Front national : en recherche d’alliances ?
le 22 décembre 2015, par Bertold du Ryon
Du blog « Tant qu’il le faudra » de la commission antifasciste du NPA
Beaucoup d’observateurs et observatrices ont été soulagé-e-s de voir le Front national (FN) buter, dimanche 13 décembre 2015, encore une fois sur l’obstacle du second tour. Autant de gens se sont montrés peu rassurés, au même moment, du nouveau niveau record atteint par le FN. 6,82 millions de voix obtenues au second tour, un peu moins de 28 pour cent… Le pire est ici, cependant : 43 % des ouvriers et ouvrières ayant participé au vote auraient voté FN, selon l’institut de sondage Ipsos ; chez l’institut de sondage du très droitier Patrick Buisson (ex-rédacteur en chef de Minute, ex-conseiller du président Nicolas Sarkozy), OpinionWay, ce serait 54 %. L’abstention dans ce groupe social atteindrait 51 % si on veut suivre OpinionWay, mais 61 % selon Ipsos.
Mais au FN aussi, on se pose des questions, en ce moment. Elles tournent surtout autour du sempiternel problème du « verrou » du second tour. En effet, si le FN a montré, au plus tard en 2002, qu’il est capable de marquer des coups importants au premier tour d’une élection – qui en compte deux comme les présidentielles, législatives, régionales… -, il a rarement réussi à s’imposer au second tour. Jean-Marie Le Pen marginalisé au second tour du scrutin présidentiel contre Jacques Chirac en 2002, le FN ne gagnant aucun département – contrairement aux pronostics – aux élections départementales de mars 2015, ni aucune région en décembre 2015, là aussi contrairement aux attentes initiales (même si les sondages s’étaient nettement retournés en sa défaveur au cours de la semaine qui suivait le le premier tour). Seuls contre-exemples dans des scrutins à deux tours, le FN a réussi à faire élire deux députéEs à l’Assemblée nationale en juin 2012, et onze maires lors des municipales de mars 2014 auxquels il fallait ajouter quatre autres maires d’extrême droite (Ligue du Sud).
Le problème stratégique du FN vient de son absence de forces alliées sur l’échiquier politique. Lorsqu’il faut obtenir la majorité absolue (dans les situations hors triangulaires donc), la barrière est ainsi placée très haut, pour lui. Il existe des régions en Europe qui sont gouvernées par des partis d’extrême droite : la Carinthie hier, le Burgenland aujourd’hui en Autriche, ou la Lombardie et la Vénétie en Italie. Or, les forces en question, respectivement le FPOe et la Ligue du Nord, ont obtenu des majorités relatives, mais jamais une majorité de 50 % et plus à eux tout seuls. Même le parti nazi allemand, dans un contexte de crise autrement plus exacerbé comme celui d’aujourd’hui, n’a d’ailleurs jamais franchi ce seuil des 50 % dans un scrutin libre (ni à l’échelle nationale ni à celui d’une grande région allemande, bien qu’il ait obtenu une majorité absolue dans une mini-région de l’époque, Oldenbourg, en mai 1932).
Pour échapper à cette difficulté qui semble lui barrer la route qui mène aux positions de pouvoir institutionnelles, le parti d’extrême droite pourrait miser sur différentes options. Jean-Marie Le Pen avait misé, pendant ses quinze dernières années à la tête du FN, sur l’arrivée d’une situation de crise tellement aigüe que le peuple l’appellerait au titre d’ « homme providentiel ». Cette stratégie, qui allait de pair avec le refus de toute stratégie d’alliance ou tentative de peser sur la droite (d’où la crise avec Bruno Mégret en 1998/99), n’a pas fait ses preuves jusqu’à la fin de son règne sans partage sur le FN.
Afin de lancer une nouvelle offensive de charme vis-à-vis d’alliés potentiels, Florian Philippot (numéro 2) a déclaré, au soir du FN, qu’il tendait la main vers le souverainiste de droite Nicolas Dupont-Aignan, dont les listes avaient obtenu un peu moins de 4 % au premier tour. Or, plusieurs problèmes se posent. D’abord, le chef de « Debout La République », qui est un nationaliste de droite mais se revendique d’un héritage gaulliste plutôt que fasciste, a refusé la « main tendue ». Il ne fait aucun doute, en tout cas, qu’il ne souhaite aucun partenariat exclusif avec le FN. Par ailleurs, même s’il souhaitait une alliance, son poids serait insuffisant pour permettre un saut qualitatif au FN.
Une solution ne pourrait venir que d’une partie substantielle de la droite UMP/LR. Une fraction de celle-ci s’est idéologiquement rapproché du FN, et le propos de Nicolas Sarkozy entre les deux tours des régionales (« Il n’est pas immoral de voter FN ») tend à banaliser ce dernier encore plus. Or, en même temps, l’appareil du parti LR souhaite récupérer des électeurs partis au FN ou tentés de franchir le pas, mais ne souhaite pas s’allier à la direction du parti lepéniste. Un obstacle important résiderait, d’ailleurs, dans des discours économiques antinomiques – étatiste et démagogique pour le FN (avec quelques rectifications libérales depuis le début de l’été 2015), libéral assumé pour LR. Sauf si le FN acceptait de renoncer à sa démagogie sociale tournée vers les classes populaires, et sauf en cas de nouveaux sauts dans la crise, il semble difficile de jeter un pont entre les deux. Une telle alliance devrait d’ailleurs aussi être acceptée par les fractions dominantes du capital qui sont plutôt hostiles au « protectionnisme » mis en avant par le FN. Marion Maréchal-Le Pen paraît accepter un tel aggiornamento en matière economique, en vue de permettre une alliance à droite. Sa tante Marine, nettement moins. Au soir du 10 décembre à Paris, elle a déclaré que le seul vrai clivage politique opposait « mondialistes » (LR sarkozyste et PS de Valls compris) et nationalistes. Un discours déjà tenu à l’identique, en 1995, par Jean-Marie Le Pen et Samuel Maréchal, alors chef du FNJ et père de Marion Maréchal-Le Pen.