Bolsonaro jette ses forces dans la bataille du Minas Gerais
Les deux candidats ont multiplié les visites dans le Minas Gerais, champ de bataille majeur de l’élection présidentielle dont le second tour se tient dimanche 30 octobre. Le sortant Bolsonaro espère conquérir cet État qui l’a placé derrière Lula au premier tour.
Jean-Mathieu Albertini, 28 octobre 2022 , Médiapart
eloBelo Horizonte (Brésil).– L’éclairage aux néons vacillants, la chaleur désagréable et la longue attente n’indisposent en rien un public en grande majorité masculin, piaffant d’enthousiasme. Vendredi 14 octobre, dans une immense salle de Belo Horizonte, la capitale du Minas Gerais, plus de 600 maires et conseillers municipaux s’agglutinent pour écouter Jair Bolsonaro, accueilli par des vivats.
« Je suis aussi originaire du Minas Gerais, c’est ici que je suis né une deuxième fois », lâche le président sortant, natif de São Paulo, en référence à l’attaque au couteau subie à Juiz de Fora pendant la campagne de 2018. La voix cassée mais souriant, Bolsonaro s’affiche conquérant malgré un retard de 560 000 voix dans cet État au premier tour : « Nous avons déjà renversé la tendance, le Minas est à nous ! Mais j’ai besoin de vous pour amplifier notre victoire ! »
Paulo de Labela, conseiller municipal venu d’une ville voisine, est remonté à bloc. « On va multiplier les visites, les réunions ! Tout faire pour élire notre président ! »

Sous la houlette du gouverneur Romeu Zema (Novo), qui a promis le Minas Gerais à Jair Bolsonaro, la réunion se veut une démonstration de force. Malgré tout, l’implication du gouverneur ne semble pas avoir l’effet escompté, estime Magna Maria Inácio, professeur à l’université du Minas Gerais. « Beaucoup d’électeurs de Zema sont aussi des électeurs de Lula. Il a sciemment éloigné son image de Bolsonaro au premier tour, pour ne se rallier qu’une fois élu. Sa popularité s’explique par des conditions spécifiques à l’État, mais il n’a pas une forte capacité de transfert de votes. »
L’immense Minas Gerais, au carrefour de diverses influences, incarne comme aucun autre État la diversité du vote des Brésilien·nes, et cette année s’y déroule une dispute particulièrement âpre. Dans la banlieue de Belo Horizonte, Betim et ses 450 000 habitant·es n’ont offert la victoire à Lula qu’avec le maigre écart de 807 voix. Bolsonaro l’a emporté dans sept des dix principales villes de l’État mais a perdu du terrain à Teófilo Otoni et Juiz de Fora, des municipalités importantes, et dans les campagnes.
Le président d’extrême droite peut toujours compter sur sa bonne implantation dans le sud-ouest du Minas Gerais, aux caractéristiques similaires à celles de l’intérieur de l’État de São Paulo et au centre-ouest du pays, où l’agro-industrie est très présente. Il garde aussi le soutien de petits entrepreneurs et de l’élite économique locale.
La pandémie a été le meilleur moment de son gouvernement : il a sauvé l’économie, a été à notre écoute…
Dans son immense bureau du centre de Belo Horizonte, Flavio Roscoe, président de la Fédération des industries du Minas Gerais, insiste lourdement. « C’est un appui basé sur une analyse technique, pas un soutien partisan. » Organisateur d’une rencontre entre des industriels et le candidat Bolsonaro, évoqué par ce dernier comme potentiel futur ministre de l’industrie, Flavio Roscoe de défend de tout favoritisme envers sa fédération. « On a aussi invité Lula, qui ne pouvait venir qu’un samedi. Or, on ne reçoit que les jours de semaine. »
Au cours de la discussion, il reconnaît un soutien personnel au président, avant de se lancer dans un plaidoyer de son bilan. « La pandémie a été le meilleur moment de son gouvernement : il a sauvé l’économie, a été à notre écoute… Si certains se sont éloignés, c’est souvent parce que les faits ont été retranscrits de manière injuste par la presse. » Après une heure de discussion, Flavio Roscoe ne lui voit qu’un défaut : « Un problème de communication. » Selon lui, une majorité des chefs des grandes entreprises de sa fédération continuent de soutenir Jair Bolsonaro.
De plus, le président distribue une part du budget public pour assurer sa réélection. Selon les calculs du site UOL, depuis le début de la campagne officielle en août, le gouvernement fédéral a augmenté les aides directes d’au moins 21 milliards de réaux (4 milliards d’euros). Dans l’entre-deux-tours, 500 000 nouveaux bénéficiaires d’une aide sociale de 600 R$ (120 euros) ont notamment été recensés.
Avec la surprise des bons résultats du premier tour, les donations pour sa campagne ont en tout cas largement augmenté. Cette manne lui permet aussi d’investir massivement dans la publicité sur Internet, un domaine où il domine déjà largement son opposant. Bolsonaro cumule 51,3 millions d’abonné·es sur les cinq principaux réseaux sociaux, largement devant les 19,1 millions de Lula.
Un système décentralisé sur les applications de messagerie lui assure aussi une audience fidèle ainsi qu’une forte capacité de mobilisation. Dans cet écosystème complexe, l’une des bases de son succès, les fausses nouvelles circulent sans relâche. Plus qu’à conquérir de nouveaux votes, elles servent avant tout à radicaliser sa base, qui devient imperméable à toute critique et reste très motivée quoi qu’il arrive.
« Peu importent les erreurs de campagne, rien ne semble l’affecter. Il peut perdre quelques milliers de votes sur certains incidents graves, mais pas de quoi déstabiliser véritablement son assise », explique Claudemir Francisco Alves, professeur à l’Université pontifical catholique.
Dans cette guérilla électorale, son camp s’appuie sur les fake news pour tenter de détourner l’attention de la situation économique qui a dominé le début de campagne. Ramenant le débat sur des sujets moraux où il évolue plus à son aise, Jair Bolsonaro surfe en même temps sur un antipétisme (un sentiment de rejet envers le PT, le Parti des travailleurs) largement diffus dans la société.
Une phrase sexualisant des adolescentes vénézuéliennes en situation précaire ou l’épisode Roberto Jefferson dimanche 23 octobre (un allié proche, assigné à résidence, ayant tiré et lancé deux grenades sur des policiers venus le reconduire en prison) le placent sur la défensive, mais ne semblent pas susceptibles de déterminer l’élection.

À Juiz de Fora, tout au sud de l’État, Lula s’est pourtant imposé au premier tour sur des terres dominées en 2018 par l’actuel président. Pour regagner ce terrain, le candidat d’extrême droite compte particulièrement sur ses alliés évangéliques. Mardi 18 octobre, il tient un meeting à quelques pas de l’endroit où il a été poignardé quatre ans plus tôt. Sur scène défile la fine fleur bolsonariste du Minas Gerais, avec notamment le député le mieux élu du Brésil, Nikolas Ferreira, très influent sur les réseaux sociaux auprès des jeunes évangéliques.
Si la place, de taille modeste, n’est pas pleine à craquer, le public exprime sa ferveur sans retenue. « La foi est essentielle dans mon choix ; si Lula l’emporte, on devient le Nicaragua où les églises sont fermées et les chrétiens persécutés ! », explique Pamela, une évangélique qui arbore fièrement un tee-shirt jaune « 100 % Jesus ».
Aucun des deux candidats ne devrait réussir à convaincre massivement des électeurs du camp adverse de le rejoindre.
Ici comme ailleurs, l’alliance de Bolsonaro avec une grande part du monde évangélique fonctionne à plein. Moins médiatique que d’autres puissants pasteurs locaux, Aloizio Penido est plutôt un homme de l’ombre. Depuis quinze ans, il exerce son influence sur l’État et assume ouvertement la nécessité de mélanger politique et religion. « On contacte des pasteurs mais aussi des leaders de droite pour rassembler nos forces et arracher des votes à Lula. » Comme d’autres, il encourage ses 4 000 fidèles, répartis dans six églises, à accompagner au bureau de vote, le 30 octobre, des proches âgé·es n’ayant pas voté au premier tour.
Une caravane menée par la femme du président, Michelle Bolsonaro, évangélique fondamentaliste, a de son côté parcouru six villes du Minas Gerais, multipliant les critiques à l’égard de Lula au milieu de discours au ton messianique. Peu importe si le PT n’a jamais persécuté les chrétiens durant ses quatorze ans au pouvoir, explique Aloizio Penido.
« Fermer les églises ne se fait pas du jour au lendemain. Ils ont commencé par endoctriner les élèves des universités, ils veulent s’attaquer maintenant aux croyants. C’est pour ça qu’ils tentent de nous empêcher de faire passer notre message dans nos églises ! » Lui semble avoir une dent contre les professeur·es et les étudiant·es, seule raison à ses yeux du succès du PT à Juiz de Fora, un important pôle universitaire.

Reste que cette ambiance au sein des temples rebute une fraction des évangéliques, notamment parmi les femmes. Sur les hauteurs de la favela de Taquaril, à Belo Horizonte, Ana Paula ne veut plus entendre parler de Jair Bolsonaro. Croyante et mère célibataire, elle évite son église depuis le premier tour. « Ils m’ont dit que je ne pouvais pas être de gauche et croyante. C’est n’importe quoi, j’ai juste dit du bien de Lula… L’Église doit en théorie accueillir tout le monde ! »
Elle qui répète ne rien connaître à la politique a voté pour l’actuel président en 2018, « pour faire comme tout le monde. Mais cette fois, pas question ! Tout est trop cher, je travaille mais ne gagne pas assez pour faire vivre mes deux enfants ». Dans ce quartier pauvre où Lula l’a cette fois emporté, Edneia, une leader locale, dit percevoir un véritable changement d’ambiance par rapport à 2018. « En plus de la situation sociale, le chaos de la pandémie a fait réfléchir beaucoup de gens. »
Si, aux yeux de son public, le président a réussi à faire de la pandémie une justification aux difficultés économiques du moment, un fort rejet contre sa personne et sa politique s’est largement répandu à ce moment-là dans le reste de la société. Dans une élection où les indécis·es sont peu nombreux, Lula part malgré tout avec un avantage, assure Claudemir Alves. « Dans ce scrutin basé plus que jamais sur l’affect, aucun des deux candidats ne devrait réussir à convaincre massivement des électeurs du camp adverse de le rejoindre. Mais Lula doit avant tout gérer son avantage, tandis que Jair Bolsonaro est condamné à l’exploit. »