Que pèse réellement l’extrême droite en Europe ?
Lefigaro.fr a compilé les résultats de plus de 250 élections sur ces 15 dernières années. Analyse d’un phénomène électoral à l’échelle continentale.
Published in Le Figaro
La progression est claire. Depuis 2001, l’extrême droite gagne du terrain sur le Vieux Continent. Notre infographie répertorie plus de 250 élections de portée nationale en Europe sur une période de 17 ans. Au fil des années, nombre de pays se foncent (voir l’infographie ci-dessous), traduisant la progression dans les urnes de cette frange de l’échiquier politique. On note bien, localement, quelques retours en arrière, qu’ils soient le résultat d’un effondrement électoral ou de l’étiolement d’une position jadis bien tenue. On distingue également des zones hermétiques au vote d’extrême droite. Cependant, si cette hausse des résultats électoraux ne se traduit pas par une prise de pouvoir solitaire, elle n’en reste pas moins une tendance visible sur l’ensemble du continent européen. Si bien que parfois la droite traditionnelle ou certains partis dits «antisystèmes» sont tentés par des alliances gouvernementales.
Pourquoi avons-nous choisi 2001 comme marqueur d’entrée de notre carte ? Parce que nos sociétés sont toujours dans la séquence politique ouverte par l’attentat commis aux États-Unis le 11 Septembre. Les extrêmes droites également. Si la critique de l’islam et du monde musulman était déjà présente chez elles, ces attentats deviennent alors des éléments centraux du discours néopopuliste. Notre infographie couvre donc la période ouverte par cette année pivot et se poursuit jusqu’aux élections tenues ces derniers mois.
Les droites extrêmes et radicales européennes sont diverses, multiformes. Les plus folkloriques d’entre elles peuvent revêtir les oripeaux d’époques révolues. Elles sont extrêmement minoritaires. La plupart ont évolué. Elles sont les produits de leurs époques et se sont adaptées aux mutations géopolitiques. Elles ont opté pour des positions politiques qualifiées de nationales-populistes ou de néopopulistes. La volonté de créer un homme et une société nouvelle, en vogue dans la première moitié du siècle, a cédé sa place à la critique de l’État providence et la nostalgie du passé, à la lutte contre le multiculturalisme et aux revendications identitaires.
(carte interactive)
S’il n’existe pas d’internationale fasciste, il n’y a pas plus d’unicité des extrêmes droites en Europe, et surtout pas dans le temps. Il n’existe donc pas de définition unanime pour attribuer cette étiquette à un parti plutôt qu’à un autre. Quelques traits communs se dégagent tout de même tels que l’idée que la société se comporte comme un organisme vivant ou encore le souhait d’instaurer la préférence nationale. Chacune y rajoute ensuite, selon son histoire ou les réalités nationales, une demande d’ordre, de libéralisme, d’étatisme, le rejet de l’immigration et/ou du multiculturalisme. Pour expliquer le phénomène, l’article est ponctué par les décryptages du chercheur Nicolas Lebourg, spécialiste des extrêmes droites, chercheur associé au CEPEL membre de l’Observatoire des radicalités politiques. Il est l’auteur, avec Jean-Yves Camus, du livre Les Droites extrêmes en Europe, paru en 2015.
Principaux partis et listes électorales pris en compte dans cette étude.Allemagne: NPD, AFD, REP. Autriche: FPÖ, BZÖ, Team Stronach. Belgique: FN, VB, VU. Bulgarie: IMRO-BNM, IMRO-NIU, NIU, Ataka,BBT,NFSB. IMRO-BNM, Union patriotique, Patriotes unis, Renaissance, Volya. Chypre: ELAM. Croatie: HSB, HČSP, HDSSB. Danemark: DF. Espagne: AN, DN, FE, FE-JONS, MSR. Estonie: TEE, EKRE, ERL. Finlande: SVR, PS. France: FN, MNR, LdS. Grèce: XA, LAOS, EM, PG. Hongrie: JOBBIK, MIÉP. Irlande: CSP, DDI. Italie: LN, FT, FN, AN, FN, AS, MIS, Casapound, M5S. Lettonie: NA, LV, LNKK. Lituanie: LDP, JL. Luxembourg: ADR. Norvège: FrP. Malte: IE. Pays-Bas: PPV, Liste Pim Fortuyn, NR. Pologne: KNP, RN, SP, Kukiz15, Samoobrona, LPR. Portugal: PNR. République tchèque: UNK, NS. Roumanie: PRM, PRU. Royaume-Uni: Ukip, BNP, NF. Slovaquie: SNS, L’SNS. Slovénie: SNS. Suède: SD, SP, ND, NMR. Suisse: UDC.
France : le Front national atteint des records
L’histoire de l’Europe de l’Ouest face aux extrêmes droites n’est pas monolithique. Chaque pays connaît ses spécificités, est confronté à ses propres réalités. Dans certains pays, ces 17 dernières années ont vu une hausse constante de l’extrême droite.
C’est le cas en France, où la période 2001-2018 a été décisive pour le Front national (FN). Pendant ce laps de temps, le FN voit successivement Jean-Marie Le Pen se qualifier au second tour de la présidentielle, sa ligne politique redéfinie sous l’impulsion de Marine Le Pen, la succession du père à la fille à la tête du parti, et, enfin, l’accession au second tour de la présidentielle de cette dernière. Sur 17 ans, les scores du FN augmentent, malgré quelques trous d’air (notamment lorsque Nicolas Sarkozy parvient à séduire nombre de ses électeurs, ou à l’occasion de scrutins peu favorables à la formation jusqu’à une période récente, tels que les municipales ou les cantonales). Mais depuis le changement de leadership, l’éviction des éléments les plus radicaux et la mise en œuvre de la fameuse «dédiabolisation», le parti frontiste a su profiter d’une dynamique favorable et imposer nombre de ses thèmes de prédilection (immigration, souverainisme, euroscepticisme, islam) au cœur du débat français.
Marine Le Pen prend la tête du FN en 2011. Il faut attendre l’année 2015 pour qu’une rupture franche intervienne avec son père. Jean-Marie Le Pen, alors président d’honneur du parti, commet la provocation de trop aux yeux de sa fille lorsqu’il assume une nouvelle fois ses anciens propos sur les chambres à gaz et en défendant la mémoire du maréchal Pétain. Après de longues batailles médiatiques et judiciaires, celui que l’on surnomme «le menhir» se voit peu à peu couper du parti qu’il a présidé pendant 40 ans.
L’éviction du vieux leader n’offre pour autant pas une histoire plus calme au Front national. En 2017, pendant la campagne présidentielle, le Front national est au coude-à-coude dans les sondages avec le mouvement d’Emmanuel Macron, En marche!. Marine Le Pen, la candidate du parti d’extrême droite pour cette élection, arrive finalement deuxième le soir du premier tour, obtenant 21,30% des voix. À titre de comparaison, ce résultat représente 1 million de voix de plus que celui obtenu lors des élections régionales de 2015 (7.678.491 contre 6.018.904), malgré un score inférieur (27,73% aux régionales, avec un taux de participation inférieur). En 2002, Jean-Marie Le Pen avait, lui, rassemblé 4.804.713 électeurs.
Au second tour, la candidate frontiste est rejointe par le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France, 4,70%), auquel elle promet Matignon si elle est élue. Elle s’incline finalement avec 33,90% des voix face à Emmanuel Macron. Elle gagne tout de même près de 3 millions d’électeurs par rapport au premier tour.
Aux législatives, le FN réalise 13,20% des voix, soit une baisse de 0,4% par rapport à 2012 (500.000 voix de moins). Cependant, le parti passe de 2 députés à 8, dont Marine Le Pen elle-même. A la suite de ce second tour raté, notamment marqué par un débat d’entre-deux-tours mal négocié, le FN traverse une période de remise en question qui voit le départ de Florian Philippot, tenant de sa ligne souverainiste et proche de la présidente du parti.
Au cours de la période étudiée, notons la présence de deux autres formations contestant l’hégémonie du FN sur son credo politique. Le Mouvement national républicain (MNR) et la Ligue du Sud.
Le MNR est mené par Bruno Mégret après la scission du Front national à la fin des années 1990. S’il parvient peu après sa création à réaliser des scores entre 1 et 3%, il est aujourd’hui marginalisé. La Ligue du Sud est plus localisée mais récolte de meilleurs résultats. Également fondée par un dissident du FN, le cadre historique Jacques Bompard, brouillé avec Jean-Marie Le Pen, la Ligue du Sud dirige actuellement trois mairies (dont celle d’Orange) et compte un député (Marie-France Lorho).
Si Nicolas Dupont-Aignan a choisi de soutenir Marine Le Pen pour le second tour de l’élection présidentielle 2017, sa formation, Debout la France (DLF), n’est pour le moment pas considérée par les chercheurs comme faisant partie de l’extrême droite.
Minimum : municipales 2008, 1,08%, maximum 27,88%, régionales 2015.
Pays-Bas : Geert Wilders, l’héritier de Fortuy
Les résultats de l’extrême droite sont plus aléatoires aux Pays-Bas, donnant l’impression de faire des montagnes russes. Mais au bout du compte, la poussée populiste semble bien ancrée dans le paysage politique néerlandais.
Longtemps, pourtant, l’extrême droite du pays a été divisée entre de multiples formations ne réalisant que des scores marginaux dans les urnes. Le passage de la comète Pym Fortuyn lui a prouvé qu’elle pouvait faire plus que vivoter.
Minimum: européennes 2004, 2,88%, maximum: européennes 2009, 17,29%.
Homme politique au parcours atypique, Pym Fortuyn a fait de la dénonciation de l’islam et de l’opposition du peuple face aux élites les pierres angulaires de son discours. Son assassinat en 2002 par un activiste d’extrême gauche avait propulsé ses listes à un inespéré 17%. L’élan ne s’était pas maintenu, s’essoufflant dès l’année suivante.
Mais la graine était semée et la relève est aujourd’hui assurée par le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders, créé en 2006, qui assure depuis des scores dépassant régulièrement les 10%, sur des thèmes proches de ceux soutenus par Fortuyn : mesures anti-immigration, anti-union européenne et politique sociale. Le PVV a pour particularité de ne pas être un réel parti : il n’a qu’un seul adhérent, Geert Wilders. Une manière très pratique d’évacuer toute contestation interne ou éventuelle révolution de palais.
En 2010, avec 15% des voix, le PVV devient la troisième force politique du pays. Un gouvernement minoritaire, dirigé par Mark Rutte est mis en place. Le PVV n’y participe pas mais il le soutient au Parlement, s’offrant ainsi un pouvoir de pression inédit. Cette configuration dure deux ans. En 2012, l’alliance tombe, mais les élections sont un échec pour Wilders.
Pour les élections 2017, Geert Wilders fait la course en tête dans les sondages pendant des mois. Ses propositions polarisent le débat politiques : interdiction de la vente du Coran, restriction drastique de l’immigration, sortie de l’UE, fermeture des frontières. Le premier ministre de droite, Mark Rutte durcit son discours. Les résultats sont finalement un échec pour Wilders, qui ne totalise que 13,1% des voix, 2% en dessous de son score de 2010 et 4% sous celui des européennes 2009. Il devient cependant la seconde force politique au Parlement avec 20 sièges.
LE FIGARO. – Peut-on définir ce qu’est l’extrême droite ?
Nicolas LEBOURG. – L’«extrême droite» est un champ politique, avec une foule de courants. Le cœur de la vision du monde de l’extrême droite est l’organicisme, c’est-à-dire l’idée que la société fonctionne comme un être vivant. Les extrêmes droites véhiculent une conception organiciste de la communauté (que celle-ci repose sur l’ethnie, la race ou la nationalité) qu’elles affirment vouloir reconstituer de manière homogène. Elles cultivent l’utopie d’une «société fermée» propre à assurer la renaissance communautaire. Elles récusent le système politique en vigueur, dans ses institutions et dans ses valeurs. La société leur paraît en décadence et estiment que l’État aggrave la situation: elles s’investissent en conséquence d’une mission perçue comme salvatrice. Elles se constituent en contre-société et se présentent en tant qu’élite de rechange. Leur imaginaire renvoie l’Histoire et la société à de grandes figures archétypales (âge d’or, sauveur, décadence, complot, etc.) et exalte des valeurs irrationnelles non matérialistes (la jeunesse, le culte des morts, etc.). Enfin, elles rejettent l’ordre géopolitique tel qu’il est. Cette définition recouvre le champ large de l’extrême droite et donc inclut ceux qui aspirent à une reformulation autoritaire des institutions comme ceux qui souhaitent une révolution totale qui mettrait à bas l’ensemble des données héritées du libéralisme politique. Ces derniers forment «l’extrême droite radicale». Cette mouvance a émergé de la Première Guerre mondiale, et le fascisme en est le courant structurant, mais non unique. Aujourd’hui, en Europe, elle n’est guère développée que dans quelques cas, tels que les Hongrois de Jobbik ou les Grecs d’Aube dorée. En revanche, les «nationaux-populistes» et les «néo-populistes» ont le vent en poupe.
Allemagne : l’Afd en embuscade
Certains pays, que l’on a cru épargnés par cette vague finissent par être rattrapés.
C’est le cas de l’Allemagne, longtemps restée hermétique électoralement à l’extrême droite, en raison du poids de son histoire. Les score du parti néonazi, le Parti national-démocrate d’Allemagne (NDP), sont négligeables. Ses 1% réalisés aux européennes de 2014 lui ont tout de même permis d’entrer pour la première fois au Parlement européen. Ses scores en Allemagne de l’Est lui donnent des représentants locaux, notamment en Saxe et dans le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale. Deux fois, en 2003 et en 2017, la Cour constitutionnelle allemande a rejeté des demandes de dissolution le concernant. Les juges ont considéré qu’il avait bien une «parenté avec le national-socialisme» et qu’il espérait pouvoir instaurer un «État autoritaire fondé sur communauté populaire définie ethniquement». Cependant, ils ont estimé qu’il n’y avait pas lieu de l’interdire, considérant que le mouvement n’avait «pas de portée» réelle.
Hors du NPD, l’extrême droite allemande a longtemps été réduite à de petits groupes d’ultras, parfois violents : le pays a connu l’un des plus importants développements du nombre de skinheads en Europe. Le début de cette vague peut être datée : entre la chute de l’URSS et le début de la réunification allemande. Elle est notamment liée au décalage entre la richesse de l’Ouest et la pauvreté de l’Est. «Le néonazisme apparaît donc plutôt dans les régions industrielles, qui voient le déclassement et la paupérisation d’une classe populaire blanche», selon l’universitaire Stéphane François. La radicalité de certains éléments peut aller très loin, comme l’a montré la vague de meurtres perpétrés contre neuf immigrés et une policière, commis par des membres du Parti national-socialiste souterrain (NSU), entre 2000 et 2006.
Cette absence de parti d’envergure aspirant le vote contestataire peut expliquer en partie l’explosion du mouvement Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident), début 2015, qui a réuni jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de manifestants pendant plusieurs semaines. Si le mouvement en lui-même s’est essoufflé, sa dynamique se retrouve en partie prolongée au travers de l’AfD (Alternative pour l’Allemagne, créé en 2013), qui a réussi sa première poussée aux européennes de 2014, avec le score de 7%. Son programme était à l’origine centré sur des questions économiques (on l’a surnommé le «parti des professeurs»), avec notamment une position anti-euro affirmée. Il s’est radicalisé à l’occasion de la crise migratoire, sous l’impulsion de sa nouvelle figure de proue, Frauke Petry, pour mettre en avant des questions identitaires. Cette dernière est pourtant rapidement dépassée par des plus radicaux.
La campagne des élections législatives de septembre 2017 est ainsi confiée à Alice Weidel, (vivant en couple avec une femme d’origine sri-lankaise, fait notable pour un parti opposé au mariage gay et anti-immigration) et Alexandre Gauland. L’islam et l’immigration sont la cible principale de l’AfD pendant la campagne. Chose inimaginable dans le pays auparavant, Gauland, fait l’éloge des soldats du IIIe Reich. Entre ses déclaration anti-Merkel et ses dérapages, l’AfD parvient à fédérer les laissés pour compte de la croissance et les conservateurs endurcis. La formation double presque son score par rapport aux précédentes élections : 13%, qui se traduisent par près de 92 députés. Pourtant, derrière cette réussite, couve la division. Au lendemain du succès, Frauke Petry quitte le parti expliquant que la nouvelle radicalité de la ligne faisait fuir l’électorat modéré et annihilait toute possibilité d’alliance. Elle fonde le Parti bleu.
Face à la grande coalition d’Angela Merkel, l’AfD devient le plus grand parti d’opposition. Le parti d’extrême droite a obtenu la présidence de la commission parlementaire sur la justice ainsi que celle sur le tourisme. Mais siéger au Parlement n’a pas normalisé ni entraîné de modération du discours de l’Alternative pour l’Allemagne. Alexander Gauland, devenu porte-parole du parti, s’est réjouit d’y avoir «élargi le corridor du dicible».
Minimum: élections fédérales 2002, 0,30%, maximum: élections fédérales 2017, 12,6%.
Royaume-Uni : les populistes de Ukip en difficulté
Tout comme l’Allemagne, le Royaume-Uni est longtemps resté à part. Les partis extrémistes tels que le National front ou le British national party ne sont jamais parvenus à trouver une clientèle électorale comparable à celle du Front national en France, le pays ne subissant qu’une poussée de fièvre tous les 5 ans pour les élections européennes.
Les populistes de Ukip ont réussi un temps à se maintenir au-dessus de 12% aux législatives, amorce d’un éventuel changement. Les membres de Ukip se considèrent comme des vrais libéraux. Ils estiment ainsi que Marine Le Pen adopte des positions socialistes sur la question économique. Eux veulent réduire les le budget et les responsabilités de l’État. Sur les questions sociétales les deux formations sont en revanche plus proches, dénonçant l’immigration, jugée responsable de nombreux maux et souhaitant appliquer la tolérance zéro en matière de délinquance. Ukip a milité activement pour en faveur du Brexit. Nigel Farage, le leader historique de Ukip, a cependant abandonné son poste de président peu après le vote en faveur de la sortie de l’Union européenne.
Depuis, le parti est en chute libre et a dû changer de leader quatre fois en deux ans. Le dernier président, Henry Bolton, a été mis en difficulté par des propos racistes tenus par son ancienne compagne dans des SMS.
Minimum: législatives 2001, 1,70%, maximum: européennes 2014, 27,69%.
Italie : terre d’expérimentations
Ces dernières années, l’Italie a été le berceau de deux mouvements originaux. Dans le Nord du pays s’est développé une tentative de régionalisme inédite avec la création de Ligue du Nord. Cette dernière fondait son discours sur l’essor de la Padanie, une entité imaginaire regroupant le Nord du pays. La Ligue du Nord a adopté la chemise verte comme uniforme, jouant ici avec le côté sulfureux de ce code vestimentaire. Au fil du temps, la ligne politique a eu tendance à se nationaliser et les critiques à se concentrer sur l’immigration.
LE FIGARO. - Nombre de mouvements en Europe sont qualifiés par les scientifiques de «nationaux-populistes». Que recouvre cette catégorie politique ?
Nicolas LEBOURG. - Le national-populisme naît dans la France de l’après-défaite de 1870. Il conçoit l’évolution politique comme une décadence dont seul le peuple, sain, peut extraire la nation. Privilégiant le rapport direct entre le sauveur et le peuple, par-delà les clivages et les institutions parasites, le national-populisme se réclame de la défense du petit peuple, du « Français moyen » de « bon sens », face à la trahison d’élites fatalement corrompues. Il joint des valeurs sociales de gauche et des valeurs politiques de droite (comme l’ordre ou l’autorité). Quoiqu’il recoure une esthétique verbale socialisante, son souhait d’union de tous, après l’exclusion de l’infime couche de profiteurs, signifie une rupture totale avec l’idéologie de lutte des classes. Débarrassées des parasites, les masses deviennent le peuple uni, lié à son chef dans le cadre d’une «république référendaire». C’est devenu un phénomène d’ampleur européenne, avec la formation d’un certain nombre de partis durant la décennie 1970. Cette dynamique reposait sur trois dimensions : le rejet par les électeurs du tout-État et de la fiscalité jugée «confiscatoire», la montée de la xénophobie, et, enfin, la fin de la prospérité et de l’occidentalisation du monde après le choc pétrolier de 1973. On peut citer au Danemark le Fremskridtspartiet (Parti du Progrès) et en Norvège le Parti d’Anders Lange (qui deviendra également le Parti du Progès). Plus près de nous, le Front national, le FPÖ autrichien et le flamand Vlaams Belang sont des partis nationaux-populistes.
Le leader historique de la Ligue du Nord, aujourd’hui retiré, Umberto Bossi, en 2010. Il brandit un fiole remplie à la source du Pô, fleuve qui traverse la «Padanie» et sensé représenter son unité.
Depuis quelques années, c’est cependant face à un phénomène nouveau que se trouve confronté l’Italie avec l’émergence du Mouvement 5 étoiles. Difficilement définissable, certaines déclarations de ses dirigeants tendent à le classer dans le camp des néopopulistes. Ses positions sur l’immigration sont très proches de l’extrême droite. D’autres mesures sont en revanche orientées à gauche, comme l’augmentation du salaire minimum ou l’instauration d’un revenu citoyen. Il faut ajouter à cela des propositions très diverses telles que la demande de sortie de l’euro, la mise en place de mesures anti-corruption, d’aide aux PME, le tout énoncé avec un populisme assumé et en prônant une forme de démocratie directe.
Le Mouvement 5 étoiles a remporté 25% des suffrages aux législatives en 2013 (109 députés sur 630). Il réalise 21% aux élections européennes l’année suivante. En 2015, son score est de 15% aux élections régionales. En 2016, le parti réussit une nouvelle fois à marquer les esprits en remportant les mairies de Rome (avec Virginia Raggi, 38 ans) et de Turin (avec Chiara Appendino, 33 ans). Mais la mauvaise gestion municipale de la capitale italienne et les soupçons de corruption qui pèsent sur l’équipe de Virginia Raggi entachent l’image du M5S. Beppe Grillo se met en retrait du parti, tout en ne s’en éloignant pas trop : il met en place un directoire de 5 personnes pour le remplacer. En juin 2017, des municipales partielles sont un échec pour le M5S. En septembre, Luigi Di Maio, 31 ans, est élu comme leader pour remplacer Grillo. Un choix qui pose question sur le moment, notamment à cause de son profil: sans réelle expérience professionnelle, il est perçu par beaucoup comme un conservateur.
Dans le même temps, les choses changent à la Ligue du Nord. Le vieux leader, Umberto Bossi, empêtré dans un scandale de corruption, est remplacé en 2013 par Matteo Salvini. La référence géographique est peu à peu abandonnée au profit d’un discours englobant l’Italie entière. La transformation est entérinée par un changement de nom. «La Ligue du Nord» devient «la Ligue» en 2018. Salvini calque sa stratégie sur celle du Front national français, axant son discours à l’encontre de l’immigration ou critiquant la monnaie européenne. L’option s’avère payante. La Ligue, qui n’avait obtenu que 4% des suffrages lors des dernières législatives de 2013, a plus que quadruplé ce chiffre à environ 18% en 2018. La formation devance même son allié, Forza Italia de Silvio Berlusconi, qui n’obtient que 14%. Salvini revendique donc la direction de la coalition et du gouvernement.
Le M5S n’est pas en reste, puisqu’il devient le premier parti du pays avec un score de 32,6%, un bon de 7 points par rapport à 2013. Fort de ce résultat, Luigi Di Maio revendique également la responsabilité de former le gouvernement.
Les deux formations s’entendent pour essayer de former un gouvernement commun. Un exercice périlleux puisqu’il s’agit d’associer un programme conçu pour plaire aux petits patrons du nord avec un autre destiné aux déclassés du sud. Le contrat de gouvernement essaye de contenter les deux en baissant et simplifiant l’impôt des particuliers et des entreprises (mesure demandée par la Ligue) tout en prévoyant l’instauration d’un revenu citoyen de 780 euros par mois (mesure du M5S). Autre mesure sociale : l’âge de départ à la retraite doit être abaissé. Économiquement, M5S et Ligue prévoient de pratiquer une politique de relance. Institutionnellement, ils souhaitent baisser drastiquement le nombre de parlementaires. Sur le plan international, le contrat prévoit de redéfinir les règles de fonctionnement européennes et de se rapprocher de la Russie tout en restant au sein de l’Otan.
Luigi Di Maio et Matteo Salvini, ne parvenant pas à résoudre leur querelle d’égaux sur le poste de président du Conseil, choisissent finalement de désigner Giuseppe Conte, un économiste peu connu du grand public. Le gouvernement qu’il propose est recalé une première fois par le président de la République à cause du ministre des Finances, tenant d’une position anti-euro. Huit jour plus tard, Conte propose un second gouvernement, qui est cette fois accepté. Matteo Salvini et Luigi Di Maio deviennent respectivement ministre de l’Intérieur et ministre du développement économique.
Grèce : l’Aube dorée est-elle amenée à durer ?
En Grèce, l’extrême droite est sans doute l’une de celles qui a fait le plus parler d’elle ces dernières années en Europe. Pourtant tombée en désuétude quelques années après la chute du régime des colonels, elle est remontée en flèche au cours des années 2000. Au début grâce au LAOS (Alerte populaire orthodoxe), qui finit par entrer au gouvernement en 2011 dans une improbable alliance avec la gauche et obtient un ministre et trois vice-ministres. Lesquels ont un certain pedigree puisque le ministre des Transports, avait été membre d’un parti néonazi et que le vice-ministre de l’Agriculture était un collaborateur du régime des colonels. Outre leur positions nationalistes, les membres du LAOS se distinguent alors par des prises de position parfois fantaisistes, comme la volonté que tout le monde se mette à parler le grec ancien. Ils prônent par ailleurs la défense de la religion orthodoxe. Économiquement, ils sont partisans de l’austérité. Cette participation gouvernementale balaiera les positions du LAOS, qui perd ses députés nationaux et européens au cours des années suivantes.
Les membres de l’Aube dorée célèbrent la bataille des Thermopyles, en 480 avant JC, lors de laquelle quelques centaines de guerriers spartiates ont défié une armée perse bien supérieure en nombre. Cet événement historique est devenu un symbole pour l’extrême droite, au-delà même de la Grèce. (Illustre une page web pas reproductible, ou j’en ai pas la compétence..)
Cette disparition permet l’émergence de l’Aube dorée (XA), formation d’inspiration néonazie devenue en quelques scrutins le troisième parti politique du pays. Le parti frappe les consciences tant il rappelle les années 1930 dans son décorum. Au niveau de son programme également. Son but ultime est de former une nouvelle société peuplée d’hommes nouveaux. Pour cela, il prône le recours à la démocratie directe, la planification de l’économie au service de l’État. Il rejette violemment toute forme d’immigration estimant que la société est formée de personnes ayant «le même héritage biologique et spirituel».
L’Aube dorée est parvenue à maintenir ses scores depuis 2012, même si le nombre de voix qu’elle réunit tend à diminuer à chaque scrutin. En 2014, le parti subit un revers important après l’arrestation de 69 de ses membres dont les députés nationaux et son leader Nikos Michaloliakos, jugés pour appartenance à une organisation criminelle.
Minimum: législatives 2007, 3,80%, maximum: européennes 2014, 13,27%.
Chypre : une formation sœur de l’Aube dorée
À Chypre, c’est une formation sœur de l’Aube dorée grecque qui a fait son apparition en 2008. Son président, Christos Christou s’affiche régulièrement avec le parti néo-nazi et des membres de l’Elam célèbrent dans la rue les victoires de l’Aube dorée.
En 2016, avec un score de 3,7% seulement, le parti décroche deux députés au Parlement. Lors de l’élection présidentielle 2018, le score de la formation est en hausse. Près de 5,7% des suffrages se portent sur le nom de Christos Christou.
La suite à la prochaine publication sur le codex où nous remonterons du coté de l’Europe du Nord.