Le FN cible les séniors

ANALYSE

Front national : vieux nous en gardent

Par Dominique Albertini — 20 octobre 2016, Libération

 

Même si la dédiabolisation opérée par Marine Le Pen a produit quelques effets, le FN peine toujours à séduire les seniors, effrayés par l’aspect «antisystème» de son programme.

 Front national : vieux nous en gardent

Encore boudé par une grande partie d l’électorat senior, le Front national tente de corriger le tir à six mois de l’élection présidentielle.«Bien vieillir, un enjeu majeur au XXIe siècle.» Ainsi s’intitulait le colloque organisé par le parti d’extrême droite jeudi à Paris. Une réunion lors de laquelle a aussi été lancé un collectif consacré au troisième âge.«L’idée est de travailler sur des thématiques comme l’isolement, les petites retraites, vieillir en bonne santé, explique Florian Philippot, vice-président du FN. Il s’agira en outre d’un collectif de terrain, qui ira voir les seniors.»

«Conquête»

Ce sera la douzième structure thématique de ce genre, rattachée comme les autres au Rassemblement bleu Marin (RBM). Des banlieues à la santé en passant par l’écologie, l’éducation et le bien-être animal, ces collectifs traitent des sujets les plus divers. Sans avoir tous le même degré d’activité ou de structuration, ils permettent cependant au FN d’afficher son intérêt pour d’autres thématiques que le traditionnel couple sécurité-immigration. Chaque lancement est en outre l’occasion d’une intense campagne de storytelling, dans laquelle le Front national se déclare prêt à «partir à la conquête» de l’électorat concerné (monde de la culture, usagers de la santé ou encore amis des bêtes). Concernant les seniors, l’expression est plus que jamais de mise. Car si le FN se targue régulièrement de son audience parmi les jeunes (du moins parmi la petite partie d’entre eux qui se rend aux urnes), il est loin de rencontrer le même succès auprès de leurs grands-parents. Un électorat pourtant stratégique : selon l’Insee, les 60 ans et plus représentent près d’un quart de la population française, contre seulement 11,6 % pour les 20-30 ans. Les seniors sont également la classe d’âge qui, en proportion, participe le plus au vote. Et celle qui, aujourd’hui encore, se tourne le moins volontiers vers le Front national, comme le confirment les sondages sur la présidentielle de 2017, mais surtout les dernières élections en date.

Ainsi, selon Ipsos, 86 % de 60 ans et plus ont voté lors du premier tour de la présidentielle de 2012 (participation supérieure de 13 points à celle des 18-24 ans). Mais seul 13 % des aînés ont alors opté pour le bulletin frontiste : le plus faible résultat de toutes les catégories d’âge. Même donne lors des régionales de 2015 : deux tiers des 60 ans et plus ont alors pris part au vote, contre un gros tiers des 18-24 ans. Mais 20 % à peine de ces seniors se sont tournés vers le Front national, alors que le parti obtenait 27,2 % des voix sur l’ensemble des votants. Au second tour, cette aversion pour le FN contribuera à sa défaite dans toutes les régions où il était engagé. «Même si on a progressé chez eux, la caricature de notre programme a bien fonctionné vis-à-vis des seniors», se lamente un proche de Marion Maréchal-Le Pen, battue au second tour en région Paca.

«Redistribution»

«Par rapport à l’époque de son père, Marine Le Pen a réussi à réduire le différentiel de vote FN entre hommes et femmes, alors qu’il était considérable, analyse Jérôme Fourquet, directeur du département « opinion » de l’Ifop.  Mais le vote des seniors reste un verrou pour le FN. Il s’agit d’individus socialisés, pour beaucoup, avant l’émergence électorale de ce parti, et qui peuvent rester fidèles à des anciennes habitudes. Même si les ouvriers retraités votent plus pour le FN que leurs patrons retraités. C’est aussi une population qui se caractérise par son aversion au risque, notamment économique, s’agissant d’une sortie de l’euro. Elle dépend de la redistribution pour son train de vie, et elle a souvent pu constituer un petit capital qu’elle veut préserver et pouvoir transmettre à ses enfants. Enfin, les seniors sont globalement attachés à l’idée européenne. A tous ces égards, le vote FN et la promesse de « renverser la table » représentent un sacré pari.» A l’opposé de ce conservatisme, un jeune élu régional FN vantait récemment la dimension«révolutionnaire» du vote frontiste : «On veut changer tout le système !»

Du côté de la direction du Front national, la problématique est identifiée :«On a un problème avec les personnes âgées, reconnaît Florian Philippot. Elles fournissent le gros des troupes qui, au second tour, se mobilisent contre nous de bonne foi. Nous étions déjà sous-performants sur cette catégorie dans les années 80-90. Ce sont des personnes qui pensent que nous préparons une société conflictuelle. Quand Manuel Valls parle d’un risque de guerre civile à notre sujet, il sait très bien ce qu’il fait.»

Inutile de chercher plus loin l’origine d’un des slogans frontistes,«la France apaisée», en usage ces derniers mois avant d’être remplacé par un plus stimulant «la Voix du peuple». Pour Marine Le Pen, la route vers le pouvoir passera par le vote des seniors, ou s’y arrêtera net.

Dominique Albertini