La police dans le viseur de l’extrême droite

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L’extrême droite garde la police à vue

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Sans Marine Le Pen, des figures du Rassemblement national sont venues soutenir les forces de l’ordre, un électorat réceptif.

RN Jordana Bardella n. 2 du RN

Jordan Bardella, le numéro 2 du Rassemblement national, mercredi à Paris. (Albert Facelly/Libération)

par Tristan Berteloot et photos Albert Facelly, Libération

publié le 20 mai 2021 à 5h28

Bien accueilli mais pas non plus applaudi. Le Rassemblement national a envoyé ses troupes en masse, mercredi, pour participer à la «marche citoyenne» organisée par les syndicats de police à Paris. Mais Marine Le Pen, en déplacement en Gironde, n’y était pas. De là-bas, elle a quand même modifié son programme pour soutenir les forces de l’ordre, un petit crochet devant un commissariat de Bordeaux pour retrouver micros et caméras : une fois au pouvoir, «le RN aura le courage de mettre en place les mesures qu’il a longuement développées tout au long de ces années», a promis la candidate à la présidentielle. Selon une récente étude du Centre de recherches politiques de Sciences-Po, de l’Ipsos et de la fondation Jean-Jaurès, au moins 60% des policiers votent pour son parti ou ont prévu de le faire en 2022. Le chiffre monte à 75% chez les gardiens de la paix les moins diplômés.

 

Un vote «cohérent»

L’élue du Pas-de-Calais avait donc enjoint ses équipes à se rendre à cette manifestation : peu de chances que leur arrivée provoque une quelconque hostilité. Il n’y en a eu aucune. Le numéro 2 du parti, Jordan Bardella, tête de liste du mouvement aux régionales en Ile-de-France – son slogan : «le choix de la sécurité» – a droit à quelques félicitations. «La police fait son travail, mais la justice ne le fait pas», affirme-t-il, demandant le rétablissement des peines plancher, l’augmentation des places de prison et l’arrêt de l’immigration «pour alléger le travail de la police». Des dizaines d’autres cadres du parti d’extrême droite se sont joints à la foule statique devant l’Assemblée : députés, eurodéputés, conseillers régionaux, élus connus ou moins connus, assistants parlementaires… Le sénateur des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier trouve «cohérent» que la police vote RN dans ces proportions, «parce que ça fait trente ans que ce sont les mêmes qui se succèdent au pouvoir et que derrière les belles promesses, il n’y a jamais rien, l’insécurité augmente chaque jour avec toujours plus de violence». Bronzé, Thierry Mariani, tête de liste en Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca) a «mis sa campagne en pause le temps d’une journée». Entre deux demandes de photos, l’ex-ministre assure que si les gens n’ont pas tous tapé dans les mains en voyant la délégation RN débarquer, «c’est parce qu’il y a eu des consignes des syndicats».

Régionales Chenu et MLP

Sébastien Chenu, tête de liste RN dans les Hauts-de-France. et MLP (Albert Facelly/Libération)

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Julien Sanchez, maire RN de Beaucaire, a fait le déplacement jusqu’à Paris. Tout comme l’édile de Béziers, Robert Ménard, et la députée de l’Hérault Emmanuelle Ménard qui ont, eux, tenu à rappeler qu’ils n’étaient pas encartés. «On n’est pas là pour faire de la politique, mais pour soutenir la police», jure Robert Ménard. Il assure que, chez lui, l’Etat s’est tellement désinvesti que la municipalité est obligée de payer à sa place les travaux de peinture du commissariat de police nationale, délabré, et même le salaire de la femme de ménage. «Ce manque de moyens est irresponsable, et moi je mesure chaque jour la haine anti-flic qui augmente», poursuit-il. «Il y a un abandon des parents, une démission familiale, plus d’éducation, plus d’instruction», embraye sa femme. L’édile ajoute : «Bien sûr qu’il y a un lien entre immigration et délinquance. Regardez la proportion d’étrangers dans les prisons françaises. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut plus d’immigration, mais elle doit être contrôlée et accompagnée d’une politique d’assimilation.»

 

«Il suffit d’aller voir les noms»

Plus loin, deux policiers discutent : Florian et Fabien, tous les deux 33 ans, tous les deux dans la police du métro. Le premier a rejoint les forces de l’ordre par conviction, à 19 ans, après avoir été agressé au couteau. Pour Fabien, «les politiques qui sont là, c’est juste pour se montrer. Quel que soit le politique, tant qu’il y aura la séparation des pouvoirs, la justice continuera d’être indépendante, et les politiques ne pourront rien y faire». Florian envisage ce cercle vicieux : les juges condamnent peu, les prisons sont surchargées, alors on laisse dehors des multirécidivistes. Pas assez de peines, pas assez de prisons, plus de délinquance. Est-ce qu’il voterait RN ? «Je ne me suis même pas posé la question. Depuis treize ans que je travaille, j’ai bossé sous la gauche, la droite, aujourd’hui le centre, alors un autre… Mais le RN dit exactement la même chose que LR. Sur le fond, c’est pareil. C’est la forme qui diffère. Ils sont plus agressifs.» Florian poursuit : «Est-ce qu’ils ont raison de lier immigration et délinquance ? Je vais vous dire : pour vérifier, il suffit d’aller voir les noms sur les carnets de gardes à vue des commissariats parisiens. Et la réponse saute aux yeux : il y a beaucoup de délinquance étrangère. Ce n’est pas une question de racisme.» On n’en est pas loin.