Les hommes forts du nouveau gouvernement brésilien

Brésil: les hommes forts du nouveau gouvernement d’extrême droite (larges extraits)

30 DÉCEMBRE 2018 PAR JEAN-MATHIEU ALBERTINI, Médiapart,

Vingt-deux membres, dont seulement deux femmes : le nouveau gouvernement brésilien est officiellement investi mardi, en même temps que le président élu Jair Bolsonaro. Celui-ci fait la part belle aux militaires, aux nostalgiques de la dictature, aux évangéliques et aux climatosceptiques.

Rio de Janeiro (Brésil), de notre correspondant.- Un million de personnes sont attendues à Brasilia, ce mardi 1er janvier 2019, pour la cérémonie d’investiture de Jair Bolsonaro, élu président du Brésil en octobre. Le nouveau gouvernement, qui ne compte que deux femmes, prendra ses fonctions dans la foulée. Son homme fort est sans conteste Paulo Guedes, qui cumule les portefeuilles de l’économie, des finances, de l’industrie, du commerce et de la planification. Notre tour d’horizon.

Brazil's President-elect Jair Bolsonaro listens to his Vice President-elect Hamilton Mourao before receiving a confirmation of his victory in the recent presidential election in Brasilia

Jair Bolsonaro avec son vice-président Hamilton Mourão. © Reuters

 

  • 1. Les militaires

Sur les vingt-deux ministres qui vont intégrer le nouveau gouvernement, sept sont des militaires, auxquels s’ajoute le vice-président, le général Mourão. Une présence massive « jamais vue depuis la dictature », détaille Maurício Santoro, chercheur à l’université d’État de Rio de Janeiro. « L’armée et les Églises sont les seules institutions qui bénéficient encore de la confiance de la majeure partie de la population, Bolsonaro a su capitaliser sur ce sentiment. »

Le gouvernement par intérim de Michel Temer a bien préparé le terrain, banalisant la présence de militaires dans un gouvernement civil, avec l’intervention militaire pour tenter d’assurer la sécurité à Rio de Janeiro ou la nomination d’un général comme ministre de la défense.

Les seize généraux quatre étoiles qui composent le haut commandement de l’armée ont soutenu Bolsonaro pendant la campagne. Même si ce dernier n’a pas toujours été bien vu par les hauts gradés, la gestion de Dilma Rousseff a nourri de fortes rancœurs au sein de l’armée. Avec son succès grandissant, Bolsonaro a pu conquérir de nouveaux alliés au-delà de l’aile la plus extrémiste de l’institution qui a appuyé sa carrière pendant vingt-sept ans.

Si le leadership de Bolsonaro est reconnu, il est bien plus dépendant de l’armée que l’inverse. Le général Mourão, seul membre du gouvernement inamovible, partage de nombreuses positions du président, mais il est perçu comme plus sensé. Disposant d’un fort prestige, il « a déjà démontré qu’il ne sera pas un vice-président décoratif. Suivant la situation du gouvernement, les militaires peuvent chercher à gouverner avec le vice-président », souligne Maurício Santoro.

Avec leur image associée au gouvernement, les militaires veulent s’assurer que tout se passe au mieux pour ne pas perdre leur popularité. Or ils n’apprécient pas tous les soutiens et alliés du président. Plusieurs conflits potentiels sont à prévoir en interne : l’impulsivité des trois fils Bolsonaro les inquiète, ils considèrent Onyx Lorenzoni, sorte de premier ministre, comme un incapable et les idéologues radicaux du gouvernement heurtent leur pragmatisme sur certaines questions, notamment de politique extérieure.

  • 2. Paulo Guedes

Indispensable, il est la caution économique d’un président qui a confessé ne rien connaître en économie. Sa venue dans l’équipe de Bolsonaro en février 2018 a permis à sa candidature de se consolider sérieusement. En position de force, Paulo Guedes semble déjà très autonome.

Economist Paulo Guedes, incoming Brazil's Economy Minister, attends a lunch with businessmen at the Federation of Industries of Rio de Janeiro (FIRJAN) headquarters, in Rio de Janeiro

Paulo Guedes, ministre de l’économie. © Reuters

Son « super-ministère » va concentrer de nouvelles compétences inédites en intégrant au ministère de l’économie ceux de l’industrie et du commerce, des finances, de la planification et une partie de celui du travail. Il dispose ainsi d’un pouvoir de décision immense et la maîtrise d’un budget énorme. Il a aussi fait nommer des proches à divers postes clés, notamment à la Banque centrale.

Son seul revers jusqu’à présent : une agence de promotion du commerce extérieur qu’il aurait souhaité annexer mais qui est finalement restée liée au ministère des affaires étrangères. Une petite dispute vite réglée mais qui révèle une lutte de pouvoir féroce en interne, entraînant de nombreux coups bas en vue de s’assurer le plus de compétences possibles. Sur ce point, Paulo Guedes concentre la jalousie de ses collègues.

  • 3. Sérgio Moro

Le ministre de la justice et de la sécurité publique, deuxième super-ministre de ce gouvernement, est probablement le plus important, assure Michael Mohallem, coordinateur du centre de justice et société de la Fondation Getúlio Vargas. « À la différence de Paulo Guedes, relativement peu connu, Sérgio Moro est l’une des personnalités les plus célèbres du Brésil. » Son rôle central comme juge dans l’opération « Lava Jato » l’a transformé en héros aux yeux d’une partie de la population.

Moro, incoming justice minister, arrives for a meeting with Brazil's President-elect Jair Bolsonaro at the transition government building in Brasilia

Paulo Guedes, ministre de l’économie. © Reuters

Face au radicalisme du président, Sérgio Moro apporte une touche de modération, estime Michael Mohallem. Son profil technique renforce la crédibilité d’un gouvernement qui en a bien besoin. Il est l’un des rares civils de ce gouvernement dont la carrière est saluée par l’opinion (…)

Reste qu’en acceptant le poste et en se lançant en politique, l’ancien juge jette un nouveau soupçon sur la neutralité de l’opération « Lava Jato ». De plus, en dehors de ces thèmes de prédilection, Moro devra se confronter à des chantiers difficiles dans lesquels il n’a pas d’expérience, comme la lutte contre la criminalité et les gangs.

Surtout, son image peut souffrir sévèrement de dénonciations de corruption au sein du gouvernement. Sa défense malheureuse d’Onyx Lorenzoni, dont les excuses relatives à une affaire de caisse noire de campagne semblent avoir satisfait l’ancien juge, a déjà terni son aura. Les récents soupçons de blanchiment d’argent autour du clan Bolsonaro diminuent encore plus sa crédibilité.

  • 4. Les évangéliques

Autre élément clé du succès de Bolsonaro, plusieurs autorités évangéliques devraient occuper une place importante dans son gouvernement. Ainsi, la pasteure Damares Alves, ministre de la femme, de la famille et des droits de l’homme, devrait aussi diriger la FUNAI, l’organisme chargé de la protection des Indiens, alors que ces Églises font de l’évangélisation des Indiens une priorité.

Si certains n’ont pas eu les postes espérés, leur influence sur le futur gouvernement est évidente. « Plus qu’une augmentation du nombre de parlementaires évangéliques, il y a une augmentation des fondamentalistes à l’assemblée », précise Esther Solano. Et ils comptent bien faire pression pour imposer leur vision du monde, en commençant par la formation du gouvernement.

(…)

Sous pression, cette sorte de premier ministre a déjà perdu son sang-froid face à des reporters désireux d’en savoir plus sur l’affaire concernant l’un des fils du président et un dépôt d’argent sur le compte de la première dame. Onyx Lorenzoni est aussi fragilisé par sa propre affaire de corruption. Il a reconnu publiquement son erreur sans être toutefois condamné. Selon l’évolution du dossier, il pourrait néanmoins perdre le soutien de ses alliés.

Et ses nombreux ennemis pourraient en profiter : Paulo Guedes a déjà montré les griffes ; surtout, il est très mal vu des militaires, persuadés qu’il n’apportera que des problèmes au gouvernement. Il a vécu un sérieux revers quand le président a nommé un général à un poste dont les compétences empiètent directement sur les siennes.

« Bolsonaro a été intelligent en créant une sorte de double commandement politique et militaire. Il évite qu’une personnalité ne monopolise ce poste très important au Brésil tout en se posant en arbitre », analyse Adriano Codato. Pour certains analystes, devant les nombreux coups durs et démentis présidentiels subis par le ministre, il n’est pas sûr de garder longtemps son poste. Pour l’universitaire, toutefois, « cela va surtout dépendre de sa capacité à faire adopter les projets de loi les plus complexes ».