Haider. Grâce à celui-ci le FPÖ est monté en puissance et en respectabilité avec pour socle doctrinal le rejet des étrangers associé à une position économique très libérale.
Il se fait élire gouverneur de Carinthie en 1989. Mais deux ans plus tard, il doit démissionner après avoir fait l’éloge de la politique de l’emploi du IIIe Reich. Cela ne l’empêche pas de récidiver sur ce terrain. En 1995, il déclare ainsi que la Waffen-SS est la «partie de l’armée allemande à laquelle il faut rendre honneur». Il retrouve finalement son siège en Carinthie en 1999.
Son bon score aux législatives de 1999 lui permet d’entrer au gouvernement l’année suivante. Le FPÖ forme alors une coalition avec le parti conservateur, provoquant de vives réactions en Europe. En 2005, Jörg Haider, qui souhaite poursuivre l’alliance gouvernementale, fait sécession et créé le BZÖ (Alliance pour l’avenir de l’Autriche), réussissant à mordre une part de l’électorat du FPÖ. Le BZÖ s’effondre après la mort de son fondateur dans un accident de la route, en 2008.
Le FPÖ continue, lui, d’être un parti central de la vie politique autrichienne, notamment sous l’impulsion de Heinz-Christian Strache, le nouveau président du parti. Il se détache de ses éléments les plus radicaux, lissant doucement son image. En 2015, le parti social-démocrate, le SPÖ s’allie localement avec le FPÖ afin d’obtenir la majorité dans certaines régions, brisant un tabou vieux de 30 ans et les dernières alliances rose-brune.
En 2016, Norbert Hofer, le candidat pour la présidentielle, arrive au second tour. Cet ingénieur originaire de l’Est du pays a quitté la religion catholique, qu’il estimait trop à gauche, pour le protestantisme. Toujours le sourire aux lèvres, il maîtrise parfaitement ses arguments: il a fait partie de ceux qui ont contribué à l’évolution du discours du FPÖ, remplaçant par exemple les attaques xénophobes par une critique de l’immigration. Le second tour, lors duquel il s’incline de peu, est annulé et reporté au mois de décembre de la même année. Il est finalement battu une seconde fois lors du «troisième tour», beaucoup plus nettement que la première.
C’est le président Heinz-Christian Strache qui mène la campagne législative d’octobre 2017, axant sa campagne sur un rejet de l’islam. La droite arrive en tête, avec 31,5% des voix, suivie du SPÖ, 27%, lui-même immédiatement talonné par le FPÖ, 26%. Compte tenu de la campagne très droitière menée par le leader de la droite, Sebastian Kurz, 31 ans, il était logique que ce dernier se tourne vers l’extrême droite pour former une coalition de gouvernement. Deux mois après le scrutin, l’annonce de la nouvelle alliance est faite à Vienne sur le mont Kahlenberg, connu pour être le lieu où s’est déroulé ne 1683 la bataille qui mit fin au siège de la ville par les Ottomans.
Le vice-chancelier Heinz-Christian Strache et le chancelier Sebastian Kurz, lors de leur première apparition conjointe au Parlement.
Minimum: européennes 2004, 6,31%, maximum: présidentielle 2016, 35%.
Danemark, Norvège et Suisse : des bastions bien gardés
Dans les pays nordiques, le Danemark et la Norvège se maintiennent à des niveaux élevés depuis 15 ans. Ces deux pays comportent nombre de similitudes : ils ont connu l’émergence de l’extrême droite populiste à la même période, les années 1970. Dans les deux pays, elle prend le nom de Parti du progrès (au Danemark, le Parti populaire danois prendra ensuite le relais). Ici, c’est la critique de l’État providence et de ses largesses sociales qui prédomine. Les questions ethniques et la dénonciation de l’immigration constituent une part importante du discours.
Le Parti populaire danois, qui soutient le gouvernement sans participation, a perdu en popularité suite à plusieurs affaires de financement.
En Norvège, le Parti du Progrès (FrP) fait partie du gouvernement depuis 2013, où il cohabite, non sans frictions, avec les conservateurs, qui ont brisé un tabou en s’alliant avec eux. Il est notamment représenté par la ministre de l’Immigration, Sylvi Listhaug, qui a la particularité d’être climatosceptique, d’admirer Ronald Reagan et Margaret Thatcher. En septembre 2017, le FrP obtient 15,2% des voix aux législatives, perdant 1,1% sur leur score réalisé 4 ans plus tôt. Les remaniements ne concernent pas les ministres du Parti du progrès, qui conserve 8 postes ministériels sur 19 (Finances, Transports et Communication, Enfance et Égalité, Immigration et Intégration, Pêches, Agriculture et Alimentation, Pétrole et Énergie, Justice et Sécurité publique).
En Suisse, l’UDC dépasse les 20% depuis 1999 et même les 25% depuis 2003, fondant son discours sur la mise en avant de la démocratie directe et l’isolement de la Suisse sur toutes les questions internationales.
Minimum : élections locales 2015, 9,50%, maximum: législatives 2005, 22,90%.
Espagne, Portugal et Irlande : insensibles au phénomène
D’autres pays échappent à la vague européenne. L’Espagneet le Portugal restent depuis 15 ans totalement étrangers au phénomène, malgré l’existence de formations plus ou moins radicales dans les deux pays, mais dont la présence aux élections relève plus du témoignage qu’autre chose. En Espagne, les modérés du franquisme ont été intégrés au grand parti de la droite, le Parti populaire (PP). En outre, les fortes tendances nationalistes locales rendent plus compliquée la constitution d’une grande force nationale. Même constat au Portugal, qui, comme l’Espagne, a connu la dictature. De la même manière, l’Irlande ne connaît pas de vote d’extrême droite notable.
LE FIGARO. – Comment expliquer que certains pays, à l’image de l’Irlande ou de l’Espagne, ne soient pas touchés par la montée de l’extrême droite ? L’histoire montre que d’autres nations, longtemps épargnées, ont été rattrapées d’un seul coup par le phénomène. Un basculement peut-il se produire dans ces pays ?
Nicolas LEBOURG. - En Irlande, la construction de l’État-nation et le référentiel de la Guerre d’indépendance ne font pas débat : ne peut se structurer un mouvement rejetant le socle culturel sur lequel est construit le système politique. Or, nous avons vu que c’est l’une des conditions de l’existence de l’extrême droite. En Espagne et au Portugal, on a d’abord un effet de l’écroulement des dictatures. En Espagne, le Partido popular occupe tout l’espace du conservatisme. Il a été fondé à la fin de la transition démocratique (sous le nom alors d’Alianza popular) en accueillant tous les modérés du franquisme, privant de potentielles formations de tout oxygène en termes de cadres et de positionnement idéologique. Depuis les années 1980, des groupuscules tentent d’imiter le Front national français, mais c’était mal aisé dans un pays qui a longtemps eu une structure ethnique très stable. La progression du phénomène migratoire en Espagne, alliée au mouvement indépendantiste catalan, a conduit à la construction, en 2003, d’un mouvement catalaniste, national-populiste, identitaire et islamophobe *: Platarferma per Catalunya, mais ce fut un nouvel échec. D’une part car le souvenir du franquisme et de sa répression des identités basque et catalane rend quasiment impossible de mener une formation d’extrême droite dans des autonomies connaissant de fortes dynamiques nationalistes. D’autre part car la société espagnole ne connaît pas la même crise culturelle et le même doute quant aux valeurs de l’humanisme égalitaire, notamment grâce au poids du catholicisme, qui y freine la socialisation du racisme.
* Non seulement, les partis catalanistes ne sont pas islamophobes ou racistes (ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas de brebis galeuses parmi eux), mais même chez les indépendantistes, et ceux qui cultivent des valeurs culturelles du catalan en tant que manière de vivre et vision du monde, le rejet de l’autre ne fait pas partie ni du programme ni du discours, on est contre Madrid, parce qu’on est contre un système dévoyé, un système qui est fait pour les plus riches et les lois faites par eux et pour eux.