LE LEURRE DU « COUT » DE L’IMMIGRATION

Le FN a réussi à imposer un débat sur le « coût de l’immigration ». Marine Le Pen avance le chiffre de 70 milliards, la fourchette parmi ses proches va de 30 à 85 milliards.

Pour s’y opposer on cite souvent l’étude de Chojnicki, Université de Lille, parue en 2010, qui aboutissait à un « bénéfice » de 12 milliards pour 2005.

D’où vient la différence ? Peut-on leur clore le bec avec cette bonne nouvelle : l‘immigration nous fait gagner de l’argent ?

* Les comptes de l’extrême-droite.

La différence n’est pas tant due aux montants eux-mêmes qu’à ce qu’on met dans le coût.

Dans différentes études l’extrême-droite impute aux immigrés tout un catalogue de coûts qui inclut : -l’insécurité – une fraude sociale prétendument plus importante que celle des français – la charge des enfants de 2ème génération mais sans tenir compte des cotisations versées par les mêmes à l’âge adulte – des dépenses découlant des difficultés de l’intégration (12 milliards) – l’immigration irrégulière – la prostitution (1,4 Mds) – la contrefaçon (2,2 Mds) – l’aide publique au développement – la charge de la dette publique dont l’immigration serait partiellement la cause (50% des intérêts tout de même !) – et la surreprésentation des immigrés pour certains risques de la protection sociale : RMI puis RSA, chômage, logement, famille.

Chacun(e) verra facilement les objections que l’on peut faire ; ce sont autant d’arguments pour décrédibiliser leurs évaluations.

L’essentiel n’est pas tant dans les montants, souvent impossibles à chiffrer sérieusement, que dans les conceptions sur l’immigration dans notre société : c’est cela qu’il faut mettre au débat.

* Et si les immigrés « coûtaient » ?

Point sensible : davantage de recours aux aides sociales. Chojnicki : « les populations immigrées africaines dans leur ensemble apparaissent davantage bénéficiaires de la protection sociale à l’exception des postes retraites et santé… », particulièrement dans les aides accordées à la famille. « La caractéristique essentielle qui marque la différence entre les populations autochtones et immigrées tient dans les disparités notoires dans les taux de dépendance aux aides liées à la situation sur le marché du travail et au niveau du revenu ».(1)

Que dire à des jeunes comme celles de Pamiers, qui mettaient en cause ces aides sociales aux immigrés au vu de leur propre situation, de leur galère ? Trouver d’autres chiffres qui compenseraient ceux-là ? opposer un avantage global (les 12 milliards) ? Ou plutôt dire :

  • que nous sommes pour l’égalité des droits entre tou(te)s les travailleur(euse)s et toutes les familles et que donc, si les immigrés touchent plus du fait de leur situation (famille, emploi, salaires) c’est normal ;
  • qu’il y aurait d’autres répartitions des richesses possibles, non pas entre français et étrangers mais entre les classes sociales ;
  • que si nous sommes unis nous pouvons être plus forts pour imposer nos intérêts communs ;
  • que c’est cette société et les gens qui la dirigent qui sont responsables de nos problèmes d’emploi, de statut, de revenu, de logement…

 

Ce n’est pas une bataille de chiffres mais d’idées, il faut répondre sur nos valeurs.

* Quelle importance peut-on accorder aux études ?

On se précipite volontiers sur les données qui confortent nos positions : 12 milliards de solde positif, quelle aubaine pour contrer l’extrême-droite ! Mais Chojnicki revient sur l’étude dans un livre paru en 2012 (2) et là le solde est de +3,9 milliards. Il aboutit donc à la conclusion que l’immigration a des effets globalement positifs sur les finances de la protection sociale (grâce à la structure par âge : plus de jeunes) mais il précise : «Quelle que soit l’année retenue, l’impact financier de l’immigration est toujours relativement neutre. Parfois un peu positif, parfois un peu négatif, mais toujours autour de l’équilibre ».

Une étude de l’OCDE conclut que l’immigration a un léger coût pour la France (-10 milliards soit environ 0,5% du PIB), l’Allemagne et la Grande Bretagne et qu’elle est plus ou moins bénéficiaire pour les autres pays (surtout le Luxembourg et la Suisse) (3). Dans tous les cas l’impact global sur les finances est limité.

Au total il est certain que les chiffres du FN sont gonflés outrageusement, mais il n’y a  pas de « bénéfice » ou de « coût » de l’immigration très significatif.

* Ne pas partir d’un point de vue national(iste)

L’immigration a un pendant : l’émigration. Peut-on séparer les 2 dans une évaluation des mouvements de population ? Sur quels critères ?

Calculer le coût des immigrés c’est les considérer comme des habitants à part, suspectés d’être une charge qu’il faut réduire. Ne pas prendre en compte les coûts, économiques et humains, pour les régions d’origine, ni les causes liées à l’histoire coloniale et au développement inégal, c’est se contenter du « bénéfice » que « nous » tirerions de l’immigration, quel qu’en soit le bilan global. D’autant plus que c’est une petite partie des mouvements migratoires qui se font du sud vers le nord, la plus grande demeure dans les pays du sud.

Si on ne rejette pas les critères de nationalité et de frontière, c’est au moins une porte ouverte à une pensée xénophobe, nationaliste dans laquelle certains s’engouffrent.

Que le solde soit positif ou négatif, le « coût de l’immigration » est un terrain pourri, imposé par le FN et ce n’est pas le problème pour nous. Dans ce débat, qui de toute façon existe, on doit déconsidérer les évaluations de l’extrême-droite, mais surtout rester sur le terrain de nos valeurs d’unité et de solidarité.

(1) http://droit.univ-lille2.fr/uploads/media/Rapport_Drees_EQUIPPE_V3_02.pdf page 3

et : Protection sociale et immigration: les chiffres contre les clichés
http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/protection-sociale-et-immigration-les-chiffres-contre-les-cliches_1444451.html

Les immigrés non communautaires recourent plus fréquemment que les natifs aux aides au logement (34 %, au lieu de 13,7 %), aux allocations familiales (35 %, au lieu de 24,3 %) et à l’assurance chômage (19 %, au lieu de 11,7 %). Mais, a contrario, ils perçoivent moins de prestations liées à la santé ou à la retraite.

(2) Xavier Chojnicki Lionel Ragot, On entend dire que l’immigration coûte cher à la France. Qu’en pensent les économistes ?, Eyrolles-Les Echos éd

(3) Une analyse partagée par l’OCDE : elle a constaté que l’impact fiscal de l’immigration au sein de ses pays membres n’est que très rarement supérieur à 2% du PIB. Car même si les ménages immigrés touchent plus d’avantages sociaux que ceux nés dans le pays, leur «structure par âge [est] plus favorable» : en clair, les immigrés sont davantage concentrés dans la tranche d’âge 25-54 ans que les autochtones, donc ils cotisent plus et ont, par exemple, moins de dépenses de santé que la moyenne. Et si la France a, selon l’OCDE, un impact de – 0,52% du PIB (environ 10 milliards d’euros), c’est parce que ce constat y est moins vrai : l’immigration y est plus ancienne, ce qui creuse les dépenses de retraites.

http://www.liberation.fr/politiques/2013/10/28/le-cout-dur-de-marine-le-pen-sur-l-immigration_942952