Article intéressant dans la mesure où il donne une petite idée de l’ampleur des mouvements suprémacistes aux US, et comment Trump leur a donné un second souffle et une plus grande visibilité. Aussi, il nous rappelle – un fait qui nous surprendra toujours nous européens – que le respect du premier amendement sur la liberté d’expression et d’opinion permet à des néonazies de défiler en tenue paramilitaire et flingue en bandoulière avec l’autorisation de Washington.
INTERNATIONAL
12/08/2018
Un an après Charlottesville, cette nouvelle manifestation rappelle que l’extrême droite américaine est désorganisée mais prospère
Des militants d’extrême droite se retrouvent à Washington dimanche, jour anniversaire des manifestations de néo-nazis à Charlottesville en 2017.
-
Par Claire Digiacomi, HuffPost
Un an après Charlottesville (ici le 11 août 2017), cette nouvelle manifestation rappelle que l’extrême droite américaine est désorganisée mais prospère
Un an plus tard, ils jouent leur 2e round. Des sympathisants de l’extrême droite américaine défilent, ce dimanche 12 août à Washington, un an jour pour jour après les violences lors d’un rassemblement similaire à Charlottesville, dans l’État voisin de Virginie. Une contre-manifestante y avait été tuée par un militant néo-nazi, inculpé d’avoir intentionnellement percuté des manifestants antiracistes avec sa voiture.
Torches en feu à la main, slogans racistes à la bouche et saluts nazis aux bras, les manifestants avaient offert à l’Amérique des images choquantes, et jeté une lumière crue sur la branche la plus extrémiste de « l’alt-right » (« alternative right », « droite alternative » en anglais), cette mouvance de l’extrême droite américaine défendant, entre autres, le suprémacisme blanc.
Au nom du respect du premier amendement, Washington a cette année accordé un permis de manifester à 400 sympathisants qui, comme l’an dernier, représentent différentes branches de l’extrême droite. La marche doit partir d’une station de métro en banlieue de la capitale pour rejoindre la Maison Blanche entre 17h30 et 19h30 (heure locale). Le rassemblement « Unite the right 2″ (« Unissons la droite 2″) devait dans un premier temps se tenir de nouveau à Charlottesville (à moins de 200 kilomètres de la capitale fédérale) mais la municipalité, encore marquée par la mort violente de la manifestante antiraciste Heather Heyer, n’a pas donné son accord.
Mais la police locale, critiquée pour avoir sous-estimé l’événement l’an passé, se prépare quand même sérieusement, d’autant plus que des manifestations anti-racistes sont prévues. L’état d’urgence a été décrété dès mercredi dans l’État de Virginie et à Charlottesville, ce qui devrait permettre par exemple à l’armée d’intervenir en cas de débordement. Un certain nombre de rues sont fermées ou interdites au stationnement dans le centre de la ville. Des dizaines d’objets, considérés comme des armes ou de potentiels « instruments pour manifester », ont été interdits. L’an dernier, des membres de milices d’extrême droite s’étaient montrés en tenue paramilitaire, fusil semi-automatique en bandoulière, comme l’autorise la loi de Virginie.
mouvements affaiblis
La manifestation organisée à Washington devrait cependant rassembler moins de monde que les centaines de personnes réunies en 2017 à Charlottesville. « Je pense que ce rassemblement sera vraiment différent du précédent en terme d’affluence, admet lui-même l’un des organisateurs, Jason Kessler, interrogé par USA Today. Beaucoup de gens vont craindre pour leur sécurité. »
« Nous n’avons rien à gagner à retourner à Charlottesville », estime auprès de NewsweekMichael Hill, président du mouvement suprémaciste blanc de la Ligue du Sud, qui promeut l’indépendance des anciens États confédérés du Sud du pays. Comme lui, d’autres figures nationalistes, à l’instar de Richard Spencer, à l’origine du terme « alt-right », ont indiqué leur souhait de ne pas se rendre à la manifestation cette année.
Outre la peur d’un débordement, ce sont surtout les divisions internes, l’absence de leadership et le manque de soutien qui pourraient bien étouffer le mouvement. Le média indépendant de gauche Unicorn Riot a publié en juin des messages Facebook échangés entre les organisateurs, et dans lesquels Jason Kessler évoque les dissensions, semble batailler autour de questions basiques d’organisation, frustré par les actions en justice intentées contre eux. Le groupe, dépassé par le drame de l’an dernier, semble « obsédé par l’idée de changer d’étiquette pour ne plus être vu comme raciste », raconte le média. Ce dimanche, seuls les drapeaux américain et confédéré seront autorisés. Pas les drapeaux nazis.
« Une coalition politique de gauche déterminée »
Il faut dire que, si Charlottesville a pu attirer l’attention médiatique sur ces groupes d’extrême droite, l’événement a eu aussi de très nombreuses conséquences négatives sur eux. Certains manifestants, parfois fraîchement convertis au nationalisme et défilant ce jour-là aux côtés de membres du Ku Klux Klan, ont perdu leur travail, ont été rejetés par leur famille ou leurs amis après avoir été reconnus sur des photos, rappelle Newsweek. La manifestation a aussi entraîné une myriade d’attaques en justice par les personnes victimes des violences.
« Les groupes n’ont pas très envie d’y aller, pour des questions juridiques. Je sais que des personnes extérieures aux groupes sont intéressées, mais je n’ai aucune idée du nombre », indique Tony Hovater, membre d’un groupe néo-nazi.
Les débordements de la manifestation de 2017 et la mort de Heather Heyer ont eu un tel retentissement que s’est en fait créé une véritable force d’opposition, stupéfaite de découvrir que ceux qu’elle apparentait à des trolls des réseaux sociaux se révélaient en fin de compte être une véritable petite armée capable de s’afficher avec des croix gammées. Les Américains « ont arrêté de voir ces gens comme des clowns, surtout après le décès (de Heyer, ndlr) », estime Lawrence Rosenthal, qui dirige le centre d’études sur la droite à Berkeley. « Au lieu d’unir la droite, ce qui était le but premier de ce rassemblement, ce dernier a forgé une coalition politique de gauche déterminée à affronter des générations d’injustice raciale et économique », estime le New York Times.
Les mouvements ont ainsi perdu des appuis financiers. Des plateformes de financement participatif ou de paiement en ligne comme Patreon ou PayPal, refusant d’être associées à eux, ont banni certaines personnalités comme Richard Spencer. Les réseaux sociaux sont aussi passés à l’offensive, obligeant les militants à se tourner vers des plateformes plus confidentielles. Récemment, le fondateur du site conspirationniste d’extrême droite InfoWars, Alex Jones, a été privé d’accès à Facebook, YouTube, Apple et Spotify.
There must have been some kind of Silicon Valley meeting about me. Within a day all of my Youtube videos (even unpublished) were restricted, my public Facebook page was deleted without warning & I lost 4,000 Twitter followers overnight. I knew this would happen near #UTR2https://t.co/VFxEo0QAa6
— Jason Kessler (@TheMadDimension) 23 juillet 2018
« Il y a dû y avoir une réunion à mon sujet à la Silicon Valley. En une journée, toutes mes vidéos YouTube (même celles qui n’étaient pas publiques) ont été restreintes d’accès, ma page Facebook publique a été supprimée sans me prévenir, et j’ai perdu 4000 abonnés Twitter en une nuit (ce qui devrait plutôt être lié à un grand nettoyage de Twitter, ndlr). Je savais que ça allait arriver #UTR2″
Donald Trump, agent décomplexant
Pourtant, la grande visibilité dont bénéficient ces groupes ne doit pas être minimisée, d’après Heidi Beirich, du Southern Poverty Law Center (SPLC), une association qui surveille les groupes incitant à la haine depuis 1999. Charlottesville « a eu un impact négatif sur les gens qui étaient présents, mais le suprémacisme blanc en tant que tel est florissant aux États-Unis », assure-t-elle auprès de NPR.
Les événements, médiatisés, ont fait augmenter les recherches sur Internet au sujet de ces groupes. Ils ont aussi mis en lumière des personnalités controversées, comme Richard Spencer, l’homme qui crie « Hail Trump! » en meeting, remercié par des saluts nazis. Des centaines de manifestants, à l’appel de mouvements d’extrême droite pro-Trump comme Proud Boys ou Patriot Prayer, se sont encore réunis le 4 août à Portland, lors d’une marche qui a dégénéré.
L’élection de Donald Trump, justement, a favorisé l’engagement au sein de mouvements organisés de certains militants de l’alt-right, qui jusqu’ici s’exprimaient sur Internet, selon Vox. « Certaines des politiques que les partisans du suprémacisme blanc ont voulu pendant des années -les politiques anti-immigration en particulier, le ‘Muslim ban‘- sont devenues réalité, explique Heidi Beirich. C’est un mouvement qui a toujours voulu réduire le nombre d’immigrants non-blancs aux États-Unis. Alors quand ils voient des choses comme les descentes de la police douanière ou la séparation des familles de migrants, c’est une victoire pour eux. »
L’extrémisme et le sectarisme, la suprématie blanche et l’antisémitisme, ont trouvé un nouveau souffle avec Donald Trump à la Maison Blanche, comme en témoignent certains candidats aux élections de novembre pour le Congrès américain.Arthur Jones , dans l’Illinois, est un nazi assumé pour qui l’Holocauste est « le plus gros et le plus éhonté mensonge de l’histoire ». Pour Russel Walker, qui brigue un siège au parlement de Caroline du Nord, « il n’y a rien de mal à être raciste » et les Juifs sont des « descendants de Satan ». Et Rick Tyler, dans le Tennessee, veut « rendre à l’Amérique sa blancheur ».
Ces candidats, souvent de grosses épines dans le pied du parti républicain, sont pour Heidi Beirich la preuve que Donald Trump -qui est dans un premier temps apparu réticent à condamner clairement les militants xénophobes de Charlottesville- a « dissipé des tabous » et décomplexé certains discours d’extrême droite. Pour le SPLC, le fait qu’il ait soutenu des candidats controversés comme l’ancien shérif de l’Arizona Joe Arpaio envoie un signal aux franges extrémistes du parti qu’il y a de la place pour eux dans le discours politique.
Samedi et dimanche, 22 mouvements anti-racistes seront mobilisés à Washington pour contrer la manifestation de l’extrême droite. « Nous affronterons le fascisme, l’antisémitisme, l’islamophobie, le suprémacisme blanc et la violence d’État du 10 au 12 août », peut-on lire sur le site de l’événement. D’après le Daily Beast, 18 groupes anti-racistes et féministes ont également formé une coalition « contre la haine », qui interviendra également à Washington.