Les Décodeurs: Darmanain et le RN

Gérald Darmanin a bien voté trois motions de censure avec les députés du Front national

La députée « insoumise » du Val-de-Marne, Clémence Guetté, a rappelé au ministre de l’intérieur qu’il avait voté ces textes, alors qu’il accuse lui-même LFI d’avoir « négocié » avec le RN.

Par , Le Monde

Publié hier à 18h12,Temps deLecture 2 min.
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/10/28/gerald-darmanin-a-t-il-vote-trois-motions-de-censure-avec-les-deputes-du-front-national_6147771_4355770.html

La motion de censure contre le gouvernement déposée par la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), et votée par le Rassemblement national (RN), lundi 24 octobre, ne passe toujours pas dans les rangs de la majorité présidentielle. Bien que le texte, adopté en réaction à l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour faire adopter le projet de budget pour 2023, ait été rejeté, le gouvernement et les « insoumis » continuent de s’accuser mutuellement de faire le jeu du RN.

A l’instar de la députée « insoumise » du Val-de-Marne Clémence Guetté, qui, invitée sur Franceinfo, vendredi 28 octobre, a commenté les propos du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui fustigeait « une négociation de la honte » entre les députés de gauche et d’extrême droite. « Lorsqu’on dénonce l’extrême droite, pour être cohérent, on n’accepte pas ses votes ! », a-t-il également lancé dans l’Hémicycle.

Pour la vice-présidente du groupe LFI-Nupes à l’Assemblée nationale, cette « accusation » est « absolument malhonnête ». Et d’ajouter : « On est une formation politique qui s’inscrit dans une histoire qui a combattu l’extrême droite fortement depuis des dizaines d’années. » Clémence Guetté a ensuite rappelé que le ministre de l’intérieur avait « voté trois motions de censure en commun lorsqu’il était député, avec les députés, à l’époque, du Front national ». Mais est-ce vraiment le cas ?

En Réponse  à France Info

La motion de censure de la Nupes votée par le RN, une compromission ? « C’est une accusation malhonnête. Notre formation politique a combattu fortement l’extrême droite”, défend Clémence Guetté. “Ce n’est pas nous qui choisissons ce que va voter le Rassemblement national.”

POURQUOI C’EST VRAI

Gérald Darmanin a été élu député du Nord en 2012 (sous les couleurs de l’UMP), puis une deuxième fois, en 2022 (sous l’étiquette de la majorité présidentielle). Il a toutefois laissé sa place à l’Assemblée un mois après, à la suite de sa nomination en tant que ministre de l’intérieur.

Il a donc siégé près de quatre années sur les bancs de l’Assemblée nationale lors de la 14législature. Au total, au cours de cette législature, sept motions de censure ont été envisagées, mais quatre seulement ont été débattues dans l’hémicycle. Et parmi elles, le ministre de l’intérieur avait bien voté en faveur de trois textes aux côtés des deux seuls députés élus sous l’étiquette Front national (ex-RN) : Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen.

  • 20 mars 2013 : la motion de censure déposée par Christian Jacob, alors président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, est rejetée. Au total, 228 députés ont voté pour (loin des 287 voix nécessaires). Le texte dressait un bilan critique des dix premiers mois de la présidence de François Hollande et de son gouvernement, alors dirigé par Jean-Marc Ayrault. Gérald Darmanin a voté en faveur de ce texte, aux côtés d’un autre membre du gouvernement actuel, le ministre de l’économie Bruno Le Maire. Les députés FN, Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen, s’étaient également prononcés favorablement.
  • 19 février 2015 : en réaction au recours au 49.3 par le gouvernement pour faire passer la loi Macron, les présidents des groupes Les Républicains (LR) et Union des démocrates et indépendants (UDI), Christian Jacob et Philippe Vigier, déposent une motion de censure. Celle-ci est cependant rejetée : 234 députés ont voté pour alors qu’il en aurait fallu 289 pour faire tomber le gouvernement. Là encore, le député Darmanin a voté en faveur de cette motion, tout comme Gilbert Collard et Marion Maréchal.
  • 18 juin 2015 : en deuxième lecture du projet de loi Macron, le premier ministre Manuel Valls utilise à nouveau le 49.3. MM. Jacob et Vigier déposent derechef une motion de censure. Cette dernière est rejetée, avec moins de voix cette fois-ci (198 votes recueillis). Et là encore, Gérald Darmanin a suivi son groupe parlementaire, et voté en faveur de ce texte. Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard figurent parmi les députés ayant voté pour cette motion.
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Interrogé au sujet de ces votes, jeudi, sur France Inter, le locataire de la Place Beauvau, a reconnu avoir « voté les motions de censure que mon groupe a déposées ». Mais selon lui, la situation actuelle « n’est pas comparable », « on n’a jamais été négocier avec Marion Maréchal des phrases dans la motion de censure », a-t-il affirmé. Cette accusation a été rejetée par les « insoumis ». « Gérald Darmanin, qui est un menteur structurel, (…) a dit qu’il y avait eu négociation. Mais personne n’a rien négocié », a réagi le leader des « insoumis », Jean-Luc-Mélenchon.

 

 

Qu’est-ce qu’une motion de censure ?

C’est l’arme parlementaire qui peut renverser le gouvernement. Aux termes de l’article 49, alinéa 2 de la Constitution de 1958, l’Assemblée nationale peut mettre « en cause la responsabilité du gouvernement par le vote d’une motion de censure ». Mais l’existence quasi permanente, sous la Ve République, d’une majorité stable et favorable à l’action du gouvernement, rend presque impossible son adoption (une seule a abouti en 1962).

Le dépôt d’une motion de censure du gouvernement nécessite la signature de 58 députés. Un contingent dont disposent plusieurs groupes d’opposition – La France insoumise (LFI), Les Républicains (LR), le Rassemblement national (RN) et la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes). Une fois déposée, la motion de censure doit être examinée dans un délai de quarante-huit heures puis soumise au vote de l’Assemblée nationale.

Pour renverser le gouvernement, il faut obtenir un vote favorable à la majorité absolue, soit 289 députés. Avec la composition actuelle de l’Assemblée nationale, cela nécessite que la quasi-totalité (88 %) des 327 députés de l’opposition s’accorde sur ce texte. Si une motion de censure constitue un revers politique majeur, elle n’oblige aucunement le chef de l’Etat à dissoudre l’Assemblée. Ce dernier peut tout à fait composer en nommant un nouveau gouvernement et négocier ou reporter certains projets de loi.