Le triste cirque identitaire de «Valeurs actuelles» sur l’Europe
Par Lucie Delaporte
Le débat sur l’Europe organisé par Valeurs actuelles et les Éveilleurs d’espérance au Cirque d’hiver a été marqué par les saillies identitaires des intervenants et l’évacuation violente des militantes féministes de La Barbe sous les applaudissements du public.
Dans les rues adjacentes au Cirque d’hiver (Paris XIIe), la file d’attente s’étend sur plusieurs centaines de mètres. Une foule BCBG prête à débourser 30 euros pour entendre dialoguer, ce jeudi 25 avril, le ministre de l’économie Bruno Le Maire et le polémiste Éric Zemmour, la tête de liste LR François-Xavier Bellamy avec l’essayiste Jacques Attali ou encore les écrivains Michel Houellebecq et Benoît Duteurtre.
Des débats consacrés à l’Europe et organisés par les Éveilleurs d’espérance, une association versaillaise désireuse de « réveiller la droite endormie » ainsi que le très conservateur hebdomadaire Valeurs actuelles.. A l’intérieur, pour faire patienter le public, alors qu’entrent au compte-gouttes quelque 1 500 personnes, un clip des Éveilleurs d’espérance donne le ton. Il met en scène les principales figures de la galaxie d’union des droites, de Jean-Frédéric Poisson (PCD) à Philippe de Villiers, avec, en majesté, Marion Maréchal qui lance un message d’espoir au public choisi, car « l’Histoire est faite par des minorités agissantes ».
Son ancien directeur de cabinet Pierre Nicolas lance la soirée qu’il veut placer sous le signe du « débat d’idées », « avec des gens qui ne pensent pas comme nous », renchérit la journaliste de Valeurs actuelles Charlotte d’Ornellas, égérie de la fachosphère.
Un pluralisme qui s’arrête manifestement aux militantes féministes de La Barbe, violemment évacuées lors de leur action pour protester contre la composition exclusivement masculine du plateau.
Aux environs de 22 heures en effet, alors que devait débuter le face à face entre Bruno Le Maire et Éric Zemmour, Alice Coffin, membre du collectif La Barbe, s’élance sur la scène du Cirque d’hiver affublée d’un postiche pour lire un texte dénonçant cette affiche 100 % masculine. Elle n’a pas le temps de prendre la parole qu’elle est brutalement plaquée au sol et traînée vers les coulisses.
Une autre militante du collectif, Blandine, sera elle aussi jetée à terre et se retrouve le nez en sang. « Un gars de la sécurité m’a fait voler et je suis tombée à deux mètres de Bruno Le Maire », raconte-t-elle à Mediapart. Le ministre, qui affirmera plus tard qu’il serait bon qu’il y ait des femmes dans un tel débat, reste alors de marbre.
Dans la salle, le public qui a hué l’intervention des militantes – on entend notamment « Dehors les gauchistes ! », « Dehors les crasseux ! » – applaudit à tout rompre l’évacuation musclée. Malaise.
- On avait déjà fait une action devant des militaires où l’on s’était fait violemment sortir, mais là c’était puissance dix ! », assure Alice Coffin par ailleurs sidérée d’avoir vu le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles Geoffroy Lejeune prêter main-forte au service d’ordre pour l’évacuer. « J’étais à terre. Ils étaient quatre sur moi et il s’est mis à m’attraper la jambe », précise-t-elle.
Une participation que reconnaît d’ailleurs le journaliste proche de Marion Maréchal qui décrit de son côté à Mediapart avoir vécu, comme organisateur, «un moment de panique alors qu’un ministre est sur scène ». Elle se débattait en hurlant. Je n’ai pas réfléchi, j’ai tiré sur sa chaussure et aidé à l’évacuer », admet-il. « Elle était quand même un peu hystérique et je n’ai pas vu que c’était une fille : elle était en jean et tout… » croit-il bon d’ajouter.
Quant à la militante blessée, « elle s’est pété la gueule toute seule », poursuit Geoffroy Lejeune, la personne du service d’ordre qui se jette sur elle, ayant simplement « accompagné son mouvement ».
Sur le fond, aucun regret de la part du directeur de Valeurs actuelles sur la manière dont les événements se sont déroulés. « Je n’ai pas envie de m’excuser. Ce n’était pas une évacuation musclée mais efficace », ajoute-t-il. À la tribune, l’un des organisateurs de la soirée s’excuse, en tout cas, auprès du public pour
« cette scène navrante ».
Pas plus émus que cela, Éric Zemmour et Bruno Le Maire vont tranquillement poursuivre leur échange. Le polémiste ironisera seulement sur ces « charmantes personnes » qui n’ont pas aidé à « détendre l’atmosphère » et appellera à enfin « passer aux choses sérieuses ».
Les choses sérieuses, à savoir Éric Zemmour paraphrasant d’entrée de jeu le dernier livre de Philippe de Villiers, J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu (Fayard) sur l’Union européenne, fruit – comme chacun le sait – d’un grand complot américain dont « Jean Monnet, l’agent des États-Unis » a été un maître d’oeuvre. Éric Zemmour, face à un public entièrement acquis, qui s’indigne ensuite de cette Europe soumise à la « dictature des droits de l’homme qui empêche de nous protéger de l’immigration », cette Europe en « peau de léopard avec des zones sous la domination de la charia ».
Qu’est venu donc faire là le locataire de Bercy, dont on pourrait imaginer qu’après cinq mois de crise sociale, il ait peut-être mieux à faire ? Dans ce débat sur l’Europe à la tonalité décidément particulière, Bruno Le Maire finira par se sentir obligé de se justifier d’un « Cela fait des années que je combats l’islam politique », conscient que ses développements sur l’économie européenne ennuient tout le monde.
L’Europe, cette « zone de dhimmitude »
Un peu plus tôt, François-Xavier Bellamy, dans un registre qu’il connaît par cœur, avait une nouvelle fois déploré, face à Jacques Attali que « l’Europe [ait] oublié qu’elle était une civilisation ». Chrétienne, cela va sans dire. Ce que « le deuil que nous avons vécu, l’incendie de Notre-Dame, est venu nous rappeler » Comme si elle venait nous [le] dire avec le sourire des bâtisseurs du Moyen-Âge », déclare-t-il l’œil brillant.
Jacques Attali, présenté par les organisateurs comme un intellectuel « de gauche » chargé de défendre le nomadisme » face à Bellamy, l’auteur de Demeure (Grasset), sera copieusement hué par le public lorsqu’il affirmera que l’une des principales raisons de « la survie de la pensée grecque, c’est qu’elle est passée par l’islam ».
Avant le clou du spectacle, l’arrivée de Michel Houellebecq, Philippe de Villiers, qui est ici chez lui, a droit à vingt bonnes minutes de « seul en scène » pour faire la promotion de son dernier livre. Avec des accents illuminés, le créateur du Puy-du-Fou développe longuement sa thèse du complot américain à l’origine de l’Union européenne et s’indigne de cette Europe, devenue si méprisable que la Turquie la considère comme « une zone de dhimmitude ». Une référence au statut des dhimmis, les non musulmans en terre d’Islam.
Lui aussi s’attarde longuement sur l’incendie de Notre-Dame, « cette nuit qu’on n’oubliera jamais, une nuit allégorique », s’enflamme-t-il, qui doit nous alerter sur l’avenir de l’Europe.
Dans un registre singulièrement différent, Michel Houellebecq, accueilli avec la même ferveur qu’Éric Zemmour, assure, lui aussi, le spectacle. Celui qui vient de se voir remettre la Légion d’honneur à l’Élysée glose sur son expérience personnelle de l’Europe, débutée par un séjour linguistique en Bavière.
- J’avais amené plein de pulls qui ne m’ont servi à rien (…) ils mangeaient beaucoup de saucisses », détaille-t-il d’une voix monocorde, face à une salle conquise d’avance.
Pourquoi défend-il une Europe des nations ? Parce que, pour qu’elles « restent intéressantes », les nations doivent rester « des entités séparées », avance l’écrivain. « On parle de la sauvegarde de la biodiversité, mais on ne parle jamais de la nécessité de sauver les civilisations, les cultures, les modes de vie », souligne-t-il, ignorant peut-être que le RN a précisément fait de cette équation un de ses axes de campagne.
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Michel Houellebecq, en roue libre, invite ensuite son ami l’écrivain Benoît Duteurtre à parler des vaches et plus spécifiquement du problème de la race holstein qui a, peu à peu, « éliminé toutes les autres ». « Je ne sais pas si le mot race… Il faut faire attention », prévient Duteurtre à qui Houellebecq répond, sous les rires : « Non pour les vaches, on a le droit. »
Volontairement décousue, la conversation se termine sur l’Eurovision dont Benoît Duteurtre déplore qu’elle soit devenue « tellement immonde, tellement vulgaire ». Et désormais « le véhicule des nouvelles revendications sociétales, on va dire », glousse-t-il. Une référence à peine voilée, au candidat de la France à l’Eurovision Bilal Hassani, homosexuel revendiqué d’origine marocaine, par ailleurs victime de cyberharcèlement depuis des mois.
Une dernière touche de mauvais goût pour cette soirée décidément toute en fraîcheur.