Violences syndicales : pourquoi le Front national ménage la CGT
> L’Opinion, Charles Sapin | 31 Mai 2016
> Pour Marine Le Pen, le gouvernement porte « l’entière responsabilité de la situation d’exaspération que connaît la France ».
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L’organisation syndicale et le parti politique partagent la même détermination pour le retrait de la loi El Khomri. Mais pour ce qui est de la méthode à employer, le Front national refuse de se positionner de peur de se mettre à dos une partie de son électorat.
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Le FN et la CGT, bonnet blanc et blanc bonnet ? La proximité entre les deux organisations n’est en tout cas plus à démontrer. En témoigne la difficulté qu’éprouve le parti frontiste à se positionner vis-à-vis de l’opposition musclée de la centrale syndicale à la loi El Khomri. Condamner ou ne pas condamner les blocages ? Le FN expérimente la complexité d’être à la fois un parti pour l’autorité et l’ordre et le premier parti contestataire de France. Grand écart garanti.
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Interrogé lundi matin sur BFM, Florian Philippot a démontré les risques de l’exercice pour les adducteurs. À la question de savoir si, dans le cas où il serait salarié d’une raffinerie, il participerait ou non au mouvement de grève, le vice-président du FN s’est fendu d’une non-réponse pour le moins confuse. « Je condamne le gouvernement, je ne condamne pas une action syndicale », a déclaré Florian Philippot, s’empressant d’ajouter qu’il n’entretenait « aucune affinité » avec la CGT pour autant.
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Positionnement complexe. Une hésitation lourde de sens, qui résume à elle seule la complexité de séduire, à discours unique, un électorat hétérogène. S’il est de loin le plus déterminé pour un retrait du projet de loi Travail, les moyens pour y parvenir n’emportent pas le même consensus. Selon un sondage Elabe, 79 % des sympathisants frontistes militent pour un retrait pur et simple du texte, contre 65 % des sympathisants de gauche et 54 % de ceux de la droite et du centre. Ils sont en revanche 74 % à redouter un blocage du pays selon un sondage Odoxa pour le Parisien.
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« Le FN a profondément évolué ; en 1986 le parti était très antisyndical. Ce n’est plus le cas à présent, décrypte l’universitaire Thierry Choffat, spécialiste du syndicalisme et de l’extrême droite. La CGT et le FN sont désormais très proches sur le fond. Dans le domaine social, c’est une évidence. Il paraît difficile pour ce parti de se couper du gros de ces bataillons potentiels à un an de la présidentielle. » Maire FN d’Hayange (Moselle), lui-même issu des rangs de la centrale syndicale, Fabien Engelmann confirme cette évolution : « La CGT critique la mondialisation et critique la politique libérale de cette pseudo-gauche de gouvernement, tandis que le FN se bat quotidiennement contre l’ultralibéralisme et la mondialisation. Ce n’est pas un hasard si beaucoup de syndiqués de la CGT votent FN ».
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Sauf qu’à côté de ces « bataillons » directement issus de la gauche de la gauche, subsiste une frange de l’électorat plus traditionnelle, goûtant peu aux troubles de l’ordre public imputables aux syndicats. « La difficulté de l’équation est que le FN ne peut raisonnablement aller plus loin, analyse Thierry Choffat. Pour une partie de ses militants, la CGT est assimilée au parti communiste, donc presque au diable. »
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Situation d’exaspération. Dans un billet de blog intitulé « La France exaspérée » – ou la CGT n’est pas citée une seule fois – Marine Le Pen se garde de trancher. La présidente fustige « certains représentants syndicalistes, qui ne représentent qu’eux-mêmes et qui sont toujours aux abonnés absents quand il s’agit de combattre les vrais problèmes », mais c’est bien le gouvernement qui porte selon elle « l’entière responsabilité de la situation d’exaspération que connaît la France. »
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Un discours sensiblement différent à celui tenu par la jeune députée du Vaucluse, héritière d’une ligne plus conservatrice, Marion Maréchal Le Pen. Dans un communiqué daté du 26 mai, la conseillère de la région PACA blâme « les agissements d’une CGT sectaire et ultra-minoritaire […] pour qui le droit de grève équivaut à bafouer les droits des Français à se déplacer et à travailler. » Un double discours ? « Absolument pas ! défend le maire d’Hayange. Il peut y avoir des éléments qui sont différents entre Marion Maréchal et Florian Philippot mais sur le fond, on est sur la même ligne. »
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Reste que parmi les anciens compagnons de route du Front national, la contradiction passe difficilement. Lorrain de Saint Affrique, ancien proche de Jean-Marie Le Pen avec qui il s’est récemment réconcilié, tacle : « Il y a clairement deux lignes. A force de ne pas avoir de vision claire, notamment économique, le FN risque de ne séduire personne. Je ne vois pas comment ils peuvent mener une campagne présidentielle dans ces conditions. » Il reste moins d’un an pour trancher.
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