« Hostilité aux immigrés et concurrence sociale » sont corrélées
Les croyances concernant l’avenir de sa propre situation économique influencent autant, sinon plus, l’opinion sur l’immigration que sa situation économique réelle, la faisant basculer vers l’extrême droite, explique dans sa chronique le journaliste du « Monde » Antoine Reverchon.
LE MONDE | 22.09.2018 à 11h50 |Par Antoine Reverchon
Recherches. Face à la montée de l’hostilité contre les migrants, les économistes ont su montrer que les arguments avancés par les partis d’extrême droite pour attirer les électeurs – « les immigrés prennent vos emplois et vos aides sociales » – ne tenaient pas la route : les migrants étant moins qualifiés, plus actifs et plus jeunes que l’ensemble de la population « indigène », ils contribuent à la hausse de la qualification (et donc des revenus) de cette dernière et sont « contributeurs nets » des systèmes sociaux.
Politologues et sociologues ont donc pris l’habitude d’aller chercher les causes du vote d’extrême droite dans le domaine de la culture et des « valeurs » (identité, religion) plus que dans la sphère socio-économique. Les partis nationalistes les ont d’ailleurs suivis dans cette voie…
Mais voilà que des recherches plus récentes remettent en selle l’idée que certains électeurs puissent voter pour l’extrême droite afin de défendre leurs intérêts matériels.
L’exemple autrichien
Charlotte Cavaillé (université de Georgetown, à Washington) et Jeremy Ferwerda (Dartmouth College, New Hampshire) ont saisi l’opportunité de la transposition, en 2005, dans le droit autrichien d’une directive européenne de 2000 sur « l’égalité raciale », imposant l’égalité d’accès des étrangers résidents aux programmes sociaux, pour voir comment le vote d’extrême droite avait évolué entre les élections législatives de 2002 et celles de 2006 dans les quartiers où, d’une part, le logement social est très présent et, d’autre part, le nombre d’immigrants avait fortement augmenté (« How Distributional Conflict Over Public Spending Drives Support for Anti-Immigrant Parties », à paraître).
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Ils ont ainsi découvert que ces évolutions étaient bel et bien corrélées. La progression de l’extrême droite est encore plus forte (jusqu’à 50 % ou 60 %, contre 3,9 % en moyenne nationale) dans les quartiers où le marché du logement est le plus tendu (en particulier à Vienne). La valeur de l’accès à un logement social y est en effet plus élevée.
Croisant ce travail avec d’autres études, Charlotte Cavaillé observe que cette corrélation entre hostilité aux immigrés et concurrence sociale varie selon plusieurs facteurs. Elle est plus forte lorsqu’il s’agit d’accéder à des services non monétaires et sans conditions de ressources (logement, éducation, santé) qu’à des aides financières sous conditions de ressource (allocations). C’est pourquoi les classes moyennes sont plus sensibles aux arguments de l’extrême droite que les catégories les plus défavorisées lorsqu’elles sont confrontées à la présence des migrants dans leurs espaces quotidiens : le quartier, l’école, l’hôpital.
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Ces recherches montrent que si les arguments de l’extrême droite sur les méfaits économiques de l’immigration sont faux en moyenne, ils sont perçus comme vrais dans certaines circonstances, dans certains lieux et à certains moments. Charlotte Cavaillé a eu d’ailleurs la désagréable surprise de voir son enquête reprise par des sites d’extrême droite. Mais ceux-ci se gardaient bien de citer un autre de ses constats.
Coupes budgétaires
Quoique transposée en 2005, la directive n’avait encore aucun effet dans les quartiers étudiés en 2006 : il n’y avait encore aucun étranger sur les listes d’attente des logements sociaux. Autrement dit, c’est la représentation que les électeurs se faisaient du risque de concurrence, et non une concurrence réelle, qui les a fait basculer vers l’extrême droite.
Une autre étude américaine (« Self-Interets, Beliefs and Policy Opinions : Understanding How Economic Beliefs Affect Immigration Policy Preferences », Alan Gerber et alii, Political Research Quarterly n°1/17, 2017) montre que les croyances concernant l’avenir de sa propre situation économique influencent autant, sinon plus, l’opinion sur l’immigration que sa situation économique réelle.
En ce sens, l’hostilité aux migrants croît d’autant plus que l’on voit sa situation dégradée par les coupes budgétaires pratiquées dans les programmes sociaux par les gouvernements… nationaux.