FN: retour sur congrès. Congrès «de doute» ou «d’espoir»?
Par Nicolas Lebourg, Médiapart, le 12/03/2017
Jamais le FN n’a recueilli autant de voix ni eu autant de parlementaires, et pourtant, il s’apprête à vivre un congrès de refondation dans une ambiance morose. Cette ambiguïté a rythmé l’histoire des congrès frontistes.
Les congrès du Front national ne sont un « moment de vie démocratique » que dans la communication de ses présidents, qui ont tout pouvoir pour contourner les décisions qui y sont prises. Néanmoins, à travers le temps, périodes fastes comme de vaches maigres, ils permettent de mesurer les rapports de force et de savoir ce que l’appareil espère, grâce aux élections pour le Comité central (CC).
À cet égard, le cru 2018 est ambigu : jamais le FN n’a réuni autant de voix ni eu autant de parlementaires, et c’est pourtant le doute qui prédomine. Avant qu’il n’efface le nom du parti et ne vote des statuts faisant disparaître le poste de président d’honneur, observer l’histoire de ces assemblées demeure l’un des meilleurs moyens de savoir d’où vient et où va le FN.
Dans le doute, toujours tenir bon
Le FN tient son deuxième congrès en 1974, après sa première participation à une élection présidentielle où il a obtenu 0,74 % des voix. Il n’a guère de militants : le congrès décide la possibilité de double appartenance à une autre formation. Il n’y a pas d’argent : il réclame l’introduction de la représentation proportionnelle, avec l’instauration d’un financement légal des partis en fonction de leur représentativité (il faudra attendre 1988 pour que cela advienne).
Dès 1975, le FN tient un nouveau congrès. Son président y appelle à la réunion des extrêmes droites balkanisées et des électeurs du président Giscard d’Estaing choqués par « la politique de gauche de cet homme porté au pouvoir par la droite et qui gouverne avec deux chambres : l’Ifop et la Sofres ». Pour réussir le grand écart, il clame que l’heure de la révolution bolchevique arrive et que les « antimarxistes » ne peuvent se payer le luxe de la division. Le thème de la famille est aussi travaillé, avec la proposition de deux idées phares, qui demeureront : le soutien à la natalité et le salaire parental.
Le congrès de l’année suivante ajoute un nouvel axe, la sécurité, et adresse son soutien aux catholiques intégristes… au nom de la défense de la liberté d’expression, afin de souligner le caractère laïque du FN. Mais un franc débat existe sur la ligne. François Duprat veut passer de l’anticommunisme au thème « 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés en trop ».
Le président a trouvé la solution : il ne remet pas son mandat en jeu et Duprat obtient la responsabilité des questions stratégiques et propagandistes, faisant de lui un quasi no 1 bis. Membres de la direction, les anciens Waffen SS Jean Castrillo et Pierre Bousquet décrivent un congrès difficile : « Le Pen était éteint par Duprat [qui] menait la danse. »
Jean-Marie Le Pen n’aime pas trop l’incertitude démocratique. Les congrès seront désormais plus espacés et il retient la leçon sur la nécessité de bâillonner ses troupes. Au congrès de 1997, les mégretistes monopolisent les premières places d’élus au Comité central et font barrage à ce qu’ils nomment la « dérive monégasque » : Marine Le Pen n’est pas élue. Qu’importe, son père la nomme d’autorité. Au congrès de 2003, alors qu’il la pousse en avant, les congressistes lui font valoir qu’ils ne veulent pas d’un FN géré comme une PME.
Lors du vote pour le CC, Bruno Gollnisch sort premier, Marine Le Pen trente-quatrième. Le président n’en a cure : il la nomme vice-présidente, l’intègre au bureau exécutif, et déclare qu’il pourrait demeurer en poste jusqu’à 95 ans. Cadre historique et fidélissime, Carl Lang s’élève contre la transformation du parti en « Front familial ».
Au congrès de 2007, pour la première fois, les adhérents élisent les membres du Comité central au suffrage universel direct, afin de permettre à Marine Le Pen (élue avec 75,8 % des voix) de jouer la base contre les cadres pro-Bruno Gollnisch (85,1 %). Mais nombre de ces derniers ont refusé de se présenter. Ulcéré, le président Jean-Marie Le Pen (réélu avec 97,7 % des suffrages) tance publiquement Carl Lang d’une formule lourde de sens : « Tu dois tout au parti, le parti ne te doit rien » (lire notre premier article).
Il nomme sa fille vice-présidente. Lang souffle à Gollnisch à propos des Le Pen : « Ils vont s’essuyer les semelles sur toi, et après, ils te finiront à coups de talons. » Aux congrès du FN, le président sort gagnant quelle que soit la situation politique. La règle s’applique à tous : au congrès de 2014, l’enjeu est de trancher entre Marion Maréchal-Le Pen et Florian Philippot. Or, elle obtient 80 % des votes, lui 68 %. Entre eux, il y a Louis Aliot (76 %) et Steeve Briois (70 %). La présidente réorganise le parti : Florian Philippot et ses amis obtiennent la part du lion, Marion Maréchal-Le Pen et les siens sont marginalisés…
Face à l’espoir, la méfiance
Le FN est installé sur la scène électorale nationale depuis 1984, Jean-Marie Le Pen est arrivé troisième à la présidentielle de 1988 et a ouvert la possibilité que le prochain congrès change le nom du parti. Le congrès de 1990 proclame que le FN n’est plus là pour témoigner, qu’il n’est pas là pour participer à une coalition des droites (qui n’en veulent pas), mais, selon Bruno Mégret, pour « réaliser la grande alternance, et prendre en charge la direction des affaires de la République ».
Cet enthousiasme est confirmé lors du congrès de Strasbourg de 1997, qui suit d’une semaine la victoire de Vitrolles. Le FN cristallise les antagonismes : 50 000 contre-manifestants défilent dans la ville. Dans la salle du congrès, les orateurs leur adressent des messages. Roger Holeindre, membre fondateur du FN, s’écrie : « Demain, nous les mettrons au pas si nous sommes au pouvoir. Ils pleureront des larmes de sang ! » Le succès grise, mais surtout en interne : les mégretistes monopolisent les premières places au scrutin, les lepénistes se mettent en ordre pour les liquider.
Cela aboutit à la scission. Les mégretistes convoquent un congrès du FN en janvier 1999. C’est la première fois que l’on tente ainsi d’appliquer les statuts contre le président. Cela n’arrivera plus jusqu’à la guérilla judiciaire menée par le père contre sa fille, comme il avait mené devant les tribunaux le conflit avec les mégretistes pour conserver son parti.
L’élection de Bruno Mégret comme président aura été saluée par quatre minutes de standing ovation de la part des congressistes. Pour information : la salle contenait quatre fois plus de militants que lors du congrès fondateur des Patriotes par Florian Phillippot, en février dernier…
Marine Le Pen a eu plus de chance : plusieurs fois reporté, le congrès de Tours, qui l’élit à la présidence en 2011, a été précédé d’années de purges qui ont liquidé l’essentiel des soutiens de son rival. En 2017, deux militants ont songé à se présenter contre elle pour l’élection à la présidence. Elle sera finalement seule candidate, préférant la certitude des victoires sans péril.
Le processus est donc clair : les ténors se déchirent, le président est la gueule de Moloch. Mais les militants, qu’en disent-ils ?
D’abord, combien sont-ils ? Lors du congrès de Tours en 2011, le nombre de votants s’exprimant sur le choix du président n’était que de 17 066. Au congrès de 2014, le FN dit avoir 83 087 militants, mais 22 329 votants réélisent Marine Le Pen à la présidence.
Officiellement, 51 551 adhérents sont à jour de cotisation en juillet 2015, au moment de la procédure de vote par correspondance (finalement annulée) devant exclure Jean-Marie Le Pen. Il y a quelques mois, le FN avançait qu’il avait 100 000 adhérents. Le nombre de votes enregistrés le week-end prochain est donc un enjeu : le storytelling de l’irrésistible ascension, qui avait si bien marché entre 2012 et 2017, est enrayé, il serait de mauvais ton de ne pas afficher le niveau de 2015.
Pour savoir ce que veulent ces militants, il faut aussi regarder leurs votes. Depuis le congrès de Nice, c’est-à-dire depuis que le FN ne se veut plus un « petit » parti, la ligne soutenue par les militants dans leurs votes a toujours été la même : la préférence nationale au niveau programmatique, un enracinement dans les territoires au niveau stratégique, l’affirmation d’une ligne nationale-populiste au niveau idéologique, et la critique des provocations de Jean-Marie Le Pen, qu’elles relèvent de la gestion clanique du parti ou de ses propos.
Ce dernier élément peut rassurer Marine Le Pen quant au fait d’obtenir l’appui de sa base pour tourner la page du patriarche. En revanche, les sujets précédents sont ceux sur lesquels sa base l’avait déjà interpellée en 2014, mais qu’elle a refusé d’écouter, ce qui a mené aux seconds tours électoraux décevants de 2015 et de 2017.
On comprend donc le caractère très particulier du congrès 2018. En 2016, Robert Ménard avait lancé : « Si Marine Le Pen souhaite juste faire des beaux scores, qu’elle continue. Si elle veut gagner, il faut changer. » Pour Marine Le Pen, maintenant, il faut que tout change dans le FN, pour que rien ne change pour elle.