Hongrie: Jobbik

L’Europe des populismes (4/8) : la Hongrie face au nationalisme

Par  Hélène Bienvenu (Budapest)
myeurop avec Citizens for Europe

Dossier:Populismes, attention danger !

Gäbor Vona (Jobbik) et Viktör Orban lors d'un duel au parlement hongrois

Gäbor Vona (Jobbik) et Viktör Orban lors d’un duel au parlement hongrois

La Hongrie prise entre deux feux. Le pays doit faire face à la montée en puissance du Jobbik auto-proclamé « parti radical le plus populaire » en Europe. De l’autre côté, le Fidesz, parti au pouvoir, n’hésite pas à reprendre les idées les plus extrémistes de son concurrent politique.

En Hongrois, Jobbik signifie à la fois « plus à droite » et « meilleur ». Un nom qui tombe à pic dans l’actuel contexte politique du pays. Car le parti au pouvoir – le Fidesz (alliance civique hongroise) – a été singulièrement droitisé par son président Viktor Orban, redevenu Premier ministre en 2010. Au point qu’il apparaît désormais, lui aussi, comme une formation nationaliste et populiste.

Une ascension fulgurante
Né au sein des cercles universitaires de droite, le Jobbik, lui, n’a jamais été modéré et ce depuis sa création en tant que parti, en 2003. Parmi ses membres fondateurs, on retrouve Gábor Vona, l’actuel député-leader du parti, alors étudiant en histoire. En 2006, le Jobbik (en coalition avec le MIEP, parti nationaliste que le Jobbik a depuis supplanté) ne remporte que 2% des voix et aucun siège aux élections législatives.
Il faudra attendre 2009, pour que les nationalistes fassent leur entrée au Parlement européen avec trois sièges d’eurodéputés. Un an plus tard, le Jobbik devient la troisième force politique du pays en récoltant 16,7% des voix au premier tour des législatives. Il rafle ainsi 47 sièges au Parlement (sur 386).
Une poussée confirmée par les chiffres des législatives d’avril 2014. Le parti obtient 20,5% des suffrages, ce qui lui vaut 23 sièges au sein du nouveau Parlement réduit à 199 sièges. Un score dont s’enorgueillissait Gábor Vona à l’annonce des résultats:
Le Jobbik est le parti radical le plus populaire de l’Union Européenne ».
Jeune mouvement contestataire, nationaliste, anticapitaliste, eurosceptique, antisioniste mais islamophile (pro-palestinien), le Jobbik entretenait jusqu’à présent une rhétorique anti-tsigane et antisémite. Depuis la campagne électorale de 2014, la formation a opéré un changement d’image et de discours. Exit les Roms et les Juifs, bienvenue aux slogans consensuels comme « on n’arrête pas le futur. »
La direction a également purgé les éléments trop perturbateurs de ses listes. Un objectif de respectabilité qui a porté ses fruits :
Le Jobbik est bel et bien monté en puissance. Il n’est pas exclu que le parti se classe juste derrière le Fidesz aux élections européennes si la gauche ne fait pas front commun, »
analyse le politologue Gábor Györi du think tank budapestois Policy Solutions.

L’agitation permanente
Comme tous les mouvements populistes extrêmes, le Jobbik n’a cessé de multiplier coups médiatiques et actions de communication pour galvaniser ses sympathisants. En 2003, ses militants érigent une forêt de croix (voir la vidéo ci-dessous) pour rappeler la vraie signification de Noël. Trois ans plus tard, ils décident d’occuper le siège de la télévision hongroise, après que le Premier ministre, Ferenc Gyurcsány, ait avoué avoir « menti aux Hongrois jours et nuits ».

L’année suivante, la Magyar garda, une milice paramilitaire non armée est créée (voir la vidéo ci-dessous). Vona en est le président. La troupe accompagne les grands rassemblements du Jobbik et patrouille dans les quartiers tsiganes en province  « pour rétablir l’ordre ». Dissoute en 2009, une « nouvelle garde hongroise » lui succède. En 2011, elle choisira d’établir son camp d’entrainement dans le quartier rom de la petite ville de Gyögyöspata après l’élection d’un maire Jobbik. Le parti n’hésite pas à parler de criminalité tsigane.
La même année, le Jobbik est à l’initiative de l’Alliance européenne des mouvements nationaux, établie à Budapest. Marine Le Pen quittera en 2013 cette mouvance, jugée trop extrémiste pour le Front national. Le Jobbik s’illustre dans des séries d’actions eurosceptiques. En 2012, lors d’un rassemblement du Jobbik, le député Előd Novák brûle en public un drapeau de l’Union Européenne (UE). Le parti milite d’ailleurs pour un referendum sur la sortie de l’UE et verse ouvertement dans l’antisémitisme
En novembre 2012, Marton Gyöngyösi, député du Jobbik pro-palestinien se fend d’une sortie antisémite au Parlement, suggérant que l’Etat hongrois « identifie les Juifs de Hongrie » qui, dans le cadre du conflit autour de la bande de Gaza, « représentent une menace pour la sécurité nationale ».

Une réfutation molle de la classe politique
Il est symptomatique que cette proposition surréaliste n’ait pas fait scandale au Parlement bien qu’elle ait agité la presse. Le secrétaire d’Etat du Fidesz à qui la question était adressée s’est contenté de répliquer que la proposition de Gyöngyösi « n’avait pas grand chose à voir avec le conflit à Gaza » et que le gouvernement « n’avait ni position pro-israélienne ni pro-palestinienne sur ce dossier ». Sans réaction frontale sur le fait d’identifier les Juifs. Pour Gabor Györi du think tank Policy solutions :
Les partis politiques hongrois rejettent le Jobbik mais restent passifs. »
Les nombreux duels Gábor Vona vs Viktor Orbán au Parlement ont montré que la droite de gouvernement, tout en tenant ses distances vis-à-vis du Jobbik en déployant une contre argumentation, reprend à son compte certaines valeurs brocardées par ce dernier : la cause de la diaspora hongroise, la réhabilitation de certains écrivains nationalistes considérés comme fascistes… tout est bon pour faire vibrer la corde nationaliste.
Si le rejet du Jobbik est plus évident à gauche, celle-ci ne le combat pas non plus activement. Elle préfère dénoncer l’euroscepticisme du Fidesz au pouvoir »,
poursuit Gabor Györi.
Si elle veut récupérer ses électeurs, la gauche va devoir expliquer clairement pourquoi le Jobbik n’est pas un bon choix. »

FOCUS : Tiszavasvári, autant de chômage et plus de ségrégation

Capitalisant sur la dégradation de la situation économique des Roms (70% d’entre eux vivent en situation de grande pauvreté aujourd’hui en Hongrie), le Jobbik a remporté dix municipalités depuis les élections municipales de 2010. Tiszavasvári (13 000 habitants) fait figure de cité laboratoire pour le parti d’extrême droite.
Dans cette petite ville industrielle de l’est du pays, frappée par le chômage, le mandat de Erik Fülöp, maire Jobbik élu en 2010, a été renouvelé lors d’élections anticipées en 2012 (à 53% des suffrages). Corentin Léotard, journaliste indépendant co-fondateur du site d’information Hu-lala s’était rendu sur les lieux cinq mois après les élections de 2010. Il explique la victoire locale du Jobbik par la promesse d’une présence policière renforcée, mais aussi par un facteur local : le Jobbik présentait une équipe soudée.
″Dans le ghetto rom de Tiszavasvári (2 000 habitants), où sévissent hépatites et typhus, le constat est évident. La situation a empiré pour les Roms Olah qui y vivent. Ils se font contrôler pour un rien par la police et n’osent plus aller en ville. La ségrégation dans les écoles est totale. »
En 2011, la municipalité a décidé la mise en place d’une gendarmerie locale – un des grands rêves que caresse le Jobbik au niveau national. Mais l’entité – qui ciblait les Roms en particulier – a dû être dissoute sur avertissement du ministre de l’Intérieur hongrois pour violation du monopole de la force légitime.
Ainsi le bilan de la municipalité Jobbik n’est guère florissant : chômage et petite délinquance stagnent voire augmentent. La ville a peu utilisé la manne européenne. Pas sûr que les jumelages symboliques avec l’Iran ou la Turquie suffisent à contenter les électeurs… Réponse en octobre 2014, aux prochaines élections municipales.